Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…) Jeudi 12 février
Aujourd’hui, le Seigneur m’a trouvé digne, moi le pécheur, de me confesser, de purifier ma conscience. Et maintenant, Ivanouchka et moi avons bu le thé chez Batiouchka.
J’ai reçu une lettre de Moscou. Maman m’y rapporte qu’un de mes professeurs de lycée est décédé subitement. Et elle répond également à ma question concernant ses éventuels souvenirs du jour où nous sommes allés chez le Père Valentin, ainsi que du jour où nous avons reçu comme bénédiction nos croix pectorales. Maman ne se souvient pas de ce jour, mais à en juger par ses notes, c’était le 11 février 1907, c’est-à-dire il y a exactement deux ans. Juste hier soir, maman nous bénissait et, à genoux et le front au sol, j’ai fait le vœu de servir Dieu toute ma vie dans la voie monastique, bien que j’aie eu un peu peur et hésité. Cette bénédiction, cette croix, je la chéris et ne la retire jamais. Et le 12, voici donc deux ans aujourd’hui, nous étions chez le Père Valentin, dont j’ai reçu la bénédiction.
Vendredi 13 février
Aujourd’hui, je suis allé chez Batiouchka pour la bénédiction après les vêpres. Après la bénédiction et la révélation de mes faiblesses de ce jour, Batiouchka m’a dit ce qui suit: «Ce n’est rien si nous nous réprimandons et nous nous humilions. Et puis beaucoup veulent se hisser vers le ciel, se mettent des podvigs sur le dos, mais ils ne veulent pas s’humilier. Fais-toi humble, humilie-toi! Oui, je vous le dis, Frère Nicolas, ils ne veulent pas se faire humbles. C’est une plaie, la plaie du monachisme contemporain…
Samedi 14 février
Aujourd’hui, j’ai reçu les Saints Mystères du Christ. La première semaine du Carême est déjà finie. Elle n’est pas «passée», elle a filé. Je n’ai pas remarqué le jeûne, je n’ai pas senti son fardeau.
Mercredi 18 février
Aujourd’hui, aux complies, j’ai lu pour la première fois le Canon à la Très Sainte Mère de Dieu (4e ton, mercredi).
Samedi 21 février
Le 19 février, Batiouchka m’a dit:
– Je vous l’ai dit plus d’une fois, Frère Nicolas, et je le dirai encore: je viens de penser à tout abandonner, à partir et me retirer dans une cellule. C’est devenu effrayant de vivre, frère Nicolas, effrayant. J’ai seulement peur de partir par ma propre volonté, sans consulter personne. Si le Père Barnabé [N.d.E. : Saint Barnabé de la Skite de Gethsémani] vivait encore, j’irais auprès de lui, mais il n’est plus. Et de moi-même, j’ai peur. J’ai peur comme les sentinelles ont peur de quitter leur poste; on les fusille. Dans cette situation, vous commencez à comprendre les paroles du prophète David: Sauve-moi, Seigneur!.. Si nous prenons seulement cette partie de la phrase, il va sans dire que personne ne veut sa propre perte et ne dit: «Conduis-moi à ma perte, Seigneur». Tout le monde peut toujours dire: «Sauve-moi, Seigneur.» Mais il ajoute plus loin: « …car il n’y a plus de saints»[Ps.11;2]. Il n’y a personne à qui s’adresser; Seigneur, sauve-moi. Ce n’est que maintenant que je comprends pourquoi les Saints Pères ont fui le monde, ils ont vraiment fui… J’aimerais aussi m’enfuir au désert.
– Batiouchka, répondis-je, comment s’enfuir seul? On ne peut rester seul…
– Non, répliqua très fermement Batiouchka, non, on ne peut être seul avec soi-même, mais seul avec Dieu, on peut. L’Évêque Théophane, par exemple, a essayé pendant longtemps et à plusieurs reprises de tout abandonner et de se retirer en réclusion, mais il n’y avait pas la volonté de Dieu. Juste comme en réponse à son désir, il fut déplacé à la chaire épiscopale de Vladimir. Seulement quelques années plus tard, il s’est retiré dans sa douce réclusion de «Là-Haut». Oui… un jour, vous et moi, Nicolas Mitrophanovitch, parviendrons-nous «Là-Haut»? Tôt ou tard, il le faudra… Qu’en dites-vous? Oui, c’est ainsi mon ami…
Peu de temps avant cela, un soir, Batiouchka avait de lui-Même, pas suite à mes questions, commencé à parler:
«Auparavant, je ne comprenais pas ce qui se passait dans le monde, et maintenant, quand je dois faire face à lui, il me frappe par sa complexité extrême et son irresponsabilité. Certes, il y a des joies, mais elles sont fugaces, instantanées. Et quelles sortes de joies? L’échantillon le plus inférieur, inférieur au 44e. Mais nous avons le bonheur, même un peu comme si c’était le paradis. Il y a, bien sûr, des afflictions, mais c’est temporaire… Il fait bien, celui qui se soucie de la vie intérieure contemplative, car elle lui donnera tout.»
Lundi 23 février
Il y a exactement deux ans, ce soir-là, Ivanouchka et moi étions avec le Père Gabriel à la gare de Briansk à Moscou, dans l’intention de venir au Désert d’Optina, sans avoir la moindre idée de ce que c’était. Deux semaines auparavant, je ne savais pas qu’Optina existait. Ainsi, après avoir quitté Moscou le 23 février, nous avons vu Optina pour la première fois le 24. C’est-à-dire que le jour de l’invention du chef de Saint Jean le Précurseur, nous avons acquis Optina en tant que havre à l’écart des tempêtes et des maux de la vie.
Je n’ose pas penser que cela ait pu se passer sans la Providence Divine. Après avoir erré sans but dans le désert de la vie, j’ai trouvé ici un trésor vraiment riche, caché aux sages et aux intelligents, et ouvert, accessible aux tout-petits, aux simples et aux cœurs malmenés. Mais il m’était caché, et j’aurais eu peine à le trouver de moi-même. J’ai été amené ici, je ne sais pourquoi, ni comment ni dans quel but…
Aujourd’hui, j’ai parlé un peu avec Batiouchka des événements importants qui se sont produits dans ma vie, et quand j’ai dit à Batiouchka que nous avions vu Optina pour la première fois le 24 février, Batiouchka a dit que ma vie était toute dans la Divine Providence. Et maintenant, je commence parfois à reconnaître une sorte de but intérieur, ou plutôt le sens des événements de ma vie, dans lesquels auparavant je n’avais jamais vu et connu que des faits extérieurs nus. Et j’ai été sauvé à plusieurs reprises, clairement, de la mort ou de l’invalidité.
Par exemple, une jour, je faisais du vélo à Moscou dans le but d’explorer une zone à la périphérie de la ville, que je connaissais très peu. J’allais de façon insouciante et calme, ne regardant pas vers l’avant, mais, pour autant que je me souvienne, à droite, une enseigne ou une maison. Tout à coup, j’ai tourné involontairement la tête et je vu à quelques pas de moi un attelage sur pneus, ceux-ci m’avaient empêché d’entendre le bruit des roues. Si je me retournais quelques secondes plus tard, je me retrouvais sous le cheval, soit complètement écrasé, soit mutilé. (A suivre)

Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.