Le site internet du Saint Monastère d’Optina propose une bibliothèque en ligne fournie. On y trouve de nombreux ouvrages des startsy d’Optina et des recueils de leurs lettres et homélies. Parmi ces ouvrages on compte le recueil des lettres écrites par le Saint Starets et Confesseur de la foi Nikon d’Optina, dont le journal fait l’objet d’une traduction depuis des mois sur le présent blogue. Nous proposons ici la traduction du recueil de ces lettres de Saint Nikon. Il ne s’agit plus du Novice Nicolas, auteur du journal précité, mais déjà du Hiéromoine Nikon, qui a intégré et mis en pratique dans son podvig les enseignements de son starets Saint Barsanuphe d’Optina, héritier de la tradition du Désert d’Optina.
Lettre à sa mère
Christ est entre nous, chère petite maman!
Je te souhaite avec ardeur la paix et la joie du Seigneur Jésus et je te demande tes saintes prières et ta bénédiction maternelle.
Que dois-je écrire à mon sujet? Je suis vivant et en bonne santé, je n’ai pas de besoins particuliers, je reçois tout ce dont j’ai besoin, je m’occupe de quelques travaux d’écriture, mais je suis beaucoup occupé dans diverses affaires concernant le monastère ou plutôt dans des affaires concernant notre vie commune, je chante dans le chœur et, enfin, je célèbre au saint autel, devant le Trône de Dieu.
En ce qui concerne ma vie intérieure, à la fois au sujet de ma cellule et de mon âme, tout le monde ne peut pas tout savoir. Ma cellule est longue de cinq archines, large de trois archines. Il y a une fenêtre. Ma cellule m’est plus chère que toutes les maisons luxueuses et les palais.
En ce qui concerne les conditions de notre vie commune, c’est une affaire à la fois complexe et très simple. Complexe, car il est difficile d’exposer sur papier tout ce que l’ancien monastère est devenu maintenant, et tout ce que nous expérimentons et entreprenons, simple, car selon les paroles du psaume [N.d.E. : Ps. 126, 1] «Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain se fatiguent les bâtisseurs». Oui, il est nécessaire de prendre toutes les mesures possibles, suggérées par la saine raison et non contraires à l’esprit de la vie chrétienne et monastique, mais tout en les prenant, leur succès doit être attendu seulement de la main du Seigneur.
L’orgueil de l’homme dit: nous entreprendrons, nous réaliserons, et nous commencerons à construire la tour de Babylone, nous demanderons à Dieu de rendre compte de ses actions, nous voulons être les gestionnaires de l’univers, nous rêvons de trônes au-delà des nuées. Mais rien ni personne ne lui obéit, et l’impuissance de l’homme se révèle dans toute son évidence dans les expériences amères. Observant cette expérience de l’histoire des jours anciens, passés, de même que des temps modernes, j’en arrive à la conclusion que les voies de la Providence de Dieu sont incompréhensibles pour nous, nous ne pouvons pas les comprendre, et il est donc nécessaire de nous livrer à la volonté de Dieu en toute l’humilité. C’est une première chose.
Ensuite, la seconde: rien ni personne ne peut nuire à l’homme s’il ne se nuit à lui-même, au contraire, qui ne fuit pas le péché, mille moyens salvateurs ne pourront l’aider. Par conséquent, le seul mal est le péché: Judas est tombé alors qu’il se trouvait avec le Sauveur, mais le juste Lot a été sauvé alors qu’il vivait à Sodome. Ces pensées et d’autres similaires me viennent quand j’apprends à lire les Saints Pères et quand je regarde avec mon esprit ceux qui m’entourent.
Que va-t-il se passer? Comment ça va se passer? Quand cela sera-t-il? Et si c’est le cas, où aller? Si cela se produit, où trouver l’affermissement et le réconfort spirituel? Oh, Seigneur, Seigneur! Une confusion cruelle étreint l’âme, quand vous voulez tout prévoir avec votre esprit, pénétrer dans le secret du futur, inconnu pour nous, mais pour une raison quelconque, effrayant. L’esprit s’épuise, ses plans, les moyens qu’il invente : un rêve d’enfant, un sommeil agréable. L’homme se réveille et tout a disparu. Face à la dure réalité, tous les plans s’effondrent. Où est l’espoir? L’espoir est en Dieu.
