Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
(…)
14 octobre
Un novice quitte la Skite, le frère Kirill Zlenko (Le huit, il a commencé le service militaire). Il était le secrétaire de Batiouchka. Maintenant qu’il est parti servir la patrie, j’ai été désigné pour poursuivre son obédience. J’ai commencé à accomplir cette obédience le samedi onze octobre, mais pas encore tout à fait, car Kirioucha (Beaucoup l’appellent ainsi) était encore à la Skite. J’ai réellement commencé cette obédience le lundi treize octobre. Le vendredi trois octobre, Batiouchka m’avait béni pour une nouvelle obédience: la rédaction du courrier.
Un jour, lors de la bénédiction, Batiouchka m’a demandé:
– À votre avis, qui a le plus de mal à vivre dans la simplicité?
– L’orgueilleux, Mon Père.
– Non, de façon générale parmi tous ceux qui en ont le souhait?
– Je ne sais pas.
– Le supérieur. Être supérieur de la communauté est extrêmement difficile.
Et une autre fois, il y a longtemps, Batiouchka avait dit à ce sujet:
«Le temps où j’étais novice fut le plus heureux. Je ne connaissais que l’église, les repas, l’obédience et ma cellule…»
Un jour, alors que je me repentais d’être en retard, bien que très peu, pour les matines et la liturgie, Batiouchka a dit: «Dieu pardonnera. Essayez de toujours arriver à l’église avant que sonnent les cloches. Soyez déjà à l’église quand sonne le premier coup. Ainsi nous ont enseigné nos Startsy: le Père Macaire, le Père Ambroise, le Père Anatole, et donc, je vous le dis, faites-le…»
Un jour, le Père Agapit est venu à moi, il y a peu, voici quelques jours, et a dit que le Père Ambroise (alors qu’il avait entendu cela lui-même) avait dit que l’Antéchrist n’était pas loin…
Et quand j’entends parler de l’Antéchrist, des temps présents difficiles, des horreurs dont le monde est rempli, de la mort, de sa possible arrivée par surprise pour chacun et de tout ce qu’elle comporte d’inconnu, alors, c’est comme si j’étais horrifié, comme si mon esprit s’arrêtait sur cette pensée et je décide de mieux me comporter, de me préparer au cas où … Mais cela ne dure pas. D’une manière ou d’une autre, cette pensée s’enfuit très rapidement, ne laissant aucune trace.
16 octobre
Maintenant que j’ai commencé ma nouvelle obédience de rédacteur du courrier, je bois le thé du matin chez Batiouchka. Parfois, la conversation concerne la vie spirituelle et le monachisme, et s’éloigne un peu des affaires à traiter.
Ainsi, par exemple, Batiouchka a parlé du monachisme: «Tout le monachisme ne se résume pas à la soutane et la kacha. On enfile la soutane, on comme à manger de la kacha et on se dit : voilà, ça y est, je suis devenu un moine maintenant. Non, l’aspect extérieur en lui-même n’offre aucune utilité. Certes, vous devez porter des vêtements monastiques et jeûner, mais ce n’est pas tout! La lampe, alors qu’elle ne brûle pas, ne justifie pas son objet, qui est de luire. Peut-être quelqu’un la bousculera-t-il et la brisera-t-il dans l’obscurité. Qu’est-ce qui manque? Le feu! Certes, la mèche et l’huile sont nécessaires, mais tant qu’il n’y a pas de feu, si elle n’est pas allumée, elle ne profite à personne. Quand elle est allumée, immédiatement la lumière se déverse. Donc, dans le monachisme, l’apparence seule apparence ne suffit pas, la lumière intérieure est nécessaire. Le Père Anatole a dit que le monachisme est l’homme caché du cœur [N.d.E. : 1Pierre 3;4]».
19 octobre
Aujourd’hui, nous avons une fête de dédicace de l’église : la commémoration de Saint Jean de Rila. La liturgie a été célébrée par le Père Archimandrite.
L’autre jour, Batiouchka m’a donné la bénédiction pour lire le livre «la Vie et les podvigs du Père Alexandre de Gethsémani». «C’est un livre en or», m’a déclaré Batiouchka.
Une fois en ma présence, Batiouchka a demandé au frère Nikita:
– Y a-t-il des mendiants?
– Oui.
