Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

25 avril
Le 22 avril, Batiouchka m’a dit qu’il y avait exactement trois ans qu’il avait pris la direction de la Skite. Commémoration de Saint Vitali.
Aujourd’hui, Batiouchka m’a dit qu’en 1879, lorsque les nihilistes ont ravagé Orenbourg et en ont incendié les sept huitièmes, la maman de Batiouchka, la sœur de sa maman et lui-même, qui était encore à cette époque Pavel Ivanovitch, furent miraculeusement sauvés de l’incendie, de même que toute la maison et les biens.
«Les incendiaires avaient choisi un jour venteux», expliqua Batiouchka, «le vent a rapidement soufflé les flammes sur une grande partie de la ville. Cette flamme infernale se dirigeait vers notre maison. Alors nous avons entassé nos affaires sur un chariot et sommes partis en dehors de la ville, remettant notre maison non assurée à la volonté de Dieu. C’était la nuit. Nous nous sommes abrités derrière la partie restante du rempart construit au temps de Pougatchev, et même plus tôt. Que faire? Ma vieille maman se leva pour prier: «Seigneur, sauve-nous!». Je me suis levé aussi et j’ai dit : «Très Sainte Mère de Dieu, sauve-nous!» Et soudain, le vent changea de direction, les flammes filèrent dans un autre sens et réduisirent en cendres la synagogue juive et toutes les habitations de ceux qui la fréquentaient. Et notre partie de la ville a survécu…
Pendant deux ou trois mois, les conversations au sujet de l’incendie ne tarissaient pas dans la ville. Un jour, je suis allé rendre visite à des amis. La conversation aborda l’incendie. Soudain, quelqu’un appelé Siline dit : «Vous vous demandez pourquoi cette partie de la ville a survécu? Eh bien voici pourquoi: un moine y vit et même, peut-être entrera-t-il au monastère. C’est pour lui que le Seigneur a sauvé cette partie de la ville». Je ne pensais pas encore au monachisme à l’époque, et j’ai donc souri aux paroles de cet homme, mais je me les suis rappelées plus d’une fois. Il a dit la vérité à mon sujet… Voyez combien le monachisme est cher au Seigneur!».
26 avril
Dimanche dernier, le 19 avril, il faisait beau: la journée était claire et le soleil réchauffait, la nuit, c’était presque la pleine lune et du ciel sans nuages elle envoyait sa lumière sur la terre. En un mot, c’était un temps clair de printemps. Mais aujourd’hui, la neige est tombée, à nouveau et le ciel est couvert de nuages, le temps ressemble plus à l’automne qu’au printemps. Alors que, dimanche dernier, attiré par la nuit claire et lunaire, je suis sorti dans la Skite à dix heures du soir. Sans réfléchir à deux fois, je suis allé à mon endroit préféré, dans la plantation. Pendant cinq minutes, je suis resté assis sur le banc confortable, et puis j’ai commencé à marcher lentement le long de l’allée et sur le chemin vers le rucher. En marchant, j’ai commencé à dire la prière de Jésus. J’ai remarqué que mes pensées ne s’éparpillèrent presque pas pendant toute ma promenade d’une heure, et il était facile pour moi de dire la prière.
Lundi, selon nos habitudes, je suis allé chez Batiouchka et, entre autres choses, j’ai parlé de ma promenade dans la plantation. Batiouchka m’a demandé:
– Où êtes-vous allé?
– Dans la plantation, répondis-je.
– Non, je ne donne pas ma bénédiction pour que vous alliez marcher seul la nuit dans la plantation. Batiouchka Ambroise et Batiouchka Anatole ne bénissaient pas cela non plus…
– Pourquoi?  Ai-je demandé.
– Parce qu’il y a des serviteurs du malin là-bas, la nuit. Pendant la journée, vous pouvez y aller seul… C’est bien de me l’avoir dit.
Un jour, Batiouchka m’a dit : «Si je n’étais pas supérieur et starets, je ne lirais que les vies des saints et d’autres livres des saints pères». Et encore: «Toute cette correspondance, toutes ces lettres sont nécessaires pour le monastère. Si j’étais seul, je n’écrirais personnellement qu’aux évêques, car j’ai besoin de leurs prières et de leurs bénédictions.»
