Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
27 octobre [ou 28 octobre]
Hier encore, Batiouchka et moi avons lu sur la prière de Jésus, nous sommes restés jusqu’à minuit.
À la fin de la conversation, Batiouchka m’a commandé de faire la prière de Jésus oralement, même pendant le service militaire, mais de garder cela secret, sans le révéler à personne, sans l’enseigner à personne, bien que, peut-être, rencontrerai-je de bonnes personnes: «Soyez le seul à le savoir».
Batiouchka parla encore de lui-même; entre autres, du fait que beaucoup le considéraient comme étant dans une illusion maléfique, alors que Batiouchka vivait attentivement et s’exerçait à la prière de Jésus.
«Maintenant, dit Batiouchka, ils décident que les choses vont ainsi: priez ou ne priez pas; de toutes façons, vous n’acquerrez pas la prière, aujourd’hui ce temps est révolu. C’est certainement une pensée inspirée par le malin. La prière de Jésus est nécessaire pour entrer dans le Royaume des Cieux. Mais pour beaucoup, il est inutile d’avoir la prière intérieure, car alors ils pourraient s’enorgueillir. Par conséquent, Dieu donne la prière à celui qui prie mais qui n’a pas encore atteint la prière intérieure, soit avant sa mort, ou même après sa mort, car après la mort, la prière de Jésus croît. Quand j’ai lu cela, j’ai douté, je me suis demandé si je comprenais bien. Et j’ai commencé à en chercher la confirmation, et l’ai trouvée dans beaucoup d’ouvrages des Saints Pères, et chez Païssy (Velitchkovski). Et maintenant nous venons de le lire ici aussi. Cela me rend très heureux.»
Mais je ne transcris pas tout cela, car cela prendrait, je pense, plus d’une journée. J’ai appris beaucoup de choses utiles dans cette conversation. J’avais l’impression que nous y passions toute la nuit.

Jeudi 29 octobre
Je me suis souvenu que le 26 octobre, Batiouchka m’a dit: «Quand vous reviendrez, je ne serai peut-être plus en vie.»
Et encore: «Ne devenez pas higoumène, sauf par obédience; mais si, par exemple, on ne fait que vous le proposer, alors il vaut mieux refuser».
En général, ces jours-ci, Batiouchka m’a tellement parlé en privé que je voyais clairement son amour pour moi. Et hier, il me semble qu’il m’a dit: «Oui, l’âme doit ressentir (ou voir) l’âme. Ce genre de relation s’est établie entre nous: je vous ai pris en affection, Et vous, moi. Rien ne peut être plus fort que cet amour, l’amour du Christ».
Samedi 31 octobre
Je viens juste de revenir des matines. Je pense me reposer un peu, boire une tasse de thé et à sept heures, partir à Kozelsk pour mon appel au service militaire. Je ne peux pas expliquer mes sentiments. Maintenant, Dieu merci, il n’y a ni découragement ni peur. Peut-être est-ce parce qu’en quelque sorte je ne peux même pas croire que je puisse quitter, fût-ce pour un moment, ma douce Skite et Batiouchka. Que la volonté du Seigneur soit faite!
Dimanche 1er novembre
Hier, après avoir bu le thé, vers six heures et demi, je suis allé à la pièce d’accueil du Père Archimandrite (son auxiliaire de cellule, frère Théodore, était également appelé, nous sommes allés ensemble à Kozelsk). Le Père Melety m’a proposé de boire encore une tasse de thé, et j’en ai bu une. Puis je suis allé sur les tombes des Startsy, j’ai prié et demandé leur bénédiction. Puis je suis revenu chez le Père Archimandrite, et avec frère Théodore nous sommes partis à Kozelsk. Hier, ce n’était qu’une vérification, mais ils nous ont retenus comme il fallait s’y attendre: de dix à dix-sept heures. Nous sommes alors allés jusqu’au moulin du monastère, avons pris un cheval là-bas et sommes revenus sans encombre au monastère. Quand nous sommes arrivés au monastère, le bourdon sonnait pour les vigiles. Je me suis glissé en bas de la télègue et j’ai couru à la Skite. Frère Théodore est allé à l’écurie.
