Journal du novice Nicolas (Saint Nikon) d’Optina (93)

Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…) «Il y a deux monachismes: l’extérieur et l’intérieur», me dit un jour Batiouchka. «Le monachisme extérieur, comme on dit le «monachisme au klobouk», est facile à acquérir. Comme l’écrit Saint Jean Climaque, il est facile de se faire moine extérieurement, mais il est difficile de devenir moine intérieurement. Ce monachisme intérieur on peut le trouver même dans le monde, bien que ce soit seulement «une possibilité». Et du monachisme intérieur, on en parle maintenant si rarement, on ne le comprend quasi plus…»
J’aimerais consigner une des conversations avec Batiouchka au sujet de la prière de Jésus, qui a eu lieu le 26 octobre après le thé à 14 heures, l’après-midi.
Je me souviens quand je suis venu au près de Batiouchka sous l’impression de lire du livre «Sur les Monts du Caucase». <…>
Batiouchka dit aussi:
«Pendant longtemps, je ne pouvais comprendre ce que signifiait unir l’esprit avec le cœur. En substance, cela signifie que toutes les forces de l’âme sont réunies pour produire ensemble leur aspiration à Dieu, ce qui n’est pas possible si elles sont séparées. J’observe cette loi de l’union non seulement dans le cas de la prière de Jésus, mais partout. Par exemple, lorsque nous n’avons pas de cohésion des forces dans une guerre contre l’ennemi, alors l’ennemi, attaquant un détachement, puis l’autre, vaincra bientôt toute l’armée, détruisant un détachement après l’autre.
De même, le soleil, qui éclaire la terre, ne la brûle pas, car ses rayons se dispersent sur la surface de celle-ci et, en particulier sur une partie. Mais si nous prenons du verre (une loupe) et que ce verre concentre tous les rayons en un point donné, le bois, le papier ou quoi que ce soit d’autre placé là, va s’enflammer. La même chose peut être dite à propos de la musique. Quelle est la beauté des notes ou des sons pris isolément ou en désordre? On peut dire qu’il n’y en a aucune. Mais ces mêmes sons harmonisés dans les œuvres d’artistes-poètes géniaux revêtent une grande force et une grande beauté. Et je ne mentionne même pas la peinture et d’autres arts… Dans ces conversations avec vous, je ne me limiterai pas à cela, j’irai plus loin. C’est un nœud tel que peu importe combien vous le dénouez, il restera toujours un nœud.
La prière de Jésus n’a pas de limites… L’esprit, lorsqu’il s’exerce à lire les Saintes Écritures et à prier, etc., est purifié des passions et éclairé; lorsqu’il n’est immergé que dans les choses terrestres, il devient gris, et en quelque sorte incapable de capter et comprendre ce qui est spirituel.

Saint Barsanuphe d’Optina

J’ai connu deux frères; l’un était alors médecin et l’autre professeur à l’Académie de Théologie (Aujourd’hui Métropolite Antoine de Saint-Pétersbourg). Ces deux frères choisirent des chemins différents et, après des années de séparation, ils se sont réunis et ont entamé une conversation. Bien sûr, la conversation a également touché le domaine spirituel. Tout ce que le médecin disait était clair pour le professeur de l’Académie, mais ce que le professeur disait ne pouvait être compris par le médecin; non pas qu’il ne voulait pas, non, il ne le pouvait pas, peu importe comment il essayait, et il finit par demander à son frère d’orienter leur conversation sur un autre sujet.
Par conséquent, il est nécessaire de s’exercer dans le domaine spirituel et de vaincre toutes les passions alors qu’elles sont encore peu profondes en nous. Les passions sont faciles à vaincre dans les pensées, mais quand elles se transforment en mots et en actes et prennent racine, cela devient très difficile, presque impossible…»
Et le Père a beaucoup parlé, mais comment me souvenir de tout, ou plutôt, comment tout transcrire?
Dimanche 15 novembre
Hier, j’ai essayé de chanter dans le chœur, mais je sens que ma gorge n’est toujours pas rétablie. Cela devient très long, car j’ai attrapé un rhume à Moscou, et nous sommes revenus de Moscou, il y aura un mois le dix-sept. Aujourd’hui, je n’ai donc à nouveau pas chanté à la Liturgie. Ivanouchka a également attrapé quelque chose: il n’est allé ni aux vigiles, ni à la Liturgie. Et on entend beaucoup dire que nous sommes nombreux à la Skite a avoir attrapé quelque chose.
Lundi 16 novembre
Hier soir, après la bénédiction, après avoir travaillé sur des choses très importantes, Batiouchka et moi avons repris la lecture. J’ai lu le petit périodique «Comportement et foi», composée par M. A. Novoselov, mais ni moi ni Batiouchka n’avons aimé ces feuillets, à cause de leur sécheresse et leur abstraction. Je n’ai ressenti aucune inspiration quand j’ai lu. Ensuite, nous avons sorti le livre «Sur les Monts du Caucase» et avons regardé les endroits que Batiouchka avait souligné. Après cela, nous avons parlé pendant un certain temps.
Batiouchka m’a raconté un rêve qu’il a fait, la vision d’un péage. Mais je ne peux pas tout transcrire.
Je me suis dit que j’allais tout de même noter l’une ou l’autre chose, mais je n’y suis pas parvenu. Ivanouchka est arrivé et m’a pris plus d’une heure de mon temps. Maintenant, je ne le comprends plus, d’autant plus qu’il ne dit pas ce qu’il ressent et pourquoi il pleure. Je suis le seul à avoir de l’importance pour lui. Il m’a dit que rien d’autre dans la Skite ne lui tenait à cœur, et que même quand il avait revêtu en même temps que moi le rason, il hésitait à le revêtir ou à quitter la Skite. Sauve-le, Seigneur, et aie pitié de lui.
Jeudi 19 novembre
Aujourd’hui, il y a eu une Liturgie, on commémorait quelqu’un, on a mentionné le repos de l’âme de la servante de Dieu Sofia. Chez Batiouchka, j’ai oublié de demander qui c’était. Après la Liturgie, je suis allé dans ma cellule, puis chez Batiouchka. Frère Kyrill est arrivé (hier). Il est affecté à l’état-major général et se rend là-bas, et sur la route, il fait une halte à Optina. Aujourd’hui, jusqu’au repas, je suis resté avec Batiouchka, mais il y avait beaucoup de monde, et tout ce temps j’ai lu les trois enseignements de Mgr Ignace «Sur la fin du monde». Ces enseignements sont bons, comme en général tous les écrits de ce Saint Évêque du Christ.
Hier soir, Batiouchka était tourmenté par diverses circonstances. Je suis allé faire les cinq cents dans l’oratoire, et le Frère Nikita a lu les prières du soir avec Batiouchka. Après les prières, nous avons travaillé un peu, puis nous avons discuté pendant environ une demi-heure, et je suis rentré dans ma cellule. (A suivre)

Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.