Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…)
15 novembre
Le lundi 10 novembre à 8 heures du matin, Kirioucha est parti pour le service militaire et a été déposé à Kozelsk.
Le 13, Batiouchka n’est pas venu aux vigiles et ne m’a pas reçu. Pendant les vigiles, nous avons lu les notes des moniales de Chamordino concernant le Père Anatole. Le Père Serge Tchetverikov travaille à la rédaction de la biographie du Père Anatole. Le matériel a été rassemblé et envoyé par Batiouchka. Entre autres choses, le Père Tchetverikov a également reçu les cahiers manuscrits du Père Anatole intitulés «Théologie Mystique». Ce sont ses conversations avec un professeur, semble-t-il. Le Père Serge a promis de terminer toute la biographie pour Pâques.
«Je ne sais pas si je vivrai jusqu’à Pâques», m’a dit Batiouchka. «Aujourd’hui, pour la première fois de ma vie, j’ai eu un essoufflement en venant au repas». Récemment, Batiouchka a parlé plus d’une fois, de manière générale, de la mort. Voici peu, alors que j’étais assis et écrivais dans la cellule de Batiouchka, il a commencé à enlever ses bottes devant moi. Quand il les eut ôtées, et avant qu’il se soit à nouveau chaussé, je me suis tourné vers lui pour une raison que j’ignore, et Batiouchka, me montrant sa jambe nue, a dit:
– Vous avez remarqué?
– Oui, Batiouchka, je vois que c’est gonflé.
– Mes jambes commencent à gonfler, et c’est un signal d’une mort plus ou moins proche… Disant cela, Batiouchka semblait complètement calme, et je devins songeur, involontairement.
Un autre jour, Batiouchka dit aussi qu’il commençait à s’affaiblir le soir. «Parfois, je peine à me tenir assis», dit-il. Plus d’une fois, Batiouchka a également dit : «Mais aller là-bas, ….. avec quoi?».
Tout ça me fait penser à la mort de Batiouchka. Il est difficile d’accepter, de se réconcilier avec cette pensée. Ce sera une perte pour moi, bien sûr, si Dieu veut que je survive à Batiouchka. Je ne souhaite qu’une chose: que Batiouchka meure en même temps que moi, c’est-à-dire avant mon service militaire, ou quand je reviendrai du service. Mais cette dernière possibilité n’est guère possible, selon les paroles de Batiouchka. L’hiver dernier, il a dit une chose: «je prie Dieu de me garder encore un an ou un an et demi, pour que vous soyez plus fort, que vous teniez sur vos pieds.» Plus de six mois se sont écoulés depuis.
Plus d’une fois, j’ai souhaité parler à propos de tout cela à Batiouchka et résoudre les questions liées à sa mort, afin que je ne sois pas écrasé par le chagrin, ne me désespère pas, pour me préparer un peu à elle, pour savoir où aller et que faire.
16 novembre
«Examinez les événements de votre vie», me dit Batiouchka, «tout a un sens profond. Maintenant, vous ne les comprenez pas, mais plus tard, beaucoup de choses se révéleront. Pourquoi donc, par exemple, ne vous ai-je pas envoyé aujourd’hui aux vigiles, et n’avons-nous pas commencé à lire au sujet du Père Anatole? Pourquoi aujourd’hui et pas n’importe quel autre jour? Cela signifie que c’était nécessaire, mais pourquoi, nous ne le savons pas maintenant…
Quand le Père Anatole n’avait pas encore le rang de hiéromoine, quelqu’un s’approcha de lui pour recevoir sa bénédiction (Je ne me souviens plus bien maintenant, seulement que c’était quelque chose comme ça). Quand nous avons lu cela dans ses notes, Batiouchka [N.d.T. : Batiouchka Anatole] nous parla de lui et dit qu’on venait lui demander sa bénédiction alors qu’il n’avait pas encore le rang de hiéromoine.»
Et je me suis souvenu que le Frère Kyrill m’avait parlé d’une vieille femme qui avait commencé à se repentir de ses péchés auprès de lui alors qu’il marchait sur le chemin de la Skite vers le monastère. Il lui dit : «Je ne suis qu’un simple novice», mais elle continua; il accéléra le pas, la femme marcha plus vite. Il courait presque et elle le suivait. Je l’ai raconté à Batiouchka.
– Le Frère Kyrill, dites-vous? demanda Batiouchka.
– Oui.
– C’est remarquable.
Hier, quand j’écrivais chez Batiouchka, lui, lisait la lettre d’une certaine jeune fille qui était venue le voir, et il me raconta ce qui suit à son sujet. «Cette fille joue très bien, elle aime la musique classique».
– Qui aimez-vous le plus jouer?
– Beethoven, Haydn, répondit-elle.
– Il y a de la musique encore meilleure.
– Laquelle? Mozart? me demanda-t-elle.
– Non, encore mieux.
– Peut-être Bach?
– Non, non.
– Laquelle? Je ne sais pas, dit-elle.
– La musique de l’âme.
– La musique de l’âme? Existe-t-il une telle musique?
– Et comment, elle existe!
– C’est la première fois que j’entends cela. Quel genre de musique est-ce?
– C’est la paix de l’âme. La paix même dont il est dit dans l’Évangile: «Prenez sur vous mon joug, et recevez mes leçons, car je suis doux et humble de cœur; et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau léger?» [Mat.11;29-30]. C’est cette paix. Avez-vous étudié les mathématiques? Vous savez ce qu’est un signe égal ? Eh bien, voici: la paix de l’âme est égale au bonheur et égale à cette musique, l’harmonie de toutes les forces spirituelles.
– Voilà donc ce qu’est cette musique!
Elle m’a tellement plu, cette jeune fille si gentille. Une autre vient, et on oublie tout, la peine et le chagrin. Avec d’autres, il faut raconter «Le conte du taureau blanc». Connaissez-vous ce conte? (J’ai répondu par l’affirmative). Mais l’âme pareille à celle de cette jeune fille saisit tout immédiatement… Vous me comprenez?»
– Oui, Mon Père.
– Ah!.. Je vous aime parce que vous me comprenez. Il y en a d’autres qui me comprennent aussi.
Après, Batiouchka m’a dit: «tout dans l’Évangile, en plus du premier sens, le plus clair, de ce texte, a aussi un autre sens plus caché et secret… Ainsi, par exemple, le récit évangélique de l’expulsion des vendeurs et des acheteurs dans le temple a tout d’abord, bien sûr, le sens que le Christ, voyant ces exactions dans le temple, s’est indigné et, prenant un fouet, en a chassé les vendeurs et dispersé l’argent des changeurs. Mais c’est aussi l’image de l’expulsion des Juifs de l’Église de l’Ancien Testament (il semble bien que Batiouchka ait dit «de l’Ancien Testament»). Ainsi, après avoir été chassés de l’Église, ils restent en dehors d’Elle et sont perdus malgré le fait qu’ils furent le peuple élu de Dieu, mais maintenant il est rejeté et maudit. Seul un petit reste, dit-on, sera sauvé. Leur malédiction et leur rejet sont clairement prouvés par le fait que partout où ils apparaissent, on sent le coup d’État et tout ce que vous voulez…» (A suivre)
Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.