Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

Le soir

Aujourd’hui, après la bénédiction, Batiouchka a donné congé à ses auxiliaires de cellule, pour qu’ils aillent dormir, et m’a gardé auprès de lui pour discuter un peu. Batiouchka a parlé du grand sens de tous les événements de notre vie: des grands bouleversements dans la vie de chacun, tant dans l’âme et que dans l’esprit, jusque dans leurs moindres détails.
«Souvent, les gens prononcent des paroles prophétiques sans le savoir», a déclaré Batiouchka. «Voici, par exemple, maintenant: nous discutons, mais ni moi ni vous ne savons dans quel but ni à cause de quoi. Mais je le dis avec conviction: si c’est ainsi, alors, c’est nécessaire.
On dit que tous les événements de notre vie nous seront révélés à l’heure de notre mort, et nous comprendrons alors tout. Toute notre vie sera devant nous, comme si elle était écrite dans un livre.»
Je n’ai pas le temps de tout noter maintenant. À la fin de la conversation, Batiouchka a dit:
– Vous savez, on dit que nous avons à Optina un grand héros de l’ascèse qui a le don de la prière intérieure?
– Non, Batiouchka.
– C’est le novice rasophore Ioann, l’aveugle.
Le 25 octobre, dimanche.
Quand j’ai conduit Batiouchka en le tenant sous le bras après les vigiles de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan (Le 21 octobre), j’ai dit à Batiouchka que j’avais du mal à supporter les vigiles. Batiouchka demanda:
– Pour quelle raison?
Je répondis:
– Par faiblesse physique.

Saint Barsanuphe d’Optina

– Oui, dit Batiouchka, et parfois des moines quittent l’église à cause de leurs pensées. Ce n’est certainement pas raisonnable. L’ennemi engage la bataille des pensées dans le but de les faire sortir de l’église. Mais il ne faut pas succomber à l’ennemi. Dans la plupart des cas, les jeunes ont des pensées charnelles, et les vieux ont des pensées de colère, des souvenir de griefs anciens. L’ennemi leur dit: «Tu te souviens, un tel t’a insulté devant tout le monde, et tu n’as pas dit un mot. Oh! Voilà ce que tu aurais dû lui dire…» Parfois, à cause de telles pensées, le moine éclate de colère. Il faut se battre…
Le 26 octobre, après le thé à deux heures de l’après-midi, j’ai demandé à Batiouchka:
– La prière de Jésus peut-elle exister chez celui qui a encore des passions?
– Elle le peut, répondit Batiouchka, c’est possible, mais voici comment: pendant la première période de la prière de Jésus, la passion, agissant dans l’homme, le vainc, mais dans la seconde période, lors de chaque exaltation de la passion, l’homme la vainc.
La passion reste dans l’homme jusqu’à la mort, et l’impassibilité ne peut être que relative. Nous pouvons le voir à partir du fait que de nombreux héros de l’ascèse, comme par exemple Saint Jacques, ayant passé toute leur vie dans des podvigs, tombèrent dans le péché. Celui qui mène le podvig de la prière ressent sans aucun doute le mouvement des passions en lui-même, mais dans celui qui a atteint la prière intérieure, la passion est comme un cadavre; elle ne peut plus le tourmenter de manière dominatrice, et au plus la prière agit fort dans l’homme, au plus elle est affirmée dans le cœur de l’ascète, au plus les passions agissent de plus en plus calmement, comme si elles dormaient.
Je me souviens, à Kazan, il y avait le bienheureux Nikolouchka. Il disait, s’adressant aux gens de la bonne vie: «Eh quoi, vous dormez comme des morts?» Je ne comprenais pas le sens de ces mots à l’époque, et je ne les compris qu’ici, à la Skite, et je fus surpris de la profondeur de leur sens. Il a appelé les passions des ‘morts’. Le mort est couché, cela signifie qu’il existe, il n’a pas disparu, car nous le voyons. Ainsi, dans le déroulement du podvig de la prière chez celui qui a déjà atteint la prière intérieure, la passion est comme un mort.
À ma question: l’indifférence vis-à-vis des pensées, c’est-à-dire la pleine attention dans la prière, est-elle un premier don général, ou seulement dans la prière de Jésus? Batiouchka répondu que c’était seulement dans la prière de Jésus.
Et quand je suis venu pour la bénédiction et que je me suis agenouillé, Batiouchka a lui-même commencé à parler :
«On demande comment il est plus facile d’être sauvé: l’un ne fait que s’humilier et ne travaille pas, et l’autre ne fait que travailler toute la journée à toutes les obédiences et ne s’humilie pas? Cette question a été abordée par Saint Barsanuphe le Grand, et il a répondu (je répète évidemment ses paroles de façon la plus approchante): «Mon enfant, ce n’est pas ainsi qu’il faut poser la question. Que dit le psaume? Vois mon humilité, et mon labeur, et remets tous mes péchés…». Il est donc clair que la vraie humilité n’existe jamais sans labeur, et que le vrai travail n’est jamais sans humilité; l’un doit être accompagné de l’autre, sinon nous ne recevrons aucun bénéfice. Mais si nous travaillons et que nous nous humilions, comme il est dit dans le psaume: vois mon humilité, et mon labeur, nous recevrons la récompense: la rémission des péchés, comme il est écrit: «et remets tous mes péchés». Par conséquent, il est nécessaire de s’exercer dans les deux».
Lundi 26 octobre
Hier, Batiouchka et moi avons eu deux conversations réconfortantes. la Première à deux heures, et la seconde à partir de huit heures et demi jusqu’à dix heures et demi. Il convient que je les note dans toute leur sagesse, leur profondeur et leur ampleur. Toutes deux ont abordé la prière de Jésus, et il est merveilleux qu’une prière aussi brève ait une si grande force et une si grande profondeur.
À deux heures, sous l’impression de la lecture du livre «Sur les Monts du Caucase», j’ai commencé à interroger Batiouchka sur un point ou l’autre et ainsi nous avons parlé peut-être plus d’une demi-heure. Et le soir, nous avons lu ce livre ensemble. En fait, j’ai lu, et Batiouchka écoutait, et parfois la lecture était interrompue par une conversation. Après la lecture de trois chapitres, Batiouchka a commencé à me parler de lui-même, de sa vie dans le monde et au monastère, et d’autres choses concernant la prière de Jésus. Nous avons beaucoup parlé à ce sujet. Par manque de temps et compte tenu de la grande importance de ces questions, je ne peux rien écrire maintenant; que Dieu me permette de le faire plus tard. (A suivre)

Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.