Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
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21 décembre
Jamais je n’ai éprouvé de besoins matériels. Même au contraire, depuis les couches jusqu’à la mort de grand-père, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de treize ans, j’ai vécu presque dans le luxe. En outre, j’étais le favori de babouchka et, semble-t-il, de grand-père. En un mot, j’ai bien vécu. Je me souviens qu’il y avait un sapin de Noël pour la Nativité : la joie des enfants, les friandises, l’éclat des décorations, tout cela me plaisait. Et je me souviens bien d’une soirée. J’étais seul près du sapin. La pièce était dans la pénombre, une seule lampe était allumée, et l’ombre du sapin de Noël couvrait la plus grande moitié de la pièce. Et voici quelle pensée surgit dans ma tête: je suis repus, habillé, mes parents m’ont réjoui avec un beau sapin de Noël, je mange des bonbons, la pièce est douillette… Mais il y a, je sais qu’il y a, des enfants qui n’ont même pas le nécessaire. Il ne peut pas être question de sapin de Noël : ils sont à moitié vêtus, demandent l’aumône dans le froid ou sont assis affamés dans des sous-sols glacés. Cette pensée me fut si pénible, mon cœur se serrait si douloureusement, que j’essayais de chasser cette pensée hors de moi le plus vite possible. Oui, je ressentais beaucoup plus ces choses à l’époque que maintenant.
Je me souviens encore de ceci: une fois la veille de la Nativité, j’étais fort triste, accablé. Il est difficile d’exprimer cet état avec des mots; je ne voulais rien faire, je marchais d’un coin de la pièce à l’autre… C’était une sorte d’insatisfaction, tout à fait inexplicable. Maintenant, je pense que mon âme aspirait au réconfort spirituel, car je n’avais participé à aucun office à l’église ce jour-là, pas même aux vigiles. Oui, elle est sensible l’âme d’un enfant, elle aime Dieu, mais inconsciemment. Et heureux sont les enfants auxquels les parents apprennent à prier, leur parlent de Dieu, leur lisent des livres spirituels. Je faisait aussi partie de ces enfants bienheureux. Il est vrai que nous étions rarement emmenés à l’église, aussi loin que je me souvienne, mais à la maison, nous priions obligatoirement le matin et le soir. Nous priions à haute voix avec maman, et chacun de nous récitait à tour de rôle une petite règle par cœur. Pour autant que je me souvienne, c’était: «Roi céleste», «Notre Père», «Mère de Dieu et Vierge, réjouis-toi», la prière à l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan, une courte prière au saint protecteur et à Saint Nicolas le thaumaturge, une prière pour la santé de tous, en commençant par grand-père et terminant par mon jeune frère. Quand nos grands-parents sont morts, une autre prière, pour le repos de leurs âmes fut ajoutée.
Je ne me souviens plus maintenant, mais je crois qu’il y avait autre chose. En outre, nous lisions, en plus des livres profanes, la vie des saints, l’Évangile. Celui-ci était souvent lu par ma marraine actuelle, alors qu’elle était encore notre femme de chambre et en partie notre nounou. Tout cela procurait un grand bonheur que beaucoup n’ont pas et dont je n’avais absolument pas conscience auparavant.
Je vois que j’ai été très favorisé spirituellement, c’est pourquoi je répondrai âprement, très âprement et je pleurerai, si je ne porte pas le fruit approprié, car à celui qui a beaucoup reçu, il sera demandé beaucoup, et celui que dirige la volonté du Seigneur et qui ne produit rien, il sera longuement fustigé…
Sache-le et réfléchis, ô âme endurcie! Rappelle-toi pourquoi tu es venue au monastère, afin que le Seigneur ne soit pas offensé.
23 décembre
Aujourd’hui, cela fait exactement un an que nous sommes arrivés à Optina déjà, pour résider en permanence à la Skite; mais en réalité, c’est le 24 décembre que nous sommes entrés à la Skite.
