Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…) Année 1909
Jeudi 1er janvier
Aujourd’hui, selon le calendrier civil, c’est le nouvel an. Après la liturgie, je suis allé chercher de l’eau au puits Ambroise et, quand je suis revenu, j’ai rencontré Batiouchka à l’église. Il avait célébré, et avec les concélébrants, il retournait chez lui. J’ai posé le seau et je suis allé demander sa bénédiction. Batiouchka, bénissant, m’a dit : «Je vous souhaite de vivre encore une année entière; vous avez vécu une année ici, et je vous en souhaite une autre, entière». Pour autant qu’il m’a semblé, Batiouchka insistait sur le mot «entière».
En fait, je ne me souviens pas exactement comment Batiouchka a dit: «Je vous souhaite», ou «Que Dieu vous donne», ou autre chose comme ça, mais je me souviens bien que le sens du souhait était celui que je viens d’énoncer.
Samedi 3 janvier
Un jour, alors que je parlais avec Batiouchka, il expliqua entre autres un texte de l’Évangile de Luc: il va par des lieux arides, cherchant du repos, et ne trouve pas [Lc.11;24-26].
«Que signifient ici ces lieux arides? Les âmes des gens faibles, vicieux, n’ayant aucune vertu. L’esprit mauvais ne voit aucun intérêt à séduire, à amener au péché de tels gens, pour lesquels pécher non seulement en pensée et en parole, mais aussi en actes est chose courante. Il introduit l’homme pareil dans le péché sans aucune lutte, comme il agit généralement dans le monde. Finalement, il décide de retourner à l’homme dont il est sorti, et il y va… Quand il est sorti de cet homme, celui-ci a ressenti une diminution de la lutte contre les passions: elles ont cessé de l’inquiéter. Et il s’abandonne à la distraction, arrête de se surveiller de près, tombe dans l’insouciance. C’est dans cet état que le mauvais le trouve, quand il revient à lui.
Voyant qu’il n’est pas prêt à lutter contre lui-même, profitant de son insouciance, le mauvais va et prend avec lui sept autres esprits mauvais, plus mauvais encore que lui-même, et il les fait entrer pour s’y établir: et le dernier état de cet homme devient pire que le premier… Par conséquent, vous devez toujours vous examiner vous-même…» Je ne me souviens pas bien, il semble que Batiouchka a dit que cet homme, quand les passions se sont calmées, a fait place à l’orgueil, et cela a contribué au fait qu’il est finalement tombé dans cette misérable situation…
Après le repas, Batiouchka nous a adressé brièvement quelques mots. Il a transmis la bénédiction de l’archimandrite et a exprimé le souhait que nous menions une vie monastique dans la mesure du possible, que nous marchions vers le seul but essentiel : le salut de l’âme, la Jérusalem Céleste, car nous ne devrions pas avoir d’autres objectifs, d’autres espoirs et espérances.
Dimanche 4 janvier
Un jour, Batiouchka a dit ce qui suit: «Dans la vie de l’homme, deux années sont importantes: la vingtième et la quarantième. Dans quel état ces années nous trouvent-elles? La quarantième est remarquable parce que c’est le nombre d’années de pérégrination des Hébreux dans le désert sur le chemin vers la terre promise, et vingt, c’est la moitié… C’est ainsi que l’évêque Ignace (Briantchaninov) l’explique.

Récemment, Batiouchka a accueilli pour le confesser et s’entretenir avec lui le hiérodiacre du monastère, le Père Varsis G. Après la confession, il a dit à Batiouchka:
– Bénissez, Batiouchka, que je vienne vers vous…
– Et tu veux venir comme ça?
– Non, Batiouchka, venir pour vous révéler mes pensées; je ne les ai jamais révélées à personne. Et maintenant, parfois, je demande quelque chose aux plus anciens, et ils rient de moi. J’ai donc décidé de vous demander la bénédiction de venir à vous pour révéler mes pensées.
Me racontant cela, Batiouchka ajouta: «Il me parle du monastère, mais moi je pensais : que dire à propos du monastère, nous avons la même chose à la Skite… ?».
Moi-même j’ai personnellement entendu ce qui suit: quand nous vivions encore dans l’ancien bâtiment avec le Frère Ivan, l’auxiliaire de cellule du Père Joseph, nous nous rendions un jour chez Batiouchka pour la bénédiction, et moi, par habitude mondaine, en marchant, je parlais à voix haute et forte avec le Frère Ivan. Et précisément, j’ai commencé à parler de la révélation des pensées. Alors Frère Ivan, continuant à avancer tranquillement, me tira par la main et me dit : «Parle plus bas… Ici, on n’aime pas la révélation des pensées.» C’était il y a presque un an. Je n’ai peut-être pas transmis les mots exact, mais le sens est exact.
J’ai remarqué d’autres défauts dans la vie spirituelle de la communauté des frères de la Skite. Et j’ai conclu qu’il s’agit vraiment de défauts, du fait que Batiouchka m’a dit une fois ce qui suit: «Notre Skite dans son organisation apparente est tout à fait bien adaptée, mais dans son édification spirituelle il y a des lacunes…
En voyant ces défauts, je juge la communauté, involontairement, par ma propre infirmité; bien que je lutte un peu contre le jugement, en quelque sorte je ne peux pas regarder cela et rester indifférent, car parfois je suis profondément attristé à l’idée que c’est chez nous, chez nous à la Skite!
Aussi, récemment, Batiouchka a dit: «maintenant, il est rare de pouvoir parler de Dieu, de la Vie Éternelle avec un moine. Tellement, la conversation est simple et ordinaire…»
J’écris tout cela pour que soit visible le point où le monachisme est tombé, le fait qu’il ne ressemble pas beaucoup au monachisme des premiers temps, que maintenant vous ne pouvez être sauvé que par l’humilité, la patience et la révélation des pensées, car nous n’avons aucun podvig. Cela, c’est ce que Batiouchka m’a dit et il explique l’affaiblissement du monachisme par l’affaiblissement et la perversion de la vie dans le monde, car il est naturel qu’un monde faible donne aussi des moines faibles.
Moi, par exemple, quel moine suis-je, quel novice suis-je? Je ne ressemble même pas à un moine. Ma vie n’est pas encore longue, mais comme j’ai vécu depuis ma naissance tout le temps dans le monde, et même dans la ville, alors il, c’est-à-dire le monde, a laissé son empreinte sur moi. Parfois, il y a des moments où je commence à être un peu conscient de ce que je viens d’écrire en ce moment. (A suivre)
Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.