Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…)

28 juin
Hier, je me suis repenti auprès de Batiouchka de n’avoir pas fait les cinq cents à cause de la fatigue. «Dieu pardonnera», a dit Batiouchka, «Mais vous devez toutefois vous le reprocher. C’est ce que nos grands startsy ont enseigné. Avec les reproches que vous vous adressez vous-même, cela devient profitable. Abba Dorothée et Saint Jean Climaque disent que s’adresser des reproches consiste en une élévation invisible.
Tout comme l’homme ne remarque pas comment il grandit, comment d’un petit garçon il devient un adulte, la croissance spirituelle de l’homme est complètement invisible pour lui. Et s’adresser soi-même des reproches fait partie de cette croissance spirituelle invisible de l’homme…»
– Puis d’une certaine manière, je me suis également repenti de ce que j’étais aux vœux de la fête onomastique du Père Arsène, c’est-à-dire que j’ai bu du thé après le dîner.
– Il y eut des paroles oiseuses? demanda Batiouchka.
– J’ai gardé le silence, répondis-je.
– Oui, c’est toujours le cas: ils commencent comme s’ils étaient bons, mais ils finissent avec des paroles oiseuses et des jugements; ils commencent par boire à la santé, et finissent par le repos de l’âme. C’est la raison pour laquelle nos startsy ont interdit de célébrer les fêtes onomastiques ou d’aller voir l’un ou l’autre pour boire du thé.
– Quand je fais la prière de Jésus ou les cinq cents, je suis très distrait, ma pensée saute d’une chose à l’autre, elle s’enfuit partout, mais pas dans les mots de la prière.
– Mais malgré cela, les lèvres sont sanctifiées par le nom du Seigneur Jésus-Christ, dit Batiouchka.
Une fois, j’ai rencontré dans la Skite un moine rasophore du monastère, le Père George :
– Alors quoi de neuf? Comment allez-vous? Moscou ne vous manque-t-il pas?
– Je rends grâce à Dieu, Batiouchka.
– Oui, et moi je n’ai plus pensé à Moscou pendant deux ans, mais maintenant je m’en souviens, même parfois j’y pense. Que le Seigneur vous aide!
– Que le Seigneur vous sauve, Batiouchka, répondis-je, et je me suis dit: si je vis, je n’échapperai pas à ce genre de situation.

Saint Nikon d’Optina

Il y a deux semaines, le Père Ioann (Ivan Vassilievitch Polevoï) a reçu la bénédiction de Batiouchka pour m’emmener marcher un peu dans la forêt avec lui. J’y suis allé et j’ai remarqué que le Père Ioann, regardant les pins, le ciel et toute la nature, se souvenait sans cesse de Dieu, de la mort, de l’immortalité, de la vie éternelle, etc. Toute la nature lui parle de Dieu et de ses œuvres merveilleuses. Et moi, pécheur, regardant tout ce qui existe, je ne passe pas du tout du temporel, du visible, à l’infini, l’invisible. Nous avons parlé un peu de la mort et nous sommes souvenus d’elle.
Et je me suis souvenu du passé lointain de mon enfance, il y a treize ans. Je me souviens d’une nuit noire, du moins tous les frères qui dormaient avec moi, dans la même chambre, étaient endormis. J’avais six ou sept ans. Je ne dormais pas, je pensais à Dieu, à la mort et à l’éternité sans fin, soit bonne, soit pleine de tourments terribles. Je pensais, bien sûr, complètement à la manière d’un enfant. Je n’imaginais pas hériter de la béatitude après la mort. Non, mon idée de la mort s’est immédiatement tournée vers les tourments éternels qui frapperont les pécheurs, et qui n’auront pas de fin. La terreur avait saisi tout mon être, je tremblais tout entier, je tremblais, le visage enfoncé dans l’oreiller et je pleurais amèrement. Ce qui m’impressionnait particulièrement, c’est que la vie future n’aura pas de fin.
Apparemment, je croyais en tout cela à l’époque, et plus encore, j’imaginais en détails ce à quoi je pensais, bien que de manière enfantine, sinon ces pensées ne pourraient pas avoir agi de cette façon sur moi. Je pense même que je me suis consolé en tentant de chasser la peur. Je me souviens qu’il y avait même des pensées blasphématoires, par exemple: s’il y avait de tels tourments, alors, il vaudrait mieux qu’il n’y avait pas de Dieu. Car s’il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas non plus de péché, et donc de tourment… Non, même s’il y a des tourments, c’est quand même mieux s’il y a un Dieu. Car s’il n’y avait pas de Dieu, les hommes se dévoreraient les uns les autres vivants, et ils se dévoreraient eux-mêmes… C’est ce que je pensais. Je ne sais pas pourquoi. Je me souviens, je me suis calmé ainsi, c’est-à-dire avec cette dernière pensée. Je ne me souviens plus quelles autres pensées me vinrent à l’esprit, sur quoi je me suis arrêté et comment je me suis endormi cette
nuit. Je ne me souviens pas s’il y eut d’autres nuits, des jours ou des heures avec des pensées similaires…
Je me souviens aussi que les pensées au sujet de Dieu, de la mort et du devoir moral, de la prière et autres du même genre me sont venues vers l’âge de treize à dix-sept ans. Mais je les ai rapidement chassées comme lourdes, désagréables. Je les ai noyées dans des pensées gaies, flatteuses pour moi, folles. C’était aussi la nuit. Mais je ne les ai pas chassées pour toujours, je les ai chassés en pensant, quelle folie, que leur temps viendrait, précisément, à l’âge adulte ou pendant ma vieillesse, quand les pensées au sujet de tout le reste cesseront d’inquiéter mon imagination… Et j’ai continué à m’enfoncer dans l’indifférence. Maintenant, je voudrais avoir de telles pensées, mais elles ne viennent pas…
29 juin
Je me souviens que la pensée de l’infini et de l’immuabilité du destin après la mort m’affectait particulièrement. Mon esprit enfantin était complètement perdu à cette pensée. Les mots «elle sera sans fin» m’effrayaient et me terrifiaient. Maintenant, je reste complètement indifférent à de telles pensées, elles ne produisent pas le moindre effet sur moi…
Maintenant, je commence à avoir peur du monde, quand les pensées au sujet de celui-ci me montent à la tête. J’ai parlé de cette peur à Batiouchka, et il a dit qu’elle était salvatrice. Je me souviens des instructions de Batiouchka sur la peur en général, qui nous mène plus à notre perte qu’à notre salut. C’est ce que Batiouchka m’a dit quand, avec le Père Ioann, le sacristain, j’ai cassé les pendeloques du lustre de l’église.
«Il ne faut avoir peur que du péché», disait Batiouchka (le monde, bien sûr, j’en ai peur parce qu’il donne toujours un prétexte à tout le monde d’aller vers le péché, il est plein de tentations auxquelles je ne peux pas résister). «Et Dieu n’aime pas les craintifs, dit l’Écriture Sainte. Le moine ne doit pas être craintif, lâche, mais doit placer son espoir en Dieu…Pourquoi Dieu n’aime-t-Il pas les craintifs et les lâches? Parce qu’ils sont proches du découragement et du désespoir, et ce sont des péchés mortels; le craintif et le lâche sont au bord de l’abîme. Un vrai moine doit être étranger à une telle disposition… Et aujourd’hui (c’est-à-dire le jour du nettoyage de l’église et de tout son équipement), quelque chose s’est passé chez tout le monde: c’est le malin qui se venge du nettoyage de l’église… Paix à tous! Aide-nous, Seigneur.» (A suivre)
Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.