Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
24 juin
Le Père Archimandrite a célébré avec Batiouchka et le Père Nectaire. Avant le déjeuner, un élève de secondaire, qui devait avoir entre onze et quatorze ans est venu auprès de Batiouchka. C’était un petit-fils du Père Archimandrite Moïse, ou plutôt fils de la nièce du Père Moïse.
Le 18 juin, mes trois frères sont arrivés à Optina: Vladimir, Sergueï et Mitrophane. Le 21, ils sont repartis à Moscou. Sauve-les, Seigneur. Mais je leur ai trouvé peu de choses en commun avec moi. J’en ai parlé à Batiouchka.
«Oui, dit Batiouchka, c’est précisément ce que définit le proverbe: «les chemins se sont séparés». Ils ont peu changé en apparence. Il semble que peu de choses aient changé dans leur disposition intérieure. Pourtant, il est bon qu’ils soient venus à Optina: espérons que cela leur soit bénéfique.
Ils nous ont photographiés, Ivanouchka et moi, avec Frère Nikita, sur le porche de chez Batiouchka. Je ne sais pas ce que cela donnera. Quand ils auront développé la photo, ils nous l’enverront.
Je ne me souviens pas bien quand (probablement entre le quinze et le dix-sept juin de cette année), nous, c’est-à-dire Batiouchka et moi, étions assis pour le déjeuner, et Batiouchka m’a dit:
– Le moment viendra où ce sera pénible à Optina; ce sera peut-être pour un mieux. Je parle du moment où la ligne de chemin de fer arrivera jusqu’à Chamordino, et tout l’afflux de visiteurs ira là-bas, et Optina restera à l’écart; il y aura une chapelle du monastère dans la gare.
– Batiouchka, dis-je, mais on n’en parle pas!
– Non, c’est la première fois que l’Higoumène pécheur Barsanuphe le raconte au novice Nicolas, pendant le repas.
L’autre jour, Frère Nikita était contrarié. Et quand il est contrarié, il fait parfois des choses qu’il ne devrait pas faire. J’entre, je lui dis bonjour, et il ne répond pas. J’ai demandé quelque chose à plusieurs reprises, mais je n’ai jamais reçu de réponse. Puis je me suis assis pour écrire, Frère Nikita est demeuré de glace. Puis entra Batiouchka et il vit que Nikitouchka était encore en colère et lui dit:
– Viens près de moi.
Il s’approcha en silence.
– Qu’est-ce qui te fâche? Demande-moi pardon.
Nikitouchka s’inclina silencieusement à ses pieds.
– Non, pas comme ça. Dis: «Pardonnez-moi, Batiouchka, de vous avoir offensé».
Il dit :
– Pardonnez-moi, Batiouchka, de vous avoir offensé.
– C’est bien… Dieu te pardonne.
![](http://www.lalorgnettedetsargrad.gr/wp-content/uploads/2024/07/Saint-Nikon-Fragment-de-la-Synaxe-des-Saints-Startsy-dOptina.-T.A.-Mouchketov-238x300.jpg)
Puis Batiouchka et Nikitouchka sortirent. Je rédigeai. Après trois ou quatre minutes, Nikitouchka revint, et s’assit près de moi, sourit, plaisanta. En un mot, il n’y avait plus aucun signe de mauvaise humeur. J’ai été surpris de voir comment Nikitouchka a immédiatement changé quand il eut demandé pardon. J’en ai parlé Batiouchka, qui a répondu: «Oui, cela a un grand pouvoir. J’ai vu qu’un serviteur du malin marchait à côté de lui et il l’attirait à lui. Mais comme il s’est humilié, le serviteur du malin s’est éloigné de lui…› Oui, il m’est donné d’être témoin ici de choses dont je n’avais même pas entendu parler auparavant, ni, bien-sûr, jamais vues».
29 juin
Aujourd’hui est le jour de l’ange de Batiouchka, selon le nom qu’il portait dans le monde, en l’honneur de Saint Paul. Batiouchka se prépare à aller prendre part à une assemblée monastique à la Laure de la Trinité-Saint Serge. Il va partir aujourd’hui ou demain. La durée de l’assemblée est fixée à une semaine, mais Batiouchka pense qu’elle durera au moins deux, voire trois semaines.
Un jour, alors que je déjeunais avec Batiouchka, nous nous nous entretenions de certaines affaires et du courrier relatif à l’économie de la Skite. Soudain, Batiouchka interrompit la conversation par ces mots: «Il me pilonne vraiment avec des rêves…» J’ai compris ce que Batiouchka disait; il faisait des rêves effroyables à cause du malin. «Vous pouvez devenir découragé, et même désespéré avec de tels rêves», continua Batiouchka. «Je ne me console que par un seul moyen : les paroles de l’Évêque Ignace. Il dit que le malin attaque d’abord dans les rêves, puis commence à apparaître dans la réalité. Eh bien, je pense que le Seigneur ne me laissera pas en arriver là: comment pourrais-je supporter cela? Voir de telles horreurs dans la réalité… Mon Dieu, Mon Dieu!..»
Batiouchka ne m’a pas raconté ces rêves, mais il en a parlé plus d’une fois. Et il a même dit que ces rêves dépeignent parfois des tourments infernaux.
1er juillet
Ce matin, à 4 heures, Batiouchka est parti avec le Père Archimandrite à Kalouga, de là, ils se rendront à l’assemblée, à la Laure de la Trinité-Saint Serge; probablement passeront-ils également ailleurs.
Aujourd’hui donc, à la fin des matines, je suis allé chez Batiouchka. Après avoir prié, Batiouchka est allé par la Sainte porte jusqu’au tarantass qui était arrivé. Quand Batiouchka s’y est assis, une fois de plus il nous a bénis tous les trois, c’est-à-dire le Père Nikita, Frère Nikita et moi, d’un seul signe de Croix, et les chevaux se sont mis à avancer.
Je me suis senti triste et je me suis précipité vers ma cellule. J’étais séparé de mon bien-aimé Batiouchka qui m’aimait, de mon mentor et Père spirituel. Quand Batiouchka allait-t-il revenir? Et qui va le remplacer pour moi? En arrivant à ma cellule, j’ai prié pour Batiouchka et pour moi-même. Je ne le cacherai pas, j’ai pleuré…
J’ai remarqué ce sentiment de séparation imminente avec Batiouchka hier et avant-hier; je voulais toujours être auprès de Batiouchka, parler avec lui, lui demander quelque chose. Cher Batiouchka! Alors qu’il s’apprêtait à partir, il m’a dit: «Comme quand je suis allé en Mandchourie, je crois maintenant que le Seigneur ne m’abandonnera pas.»
Hier, c’est-à-dire le 30 juin, Batiouchka m’a donné un mouchoir en toile :
– Voici un souvenir de moi.
– Batiouchka, je remercie le Seigneur, dis-je.
Batiouchka avait une grande confiance en moi, et il ne me semble pas que j’en aie abusé.
En partant, Batiouchka m’a dit de m’occuper de moi-même pendant son absence. Dans le cadre de mon obédience, la vie stricte n’est pas possible, car cette obédience est si vaste qu’il n’y a presque plus de temps pour les règles de prière, même si je ne me repose pas après le dîner. (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.