Quand je suis parvenu à la Skite, on carillonnait pour les vigiles.Et lorsque je suis arrivé au porche de chez Batiouchka, il sortait de son bâtiment avec Frère Nikita, pour aller aux vigiles. J’ai accompagné Batiouchka à l’église et je suis allé manger la nourriture que Batiouchka m’avait laissée. Quand je fus rassasié, je rentrai à ma cellule et, après avoir repris des forces, je me rendis aux vigiles et y restai jusqu’aux cathismes. Je suis rentré à ma cellule, j’ai lu les prières et je me suis couché.
Aujourd’hui, je me suis levé pour la Liturgie, j’ai bu le thé et je suis allé avec frère Théodore à Kozelsk pour dix heures. Jusqu’à midi, j’ai attendu, puis il y eut une pause; mon frère Théodore et moi sommes allés auprès de l’entrepreneur qui répare le bâtiment du Père Archimandrite. Franchement, je n’étais pas heureux d’aller le voir. Tout d’abord, il nous a beaucoup retardés: avant que le samovar soit prêt, que tout soit cuit, que nous ayons bu le thé, plus d’une heure s’est écoulée. Après, il était un peu ivre, ce que je n’avais pas remarqué auparavant. Mais, sauve-le, Seigneur, pour nous avoir nourris. En rentrant, je suis rapidement allé tirer au sort et j’ai eu le 488. J’ai demandé au fonctionnaire quand je devais revenir. Il a répondu:
– Demain vers deux heures.
– Est-ce sûr que mon numéro sera encore pris?
– Soyez-en sûr, a-t-il répondu.
Donc, je ne peux y échapper que pour des défauts corporels. Mais que la volonté du Seigneur soit faite!
Cette fois, je quittai la ville à pied. Je suis allé voir Batiouchka, j’ai bu le thé. J’ai raconté à Batiouchka ce que j’avais fait et comment c’était à Kozelsk. J’étais un peu fatigué et donc je ne suis pas allé aux vêpres, voulant me reposer. Qu’est-ce que Dieu donnera demain?
Lundi 2 novembre
Aujourd’hui, je viens de passer à Kozelsk et suis revenu, je n’y ai rien appris.
Maintenant, je viens de sortir de chez Batiouchka. Nous avons conversé l’âme en paix, comme on dit. Il neigeait, tout est devenu blanc. Les arbres duveteux se dressent dans leurs vêtements blancs. Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours aimé ce tableau, il a une beauté particulière…
Mardi 3 novembre
Aujourd’hui, vers trois heures de l’après-midi, ce fut mon tour d’être appelé. Je sortais quand ils m’ont appelé. L’examen a commencé. Ils constatèrent la dilatation d’une veine de ma jambe gauche et je fus affecté à la milice de réserve, c’est-à-dire que je n’aurai pas à servir. Quand j’ai dit cela à certains frères, leurs opinions étaient partagées:d’aucuns dirent que je devrais me présenter pendant un mois pour l’instruction de base, et d’autres dirent que je ne devrais pas me présenter du tout. Je rends grâce à Dieu de ne pas devoir servir, mais franchement, les paroles des frères sur l’instruction d’un mois m’ont quelque peu troublé. Il va falloir que je sache ce qu’il en est. Le frère Théodore n’a pas non plus été retenu pour le service. Nous avons quitté la ville ensemble. En sortant du traîneau près de l’écurie, je suis allé directement sur les tombes des Startsy.
Je m’éloignais des tombes quand j’aperçus Batiouchka avancer avec Frère Nikita vers le bâtiment de l’ancien hôpital, en réfection (où ils allaient, je ne sais pas). Je me dirigeai droit vers Batiouchka. Le Frère Nikita demanda: «Eh bien, quoi?» Je répondis:
«Pas pris».
Et quand je me suis approché de mon Père, je dis: «Bénissez. Ils ne m’ont pas retenu».
Batiouchka était heureux, il m’a même interrogé à plusieurs reprises. Il m’a béni et m’a serré contre lui. Puis il s’est tourné vers l’Est et a commencé à prier. Quelle prière Batiouchka pria, je ne sais pas, je me souviens seulement qu’il a dit: «Ta miséricorde est grande, Seigneur!» Puis, quand nous sommes partis, Batiouchka a dit «L’Évêque Tryphon a sûrement prié pour vous». (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.