Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…)

19 juillet
Le 17, on a terminé la fenaison. Quelques travailleurs et plusieurs frères fanent juste encore à la datcha de Rybna. De nouveau, je ne sors pas de la Skite, de nouveau, je me trouve dans ce silence vivant. De façon générale, j’étais heureux d’aller faner, surtout quand on peut se retirer au calme quelque part sur le côté, seul et garder le silence. Pour la plupart des repas, on est allé à la Skite. Je devais travailler au râteau, c’est plus difficile, car c’est un outil plus long et moins maniable. Mais Gloire à Dieu pour tout. Je n’ai jamais travaillé comme ça dans le monde et je ne me sens pas fatigué. Et le travail est utile, au milieu de la nature à l’air libre.
Batiouchka nous a remerciés quand nous sommes venus pour la dernière fenaison, et il a dit que lui aussi venait faner, en son temps, et toujours, il en repartait avec un sentiment agréable. Moi, je m’approche toujours de la Skite avec un sentiment agréable plus ou moins important. Douce Skite!
24 juillet
L’an dernier, au printemps, quand je suis reparti d’Optina à Moscou, tout le monde m’a demandé: «J’ai entendu que vous êtes allé au monastère? Alors, comment? Quoi?…» Tout le monde a été extrêmement surpris que je veuille aller au monastère. Je me souviens d’une jeune femme, de vingt-deux, vingt-quatre ans, mariée depuis seulement deux ou trois ans (des gens ne vivant rien de spécial, bien que de classe moyenne). Quand elle me rencontra, elle me posa pareilles questions. Je répondis par l’affirmative.
– Vous êtes un homme heureux, dit-elle.
– Oui, Gloire à Dieu.
– Oui, mais tout le monde ne peut pas… Adieu.
On s’est séparés. C’est le genre de chose que peut dire celui qui n’est pas satisfait de sa vie, c’est-à-dire qu’il considère l’autre comme plus heureux que lui-même. Et pourquoi ne pas se contenter de sa position? Pas beaucoup d’argent? Tout de même suffisamment pour être tout à fait convenable, même s’habiller avec panache, avoir un domestique, un appartement propre de plusieurs pièces, être rassasié, au chaud. Qu’est-ce qui manque?.. Et une telle insatisfaction est très courante chez beaucoup de gens dans le monde: ils cherchent, cherchent, et ne trouvent pas, car ils cherchent, comme le dit Batiouchka, mais pas là où on peut trouver.
J’envoie mon ingrate gratitude au Seigneur Dieu de ce que je suis ici dans notre douce Skite! Je crains de devoir quitter la Skite, et je prie Dieu d’avoir pitié de moi, indigne de Sa miséricorde. Je ne sais pas comment vivent mes camarades de lycée, je ne reçois aucune nouvelle, Dieu merci, mais ce que j’ai appris de ceux qui sont encore dans le monde encore est décevant. Deux se sont tués en duel (j’ai oublié pour quelle raison), un autre a été coupé en morceaux par un train et est parti pour l’éternité dans un état d’esprit que j’ignore, il faisait partie des rouges, l’année dernière il n’a pas communié aux Saints Mystères du Christ.
Un autre encore est en prison pour activités social-révolutionnaires. Et un autre encore s’y trouve aussi, pour ses nouvelles idées exprimées dans sa relation hostile avec un de ses parents qui disait de ses fils: «Je n’ai plus d’enfants». Ensuite, beaucoup de mécréants ou de peu-croyants, infectés par de nouvelles et fausses idées. Voilà l’état de mes pairs! Mon Dieu! Mon Dieu! Pourquoi as-tu été si miséricordieux envers moi au point de me placer sous la protection de la Très Sainte Mère de Dieu et de Saint Jean-Baptiste dans le silence de la Skite, loin de toutes ces horreurs dont le monde est saturé!
De telles horreurs et d’autres encore plus grandes remplissent, comme je l’ai vu et entendu, toute la vie du monde. Merci, Seigneur, de me permettre d’être ici à la Skite. Je ne sais comment Te remercier, aie pitié de moi!
31 juillet
Le 29 juillet, Optina a reçu la visite par Son Eminence Nikon, Evêque de Vologda. Il est venu chez nous à la Skite à trois heures. Il a été dans les deux églises, chez le Père Joseph et chez Batiouchka, et environ a seize heures trente, il est allé au monastère, accompagné du Père Archimandrite Xénophon et d’un responsable de la sécurité. Vladika nous a adressé quelques mots, à nous, tous les résidents de la Skite, dans l’église de Saint-Jean le Baptiste. J’ai aimé sa façon de parler. Il a parlé de la nécessité et de l’utilité des afflictions pour nous: «Si nous n’avions pas d’affliction, c’est-à-dire de ressentiment et de mécontentements divers, si rien ni personne ne nous affectait, s’il n’y avait pas de tentation, comment pourrions-nous nous connaître, connaître nos passions, nos péchés? Si personne ne m’afflige, je ne serai évidemment pas irrité, en colère. Si nous vivons bien et calmement, sans aucune affliction, nous nous considérerons comme des justes, impassibles, et notre pharisien intérieur grandira, nous serons enveloppés d’orgueil. Si nous endurons le chagrin, le ressentiment, nous connaîtrons involontairement nos infirmités, nos passions. Nous ne penserons pas que nous sommes fiers, malicieux, colériques ni sujets à d’autres passions. Lorsque nous sommes offensés, immédiatement, comme des reptiles, nous agitons nos passions qui surgissent du fond de notre cœur et nous voyons immédiatement que nous sommes très faibles, pleins de passions, et nous nous résignons involontairement. Il est donc clair que nous ne devons pas nous mettre en colère contre les gens qui nous causent du chagrin, car ils sont nos meilleurs bienfaiteurs, qui nous ont révélé nos faiblesses que nous n’imaginions pas en nous-mêmes. Nous devons les traiter avec douceur et prier pour eux. La conversion douce accomplit des miracles, fait fondre les cœurs de pierre, mène au chemin du salut…
Pourquoi, en fait, avons-nous du chagrin? Chacun porte sa croix. Sur la croix se trouvent les tribulations et l’adversité que l’homme rencontre sur son chemin de vie. Pourquoi la croix s’est-elle formée? Regardez donc une croix telle qu’elle est: composée de deux lignes; l’une va de bas en haut et l’autre la traverse. La croix de notre vie est également ainsi formée: la volonté de Dieu nous tire de bas en haut, de la terre au Ciel, et notre volonté se met en travers de la volonté de Dieu, s’y oppose. D’où les afflictions, car une lutte se produit en nous et nous fait mal au cœur. Et aux moments de l’affliction, nous devrions dire: «Que Ta volonté soit faite, Seigneur!» et immédiatement, nous nous sentirons plus léger, à l’aise, dans notre cœur, nous nous calmerons. Dès que nous orientons notre volonté selon la volonté de Dieu, il n’y a plus de croix, comme cela arrive avec une vraie croix, lorsque les deux barres sont orientées dans le même sens…
Vous êtes bien, ici, saints pères, que le Seigneur vous aide. Dans nos saintes demeures, on sent qu’il y a encore la foi du Christ, même si maintenant il est clair pour tous que le malin s’est armé contre la foi, contre l’Église du Christ… Les gens du monde essaient de venir se recueillir au monastère, s’y reposer, obtenir des conseils, des instructions, comment faire face aux passions, vivre quelques moments dans le saint monastère. Les confesseurs du monde s’offusquent de ce que ces gens ne viennent pas chez eux pour la confession; et, les pauvres, ils n’en comprennent pas la raison…» (A suivre)
Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.