Le Seigneur est mon espérance et mon refuge! Dans la tradition et toute la volonté de Dieu, je trouve en moi la paix de mon âme. Si je me soumets à la volonté de Dieu, la volonté de Dieu sera faite en ce qui me concerne, et elle est toujours bonne et parfaite. Si je suis à Dieu, le Seigneur me protégera et me consolera. Si, pour mon bien, je suis tenté, béni soit le Seigneur qui bâtit mon salut. Même avec l’afflux de tribulations, le Seigneur est tout puissant pour apporter une grande et glorieuse consolation … C’est ainsi que je pense, que je ressens, que je regarde et que je crois.
Ne déduis pas de cela que j’ai vécu beaucoup d’afflictions et d’épreuves. Non, je pense que je n’ai pas encore vu l’affliction. S’il y eut pour moi certaines tribulations qui, d’un point de vue superficiel, semblaient être quelque chose d’affligeant, elles ne me causèrent pas de profonde douleur au cœur, elle ne causèrent pas d’afflictions, et je ne peux donc les qualifier d’afflictions. Mais je ne ferme pas les yeux sur ce qui a été fait et sur ce qui est à venir, afin de préparer mon âme à la tentation, afin que je puisse dire avec les paroles du psaume «J’étais préparé et je n’ai pas été troublé » [Ps. 118, 60].
Je t’ai dit que nous faisions l’objet d’une enquête, qu’on a vérifié les affaires de notre Fraternité. Cette enquête n’est pas encore terminée, il n’y a pas encore eu de jugement. Quand il y aura un jugement, et comment il se terminera, seul Dieu le sait. Mais, sans la volonté de Dieu, ni à moi en particulier, ni à nous en général, rien ne peut être fait, et c’est pourquoi je suis calme. Et quand l’âme est calme, alors que chercher d’autre?
Maintenant, je rentre des vigiles et je termine cette lettre, que j’ai commencée avant les vigiles. Seigneur, quel bonheur! Quelles paroles merveilleuses nous sont proclamées dans l’église. Paix et silence. Dans l’église, on ressent l’esprit des choses saintes. L’office divin terminé, chacun rentre chez lui. Je sors moi aussi de l’église.
Une nuit merveilleuse, avec un gel léger. La lune arrose notre coin tranquille de sa lumière argentée. Je vais sur les tombes des Startsy, je les vénère, je leur demande l’aide de leur prière, et pour eux je demande au Seigneur la béatitude éternelle dans le ciel. Ces tombes en apprennent beaucoup à notre esprit et à notre cœur, de ces froides pierres tombales souffle une chaleur. Devant les yeux de notre esprit s’élèvent les portraits merveilleux de ces géants de l’esprit qui se sont endormis.
Ces jours-ci, je me suis souvenu à plusieurs reprises de Batiouchka Barsanuphe. Je me suis souvenu de ses paroles et de cet enseignement qu’il m’a un jour donné, et peut-être pas seulement une fois. Il m’a dit « l’Apôtre dit «Examinez-vous vous-mêmes, voyez si vous êtes dans la foi ; éprouvez-vous vous-mêmes»( 2 Cor. 13, 5), et il continua «Regardez ce que dit le même Apôtre : «J’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ; il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne… » [ 2 Tim. 4, 7–8]. Oui, la grande chose est de garder, de préserver la foi. C’est pourquoi je vous dis aussi: éprouvez-vous, voyez si vous êtes dans la foi. Si vous gardez la foi, vous pouvez avoir confiance en votre sort». Quand tout cela me fut dit par mon Starets aujourd’hui défunt, (et il parlait si bien et avec enthousiasme, autant que je me souvienne, le soir, à la lumière tranquille des lampades dans sa chère, confortable vieille cellule), j’ai senti qu’il disait quelque chose de merveilleux, d’élevé, de spirituel. Mon esprit et mon cœur saisirent avidement ses paroles. J’avais déjà entendu ces propos apostoliques, mais cela ne m’avait pas fait une telle impression.
