Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…) J’ai un petit peu de temps libre et je pense, avec l’aide de Dieu, écrire l’une ou l’autre chose.
Il y a longtemps, c’est-à-dire voici quelques mois, pour autant que je me souvienne, j’ai parlé avec Batiouchka d’abord de la prière de Jésus, puis des charmes illusoires du monde, à première vue tout innocents et agréables, mais menant à une issue fatale. Lors de la conversation, j’ai dessiné dans mon imagination, à l’image des charmes du monde, des marais, qu’on trouve ici et là en Russie, mais beaucoup en Amérique. Ces marais ne diffèrent pas en apparence d’une belle prairie verdoyante avec des fleurs, mais il suffit d’un pas ou deux, et la fine et belle croûte de terre herbeuse se brise, et l’abîme aspire sa proie. Je l’ai dit à Batiouchka.
Et Batiouchka a répondu: «Oui. Et vous savez qu’en Amérique, dans ces marais, il y a de terribles monstres de grande taille. Ils ont sur la tête comme une couronne ou une crête. Les indigènes considèrent ces monstres comme leurs dieux et les appellent ‘kravanna’». Ce mot, ‘kravanna’, Batiouchka l’a prononcé de façon particulière, en l’accentuant. Et cela m’a fait m’en souvenir plus d’une fois, et j’ai décidé de le noter.
Le 31 décembre, Batiouchka m’a parlé des Hébreux, de leur ruse, de leurs artifices, et de certains de leurs secrets, par exemple, de leur attente de leur prétendu messie libérateur. Je ne savais rien à ce sujet, je n’avais même pas imaginé quelque chose comme ça. Cela m’a ouvert les yeux sur cette affaire, et il ne s’agit pas d’une bagatelle.
En conclusion de toute la conversation, Batiouchka m’a dit: «Je vous le dis pour que vous sachiez que le monastère est une chose et le monde en est une autre. Là, ils ne savent rien…