Aujourd’hui, Batiouchka m’a parlé du fait que Saint Macaire le Grand, d’Égypte, et Saint Mitrophane de Voronège avaient pris une grande importance dans sa vie. Je ne suis pas en mesure d’écrire à ce sujet, mais je dirai que Batiouchka associe cela à mon père selon la chair, car son nom était Mitrophane (En souvenir de l’Évêque Mitrophane de Constantinople), et le nom de ce saint fut donc aussi porté par Saint Mitrophane de Voronège, dont le nom de moine du grand schème était Macaire (en l’honneur de Saint Macaire D’Égypte). Je sais que papa a longtemps vécu à Voronège, mais je ne me souviens pas s’il était ou non originaire de Voronège.
Le 20 décembre, l’Archiprêtre Ioann de Kronstadt, ce grand luminaire de la Terre de Russie est décédé, le jour donc où l’on commémore Saint Ignace le Théophore. Mais cette nouvelle est parvenue à notre Skite le 21 décembre seulement. Juste quand elle fut connue, Batiouchka arrivait à l’église (pour les vêpres du dimanche soir), et une pannychide fut célébrée. Après celle-ci, Batiouchka prononça quelques mots au sujet du Père Ioann.
«Il était un luminaire une lampe brûlante et éclatante, il avait le don d’une grande prière intérieure. Son activité était si grande qu’on se demande comment son corps faible pouvait supporter cela. Et on se souvient des paroles de l’Apôtre : la Puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse. On remarque que les gens de vie spirituelle élevée quittent généralement de cette vie le jour de la mémoire d’un saint qui, à un moment donné, a mené un podvig similaire ou avait le même don avec lui. Ainsi le Père Ioann est décédé le jour de la mémoire de Saint Ignace le Théophore, qui fut l’initiateur de la prière intérieure de Jésus… Prions de toutes nos forces pour le repos de son âme.»
Je ne me souviens de rien de plus.
Mais voici ce qui a retenu mon attention hier: j’ai revêtu la soutane le jour du transfert des reliques de Saint Ignace le Théophore, et je me suis souvenu des paroles de Batiouchka: «Je veux que vous marchiez sur cette voie», c’est-à-dire avec la prière de Jésus.
Mettant tout cela ensemble, j’en conclus que le chemin de la prière de Jésus m’est assigné d’En-Haut. Je l’ai dit à Batiouchka lors de la bénédiction. Il demeura un instant songeur puis me répondit: «Oui, c’est maintenant seulement que la signification de cela m’est révélée. Aide, Seigneur.»
Nous avons parlé ensuite des Juifs, de la façon dont ils se trompent en voyant dans les Saintes Écritures l’apparence seulement, sans comprendre le sens intérieur, c’est-à-dire que l’Ancien Testament est le prototype du Nouveau. Les Juifs comprendront cela quand il sera trop tard, c’est-à-dire lors du Jugement Dernier. Nous en avons beaucoup parlé, mais cela a commencé par le fait que j’ai remarqué la coïncidence du moment où j’ai revêtu la soutane avec le jour de commémoration de Saint Ignace le Théophore.
Batiouchka m’a cité un texte de l’Évangile: quand l’Apôtre Philippe a cru dans le Seigneur, il a annoncé la bonne nouvelle du Christ à Nathanaël, mais celui-ci n’a pas cru. Seulement quand le Seigneur lui dit:«Avant que Philippe t’appelât, lorsque tu étais sous le figuier, je t’ai vu», alors il a cru. Voyant sa foi, le Seigneur, lui dit: «Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois ! Tu verras de plus grandes choses que celle-là» [N.d.T. Jean, 1;50] «Ces paroles s’adressent à tout le monde, et je vous le dis: vous verrez de plus grandes choses. C’est le début de la purification de l’intelligence, quand quelqu’un commence à voir ce qu’il n’avait pas remarqué auparavant, ce que les autres ne remarquent pas, ce qu’il ne supposait même pas. Le Seigneur enlève progressivement le voile qui couvre les yeux intérieurs». (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.