Il me semblait: qu’est-ce qu’il y a de spécial à garder la foi? Je crois et crois en tant qu’orthodoxe, je n’ai aucun doute sur la foi. Mais alors, j’ai ressenti, je ne dirai pas que j’ai compris, mais j’ai ressenti qu’il y avait quelque chose de grand dans ces propos; ce qui est vraiment grand, c’est malgré toutes les tentations, toutes les expériences de la vie quotidienne, toutes les séductions, garder dans son cœur le feu de la Sainte Foi inébranlable, et inébranlable même jusqu’à la mort, car il est dit «la course est terminée», c’est-à-dire que toute la vie terrestre a déjà été vécue, elle est finie, le chemin à parcourir a été parcouru, je suis déjà à la limite de la vie terrestre, devant la tombe commence une autre vie que m’a préparée ma foi que j’ai respectée. «La course est terminée, j’ai gardé la foi». Et le merveilleux Starets m’a commandé de me tester de temps en temps dans les vérités de la foi orthodoxe, afin de ne pas les esquiver imperceptiblement. Il a conseillé, entre autres, de lire le «Catéchisme Orthodoxe» du Métropolite Philarète et de me familiariser avec la «Confession de foi des Patriarches Orientaux».
Maintenant, alors que les fondements de l’Église Orthodoxe de Russie ont été ébranlés, je vois à quel point l’instruction de mon Starets est précieuse. Maintenant, c’est comme si le moment de l’épreuve était arrivé : sommes-nous dans la foi? Après tout, il faut savoir que la foi peut être respectée par celui qui croit ardemment et sincèrement, à qui Dieu est le plus cher, et cela ne peut être que chez celui qui se garde de tout péché, qui garde sa moralité. Oh, Seigneur! Garde-moi dans la foi par Ta grâce!
L’idée de la possibilité de maintenir la foi seulement par la bonne moralité n’est pas la mienne, c’est la doctrine de l’Évangile et des Saints Pères. Voilà ce que dit le Saint Évangile de Jean, 3; 19-21: «…la lumière est venue dans le monde, et … les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal, hait la lumière, de peur que ses œuvres ne soient blâmées. Mais celui qui accomplit la vérité, vient à la lumière, de sorte que ses œuvres soient manifestées, parce qu’elles sont faites en Dieu».
Ici, le Christ s’appelle Lui-même Lumière. Il convainc les Juifs qui lui étaient contemporains de quitter la recherche de la gloire des hommes, dans laquelle il est impossible de trouver la gloire du Dieu Un, dans laquelle l’homme est incapable de foi; ils faisaient seulement semblant… «Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres, et qui ne recherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul ?»(Jn. 5, 44).
Et l’Évêque Ignace (Briantchaninov), soulignant ces paroles de l’Évangile, dit que, comme les autres passions, la passion de la vanité détruit la foi dans le cœur de l’homme: comme elles, elle rend le cœur de l’homme incapable de croire en Christ, de confesser le Christ… Par conséquent, je demande ardemment tes saintes prières, que le Seigneur me protège de tout mal, c’est-à-dire du péché sous toutes ses formes, alors aucun élément extérieur ne pourra me nuire.
Je voulais seulement te dire brièvement que je suis sain d’esprit et vivant, mais, au-delà de toute attente, j’ai été aspiré par l’écriture. Quand j’écrivais, j’avais à peine le temps de suivre ma pensée et d’écrire ce qu’elle me dictait. Tout cela est en quelque sorte sorti involontairement de la plume et avec une profonde conviction… Que Dieu vous protège tous. Je demande à tous vos saintes prières, et moi, dans la mesure de mes faibles forces, je me souviens toujours et je prie pour tout le monde. Pardonne-moi. Que la grâce de notre Seigneur et notre Dieu Jésus-Christ, l’Amour de Dieu le Père, et la Communion du Saint-esprit, soient avec vous tous. Amen.
15/28—16/29 novembre 1922
Désert d’Optina
Déjà 2 h du matin.
Traduit du russe
Source
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.