Saint Barsanuphe d’Optina

Dans les Sainte Écritures, par exemple dans l’Apocalypse, et même dans l’Ancien Testament, le mot ‘île’ apparaît. Par exemple: ‘et les îles espéreront en Dieu‘[Isaïe, 42;4]. Comment les îles peuvent-elles espérer? Le mot ‘îles’ signifie monastères. Et tout le texte signifie que, lors de la venue de l’antéchrist, c’est à peine si la foi sera encore préservée dans les monastères…»
Et parfois, il me semble vivre ce qui suit. Je suis calme; je sais que maintenant il y a une tempête de neige, du gel, mais il fait toujours chaud dans la kelia. Les murs ne laissent pas passer le froid, seulement on peut entendre le vent hurler dans sa trompe. Et il y a ce sentiment involontaire de joie parce que je ne suis pas dans le froid, mais dans une cellule chaude. Pareille impression, je l’ai ressentie dans le monde… De ce sentiment extérieur, je passe au spirituel, à l’intérieur, et je pense: et toute la Skite avec sa faible clôture en bois est une cellule commune chaleureuse et confortable, où nous nous chauffons tous et nous nous réjouissons que nous ne soyons pas dans le monde, car il y a du gel, il y a les tourbillons de fausses doctrines pernicieuses, arrachant de l’âme du pauvre jeune homme inexpérimenté tout ce qui est bon. Là, tout le monde est en danger de geler spirituellement, il y a rarement quelqu’un qui parvient à se réchauffer. Il y a une tempête de neige qui aveugle complètement les yeux, de sorte qu’ils ne voient rien, l’homme est aveugle. Il y a la tempête du mal… Et Dieu merci, je suis ici; je dois constamment remercier Dieu, en me rappelant où je suis et d’où le Seigneur m’a fait sortir.
Mercredi 7 janvier
Les saints jours de la Nativité sont passés, partis,  c’est-à-dire qu’ils sont partis pour l’éternité. Ils sont passés très vite.
Jour après jour, le temps s’envole, sans qu’on l’aperçoive. «C’est parce que nos Startsy, dit Batiouchka, ont très judicieusement réparti le temps au cours de chaque jour, donnant à chaque chose son temps spécifique.»
Voici déjà le deuxième jour de la Nativité, le deuxième nouvel an que je passe ici est parti. Seul Dieu sait si je vivrai jusqu’à ce moment l’an prochain ou si je terminerai avant mon voyage terrestre.
Et si je vis, serai-je à la Skite?… Tout est la volonté de Dieu, on doit s’y soumettre…
Voici ce que je voudrais noter. Je ne me souviens pas à qui nous avons d’abord annoncé notre intention d’entrer au monastère: si c’est au Père Seraphim ou au Père Piotr Sakharov. Au Père Seraphim nous l’avons dit en tant que confesseur; de plus, nous ne l’avions pas choisi: avant la confession, nous ne le connaissions pas et nous ne l’avions même jamais vu. Mais nous rencontrions le Père Piotr comme un ami, et nous lui demandions conseil. Pourquoi notre choix est tombé sur lui, je ne m’en souviens plus, mais je pense qu’il a été déterminé par des raisons et des circonstances particulièrement importantes. Récemment, je me suis posé cette question, et tout à coup la réponse a suivi dans mon âme: mais il est à l’église Saint Jean le Baptiste! Alors voilà pourquoi! En outre, il est proche de Mgr Tryphon et il nous a directement dirigés vers lui.
Maintenant, je vois que ce n’est pas par hasard, et donc nous devions aller auprès de lui et pas auprès de quelqu’un d’autre. Alors que nous avions des amis dans le clergé. Et en outre, j’avais déjà décidé d’aller chez un certain prêtre, un inconnu, et de lui déclarer mon désir de parler avec lui, avec comme but principal de la conversation d’aborder l’entrée au monastère. Mais tout cela s’est en quelque sorte effondré. La Providence Divine est partout, seulement nous ne la remarquons pas fort, ni très souvent. Et particulièrement en ce qui concerne les gens du monde, il faut le dire : pour eux, tout est hasard des circonstances, ce qui, en fait, n’est jamais le cas.
Récemment, le Père Archiprêtre Valentin Nikolaevitch Amphiteatrov est décédé à Moscou. Il fut d’abord recteur de l’église des Saints Constantin et Hélène et de l’icône «Joie Inattendue», puis, semble-t-il, de la Cathédrale de l’Archange Mikhaïl, puis il vécut en repos, devenu aveugle. Il avait été recteur de l’église où mon grand-père était staroste. Après le Père Valentin, ils ont nommé dans cette église, le Père Ioann Vassilievitch Rojdiestvenski, qui y est maintenant, celui-là même qui nous a bénis avec l’icône «Joie Inattendue».
Quand nous avons annoncé notre souhait à maman, bien qu’elle s’en doutait, elle fut quand même étonnée et décida d’aller demander conseil au Père Valentin. J’y suis allé avec elle. Quand maman eut expliqué au Père Valentin le but de notre visite, il répondit que maintenant personne ne devait donner des conseils, et en particulier dans une telle affaire, «au sujet de laquelle il ne pouvait conseiller». «Je n’ai jamais été moine», a-t-il dit, «…comment donnerais-je conseil?…» Puis, il pria pour nous souhaiter tout le meilleur et il voulut prendre congé. Alors je me suis adressé à lui et j’ai dit: «Bénissez-moi, Batiouchka, pour le monachisme.» C’est comme si j’avais dit cela, mais si je n’ai pas prononcé le mot «monachisme», je l’ai pensé, et le Père Valentin pouvait savoir que je ne demandais pas seulement sa bénédiction, mais sa bénédiction pour le monachisme. À ma demande, il se leva et me bénit en disant: «Dieu vous bénit. Au nom du Père et du Fils et du Saint-esprit». Il prononça les mots lentement, avec amour, et traça le signe de la Croix sur moi largement, et aussi lentement et enfin il m’embrassa, autant que je me souvienne, sur le front. À l’époque, c’était étrange pour moi, inattendu, et dès que j’eus reçu la bénédiction, j’ai immédiatement oublié tout cela.
Mais maintenant, j’ai l’impression que c’était une bénédiction pour la vie monastique. (A suivre)

Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.