Journal du novice Nicolas (Saint Nikon) d’Optina (39)

Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…)

15 août
Voilà que déjà le carême de la Dormition est terminé. Le temps n’attend personne: il vole, il vole…
Le 12, à nouveau, un troisième locataire s’est installé, mais pas pour longtemps, pour jours 10. C’est un étudiant de l’Académie de Moscou, Vitali Stepanovitch Stavitski. Il pense devenir moine.
Le 8, dans la soirée, le fol-en-Christ Mitienka, qui demeure chez le Souverain, s’est promené dans la Skite, et il s’est introduit dans notre bâtiment. Il semble avoir auparavant été psalmiste ici à la Skite, mais pas pour longtemps. Il m’a plutôt fait une bonne impression. Je n’ai pas eu le temps de me renseigner à son sujet auprès de Batiouchka. Il est arrivé très soudainement. Après nous avoir salués selon la coutume monastique, il est allé dans ma cellule et dans la salle commune. S’il n’y avait pas eu ce monsieur qui l’accompagnait, alors je n’aurais rien compris à ses paroles. Comme me l’expliqua ce monsieur, Mitia m’a dit : «Gentille fillette, où êtes-vous tombée?» Il répéta cela plusieurs fois. Il a dit aussi autre chose à propos du Père Ambroise : sommes-nous allés auprès du Père Ambroise ou quelque chose du même genre, je ne sais pas. Il a passé deux, trois minutes chez nous et est parti.
Je voulais aussi écrire une histoire au sujet du Père Ioann (Polevoï). Le Père Ioann est un homme bon. Une fois, j’ai parlé avec lui de la mort.
«Écoutez, (commença-t-il]) je vais vous raconter un cas; il semble que je ne vous l’ai pas encore rapporté. J’avais un parent qui avait une fille à la pensée libérale. C’était un homme dur, mais il allait à l’église tous les dimanches, il confessait Dieu. Je ne peux pas donner d’autres détails. Il est tombé malade et était très mal, mais pas au point de s’attendre à une mort rapide. Sa fille était assise sur une chaise au milieu de la pièce, il était allongé sur le canapé. Soudain, sa fille vit qu’il commençait à regarder quelque chose, de plus en plus, et l’effroi se lut sur son visage. Ce visage prit une expression terrible, ses yeux roulèrent…
Et il continuait à regarder fixement avec une horreur toujours grandissant… et il mourut. Sa fille était fut tellement effrayée qu’elle a courut en criant hors de la pièce et, s’enfuyant, tomba. On finit par la trouver dans cet état et on la redressa et la calma. Apparemment, il avait vu des démons.
Puis, lors de ses obsèques, je suivais dans une télègue, avec sa fille et son vieux médecin, un homme à l’esprit sceptique, mais intelligent. Cette dame lui raconta comment son père était mort et demanda :
– Que s’est-il passé, serait-ce de douleur qu’il changea si vite d’aspect? Comment expliquer cela?
– Non, il a vu quelque chose, répondit le docteur.
– Et d’ailleurs, quelle douleur peut faire apparaître l’effroi? La douleur peut faire paraître de la souffrance sur le visage, mais pas l’horreur. Sauve-nous, Seigneur, et aie pitié! (Le Père Ioann se signa.). Oui, quelle terrible transition de cette vie au monde des esprits, pour l’homme qui vit une vie charnelle, corporelle!..
Voici un événement de la vie de mon grand-père. Il contracta une maladie mortelle. Un jour, il dit à sa femme, ma grand-mère.:
– Annouchka, j’ai vu des démons!
– Alors quoi?
– J’ai dit: «Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur!», et ils se sont encourus loin de moi…
Ces histoires m’influencèrent favorablement et j’ai décidé de les consigner.
21 août
J’écris rarement, je n’ai pas le temps. Je me souviens parfois des instructions de Batiouchka, et je dois les écrire.
Quand Batiouchka a précisé comment nous devions observer le jeûne, il a dit qu’il fallait manger suffisamment, sans être repu : «Mangez autant que vous avez besoin, et ne vous en troublez pas. Mesurez votre besoin. Chacun a son propre besoin: l’un a besoin de quarante cuillerées pour être rassasié, l’autre de vingt, et un troisième, même de dix. Ainsi, mesurez donc votre besoin. Il est plus pratique de le faire en comptant le nombre de cuillerées de nourriture dont vous avez besoin pour être rassasié. Et combien d’autres en mangent, c’est leur affaire, ne les regardez pas.»
Un jour, j’ai dit à Batiouchka que j’étais demeuré longtemps assis au travail dans ma cellule et que je m’étais levé et avais commencé à marcher à l’intérieur de la cellule… Batiouchka a répondu : «Mieux vaut s’habiller chaudement et s’asseoir sur le porche ou marcher dans la Skite, mais il ne faut pas marcher dans la cellule.»
J’ai oublié ce dont nous avons parlé ensuite, et même, je n’y ai pas prêté beaucoup d’attention, mais je m’en suis rappelé plus d’une fois, j’ai donc décidé de le noter.
Ce jour-là, je suis venu chez Batiouchka, et lui ai dit ce dont j’avais besoin. Puis je voulus partir, quand Batiouchka (sauve-le, Seigneur!) m’a dit: «J’ai quelque chose pour vous, attendez…». Batiouchka passa dans une autre pièce et revint quelques minutes plus tard. Il me donna alors une livre de thé Goubkine-Kouznetsov à deux roubles. Nous avons commencé à parler de thé, de sociétés de thé.
Puis le Père a dit: «Pour le moment, Dieu merci, il y a encore de grandes entreprises russes riches, nous pouvons encore obtenir des thés plus ou moins bons. Mais partout, les Juifs se faufilent. Partout, ils crient: «Vysotski, Vysotski!» Mais quel genre de thé a-t-il? Il ajoute de l’acide tannique dans le thé. Il a du thé à deux roubles et trente kopecks; il semble qu’il pourrait être bon; donc je l’ai comparé avec celui de notre frère (Goubkine-Kouznetsov) à un rouble soixante kopecks, et le nôtre est beaucoup mieux. Je me demande comment ils peuvent rivaliser avec nos grandes entreprises russes à Moscou, Saint-Pétersbourg? Il est effrayant de penser à ce dont ils vont nous abreuver, les Juifs, quand ils prendront le dessus sur les Russes? Je ne vivrai pas jusque là, mais vous vivrez jusqu’à ce moment-là, souvenez-vous de mes paroles…».
Vitali Stepanovitch a beaucoup aimé la Skite. «Si je pouvais, je resterais ici pour toujours», a-t-il déclaré. Sauve-le, Seigneur!
Nous allons à nouveau voir venir maman, et les Tsvetkov.
J’ai reçu une lettre de Yacha Vassiliev, demandant de lui renvoyer ses lettres qu’il m’a écrites. Avec la bénédiction de Batiouchka, j’ai exécuté sa demande. Sa lettre est très sèche, courte; un ami ne pourrait écrire ainsi. Que le Seigneur soit avec lui. S’il veut rompre avec moi, je n’ai rien contre. Je suis désolé pour lui car il est perdu, alors qu’il pourrait être un homme très bon. Gloire à Dieu, je suis ici à la Skite, pas là-bas, dans un monde qui est un monstre, et engloutit les âmes des hommes… (A suivre)
Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.