30 avril
Je me souviens qu’en hiver, Batiouchka m’a dit: «Il y a trois parties dans l’homme: le corps, l’âme et l’esprit. Cela est évident dans les paroles de la Très Sainte Mère de Dieu, qu’Elle prononça lors de la salutation à la Juste Élisabeth: Mon âme magnifie le Seigneur et Mon esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur. Ici on voit très clairement la distinction: d’une part l’esprit et de l’autre, l’âme. Que le corps et l’âme soient deux parties distinctes, c’est l’évidence-même. Et remarquez la séquence: l’âme commence à louer le Seigneur, et de cela surgit la joie et l’esprit commence à se réjouir. Cela s’applique à tout homme lorsqu’il prie ou glorifie Dieu. La prière commence au moyen des forces de l’âme et l’esprit écoute les paroles de la prière. Ensuite, le sens de la prière, pour ainsi dire, affecte l’esprit de l’homme, l’atteint, et alors, l’esprit, mu par la puissance divine de la prière, se réjouit…»
J’ai essayé de me souvenir de cette explication de Batiouchka, mais je ne sais pas si je l’ai transmise correctement.
2 mai
Hier, c’est-à-dire le 1er mai, le rossignol a chanté pour la première fois. Et ce matin, il a chanté de nouveau. Pendant que je marchais, sortant des matines, les oiseaux chantaient tellement que je me réjouissais involontairement. Ils chantaient si amicalement, si joyeusement… bien sûr, ils louaient Dieu.
Hier, j’ai participé à la procession.
6 mai
Aujourd’hui, c’est la clôture de Pâques. Batiouchka est allé célébrer au monastère à la place du Père Archimandrite, que quelque chose avait fatigué.
Hier, Batiouchka m’a parlé de la lutte qui se déroula dans son âme quand il fut envoyé à la guerre à Mulline. Lorsqu’on annonça à Batiouchka qu’il avait été sélectionné pour être envoyé en Orient dans la guerre, Batiouchka ressentit toute la difficulté d’accomplir cette obédience, mais il ne refusa pas. Il accepta cela comme venant de la main du Seigneur, bien que ce fut le fruit de la malveillance de certains.
«Ma santé était mauvaise. Comment parcourir plusieurs milliers de verstes, pensai-je, dit Batiouchka, moi qui avance comme un vieillard malingre. Vous savez que j’ai des douleurs qui sont très difficiles à apaiser lors de déplacements, en particulier dans un wagon garni de beaucoup de monde. Je me disais que je n’y arriverais pas… Ensuite, il y eut d’autres pensées dans mon esprit, à savoir: comment vas-tu célébrer ? Tu ne connais quasiment pas les offices, tu es encore si inexpérimenté! Comment vas tu célébrer tous les différents petits offices d’intercession ? Et baptiser les bébés, alors que tu n’as jamais baptisé? Comment vas-tu célébrer les funérailles des défunts alors que tu ne l’as jamais fait une seule fois? Comment vas-tu t’entendre avec les autorités et les médecins s’ils sont Juifs? Ils vont se moquer de toi! Comment vas-tu quitter la Skite et te retrouver plongé dans la foule, et en compagnie des sœurs de la charité!?
Comment vont-elles te regarder? Comment ta santé sera-t-elle affectée par ce climat auquel tu n’es pas habitué? Et tout, et tout… Et je combattait tout cela au moyen de la prière de Jésus. Quand j’ai maîtrisé ces pensées, l’ennemi a changé sa manœuvre, il a commencé à exciter les calomnies de ceux qui m’accompagnaient avec moi. Ce fut très dur… Cela a continué jusqu’à Kharbine.
Quand j’ai été envoyé à Mulline, cela m’a débarrassé de ceux qui «me persécutaient», j’ai respiré plus librement et me suis retrouvé directement au paradis. Une nature tellement splendide : montagnes bleues, forêts, steppes avec des millions de couleurs… Entre moi et les autres, des relations amicales simples furent établies. Le médecin en chef s’est avéré être un Petit-Russien, et tous les autres étaient de vrais russes, croyants, y compris, bien sûr, les sœurs de la charité (certaines d’entre elles entretiennent encore maintenant une correspondance avec Batiouchka). J’étais si bien là-bas…»
Batiouchka a tenu là-bas un journal qu’il voulait me donner à lire, mais il oublia ou il ne l’a pas trouvé.
Je me dis alors que Batiouchka était demeuré fidèle à la vertu d’obéissance, en dépit du fait que tout lui était si défavorable, mais il dut essuyer pour cela des représailles. Batiouchka dut supporter maintes afflictions. L’ennemi était puissamment armé, mais la grâce de Dieu n’a pas abandonné Batiouchka. (A suivre)

Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.