– C’est bien! Tant qu’il y a des mendiants, Dieu merci, tout va bien, le monastère reçoit des offrandes. S’il n’y a pas de mendiants, il n’y a pas d’offrandes… J’ai remarqué ça.
Je n’ai consigné que le sens des mots. Il est interdit aux frères de la Skite de faire l’aumône. Au début, cela m’a un peu gêné, mais maintenant plus du tout, car Batiouchka donne pour tout le monde.
Il y a cette instruction admirablement correcte du Père Ambroise: «Être embarrassé n’est repris nulle part au nombre des vertus. Cela vient du fait que la raison de laquelle naît l’embarras, la confusion intérieure est fausse». Cette règle, si je peux dire ainsi, je l’ai déjà vue plusieurs fois confirmée par ma propre expérience.
Un jour, Batiouchka, me montrant une lettre rédigée par une main ayant apparemment délibérément déformé l’écriture, me dit: «En voilà une lettre! On m’y traite avec les mots les plus vulgaires. Surtout pour mes entretiens au monastères. Je pense à l’un ou l’autre… Mais qui que ce soit, en tout cas, c’est [mon] bienfaiteur. Peut-être que le Seigneur me pardonnera pour cela un de mes péchés.»
Cela a probablement été écrit par un moine du monastère. J’ai relevé à plusieurs reprises des paroles de Batiouchka selon lesquelles il y avait des persécutions contre lui, c’est-à-dire contre Batiouchka, qu’il n’était pas aimé. Et l’Évêque Tryphon, quand il nous a bénis pour le monachisme, a dit: «Vous savez qu’il y a un parti contre le Père Barsanuphe. S’ils viennent à vous et disent quelque chose comme ça, alors répliquez leur bien face, directement: «Pardonnez-moi, mais nous ne pouvons juger notre Starets.»
J’ai oublié ses paroles exactes, mais le sens en est de ne pas accepter ceux qui condamnent notre Starets, de les éviter et de ne pas les écouter, de ne pas y prêter attention.
22 octobre
Aujourd’hui Optina est en fête. En effet, notre église principale est celle de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan! Et c’est la fête dans ma cellule: Mgr Tryphon, avant notre premier départ pour Optina, m’a béni avec l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan. J’ai oublié la date exacte, mais il semble que ce soit avant notre départ, c’est-à-dire le 22 ou le 23 février 1907.
Quand maman a accepté notre décision, elle est venue avec nous et notre professeur de religion du Gymnase, le Père Piotr Sakharov chez l’Évêque Tryphon sur l’invitation de G. Vladika l’a rassurée: «Ne vous inquiétez pas, ils ne verront rien d’autre que le bien».
Nous sommes entrés dans la pièce où se trouvait Vladika en même temps que le Père Gabriel, aujourd’hui hiérodiacre au Désert d’Optina, à l’époque moine tonsuré par Vladika. Celui-ci dit «L’Archange Gabriel a toujours été un messager, et Dieu vous a envoyé le Père Gabriel». J’ai oublié les mots exacts de Vladika et même leur signification, mais je me souviens que le Père Gabriel était comparé à l’Archange Gabriel, et cela nous concernait, concernait notre situation.
J’ai raconté cela à Batiouchka l’autre jour et il a dit :
– Vous êtes devenu moine suite à cela. Vladika, en tant qu’homme au caractère joyeux, a peut-être dit cela en plaisantant, mais les paroles de l’évêque font force. Quand êtes-vous arrivés ici à la Skite?
– Le 23 décembre, nous avons quitté Moscou le 22 décembre.
– C’est cela. Le jour où on célèbre la mémoire de Sainte Anastasia qui coupe les liens. C’est compréhensible: vous vous êtes coupés des liens du monde, vous vous êtes débarrassés de ses chaînes.
– Père, mais c’était avant la Nativité du Christ, nous sommes passés de l’hôtellerie à la Skite le 24 décembre, la veille de la Nativité. Cela ne voulait-il pas dire que nous étions en quelque sorte nés à une nouvelle vie?
– Bien sûr. Toute la vie, je vous le dis, est un divin mystère, connu de Dieu seul. Il n’y a pas d’enchevêtrements de circonstances aléatoires dans la vie; tout est Divine Providence. Nous ne comprenons pas la signification de telle ou telle circonstance; il y a beaucoup de coffres devant nous, mais pas de clés. Il y avait (ou il y a, je ne me souviens plus) des gens à qui cela est révélé… (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.