Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
Deuxième Cahier
1908 (Suite)
16 avril
Le temps file. Déjà, la moitié de la Semaine Lumineuse est passée. On est bien ici. Il n’y a pas de grands emportements des sentiments, comme c’était le cas dans le monde; dans l’âme règne une tranquillité uniforme . Cette fois, j’ai même oublié qu’il existait un monde extérieur avec sa joie et ses plaisirs illusoires, j’ai même oublié mes parents, bien que je prie pour eux tous les jours.
Je suis pleinement satisfait de la vie ici. Je ne dis pas que je suis satisfait de ma vie, de mon comportement; non, je parle du tracé, du fondement de cette vie. Dans le monde, à un moment donné, j’étais encore plus satisfait de ma vie sans remarquer ni ressentir mes péchés et transgressions vis-à-vis de Dieu et de mon prochain.
Ici, je commence à ressentir certains de mes péchés. Ici, ma conscience m’accuse plus, et j’essaie de la purifier autant que possible chez le Starets par une révélation sincère de mes pensées et actions. Je dis «sincère» parce que je dis tout à mon Batiouchka, de moi-même; personne ne me force à cela; bien qu’il y existe encore une sorte de désir de me justifier, mais de cela même je me suis repenti devant Batiouchka.
J’ai appris, semble-t-il, la force et la nécessité de la révélation des pensées, et j’en ressens en moi-même un grand soulagement, le calme et la pacification de la conscience qui se produisent après une révélation. Un délit dont tu te souviens, toute transgression qui te dérange, tu l’oublies presque quand tu en as parlé à Batiouchka. Par conséquent, j’ai décidé d’être toujours franc et ouvert avec Batiouchka et de préserver ainsi ma conscience de toutes les manières possibles…
Pour la fête, Batiouchka a béni l’achat des koulitchs et de la paskha, et d’autres consolations du même genre.
J’ai acheté un koulitch, une demi-livre d’agneau, deux livres de biscuits, du tvorog, et même des caramels; c’est tout ce que j’ai acheté. Tout cela est si pauvre par rapport aux friandises de Moscou faites maison, mais je me contente de cela et je ne me souviens pas des anciennes friandises et gâteries de Moscou. Je ne veux rien de plus. Et en ce qui concerne l’office, il console plus que dans le monde, même les matines, que je vivais auparavant en me tenant debout et pensant à rentrer le plus vite possible dans ma cellule et à me mettre au lit. Maintenant, elles me plaisent, en particulier celles de la présente fête de Pâque, et je ne m’en lasse pas et ne sommeille pas, par la grâce de Dieu. Donc, je pense: ce n’est pas du tout celui qui a beaucoup et jouit de beaucoup de plaisir, qui est heureux. C’est celui qui ne souhaite pas plus que ce qu’il a, qui est satisfait de ce qu’il a.
Le printemps arrive, tout s’anime; il fait chaud dans la journée. Les oiseaux sifflent, chantent, sautent, toute la nature est bonne. J’ai remarqué que depuis l’année dernière, j’ai commencé à aimer davantage la nature, à sentir un peu sa beauté. Avant, je l’aimais presque seulement dans mon imagination, dans un rêve. Je suis assis tout le temps dans ma cellule, et je n’ai besoin de personne et de rien. J’écris et lis, et je me sens bien.
Aujourd’hui, un moine tonsuré à la mantia lisait pendant le repas; il m’avait toujours semblé assez étrange, rustre, même froid, mais aujourd’hui, il lut très bien, avec sentiment, avec expression, comme d’habitude, et tout à coup il pleura de tendresse. Il s’est visiblement retenu du mieux qu’il pouvait et a continué à lire. Voilà à quel point il est facile de se tromper au sujet de quelqu’un; par conséquent, on ne peut jamais juger quelqu’un, en particulier sur son comportement et son apparence extérieurs. Elle est terrible cette passion, et combien il est difficile de la combattre: tu ne veux plus juger, mais tu juges encore et encore.
19 avril
J’ai reçu hier un télégramme de l’Évêque de Tryphon. Des félicitations pour la fête. En voici le texte: «Que le Sauveur Ressuscité vous bénisse. Évêque Trifon». Bref mais réconfortant pour nous, c’est-à-dire pour Ivanouchka et moi. C’est la seule nouvelle que nous ayons reçue de Moscou ou de n’importe où pour la fête et je rends grâces à Dieu. J’en ai parlé à Batiouchka.
Il était apparemment heureux de l’apprendre. «Remercie-le et que le Seigneur le sauve, de votre part!», dit Batiouchka. «C’est une grande chose qu’une bénédiction archiépiscopale. L’évêque lui-même peut être un pécheur comme tous les hommes, mais sa bénédiction et ses prières ont un grand pouvoir. Quelle que soit la façon dont le malin s’est rebellé contre votre entrée au monastère, quels que soient les obstacles qu’il a élevés pour vous pousser à nouveau dans le marais fétide, toutes ses saintes prières les ont vaincus.»
Je me souviens, à Moscou, un jour nous sommes allés à deux ou je suis allé seul, je ne m’en souviens pas bien, chez Vladika. Il nous a toujours très bien reçus, et cette fois aussi. Nous avons parlé de ce qui convenait, et puis tout à coup Vladika a dit: «Ces jours-ci, je me suis souvenu de vous tous et, je l’avoue, j’ai même prié pour vous. Rien de spécial ne vous est-il arrivé?». Maintenant, je ne me souviens plus bien, je pense que j’ai répondu qu’il semblait que rien n’était arrivé. Mais il se peut que quelque chose soit effectivement arrivé, sinon à nous-mêmes et dans le monde sensible, alors à un autre endroit: ou dans le monde de mon esprit, ou même parmi les serviteurs du malin, seulement nous étions protégés par de saintes prières et nous n’avons rien ressenti de spécial.
Cependant, je reviens à hier. J’ai donc parlé à Batiouchka d’un télégramme quand j’étais sur son porche après les vêpres. Batiouchka m’a dit d’entrer le voir une minute, et nous sommes entrés ensemble. Après que j’aie fait une grande métanie, Batiouchka a pris sur la table un œuf de cire ornementé de la table et, me le donnant, il dit: «Je voulais vous donner un œuf». Je l’ai pris et ai remercié Batiouchka. Il m’a ensuite demandé si je jouais d’un instrument de musique. J’ai répondu:
– Non, j’ai essayé un peu, mais cela n’a mené à rien.
– Et votre frère Ivan?
– Oui.
– Donc, Vous devez donc jouer de l’âme, selon le verset : je chanterai à mon Dieu, tant que je serai. Cette merveilleuse harmonie, on la remarque un peu chez Pythagore, mais il était païen, il ne pouvait en avoir que de légères allusions. De ses écrits, presque rien ne nous est parvenu, des petits passages. Mais la plénitude de cette harmonie on la trouve chez David le Prophète et Psalmiste, dans ses Psaumes… Ce chant est l’apanage du monachisme…
Je ne me souviens de rien de plus, et il semble que Batiouchka n’ait rien ajouté.
J’ai moi-même dit à Batiouchka que je me souvenais maintenant de toutes sortes de choses, de cas, de mots, d’actions, de jeux, anciens d’il y a quelques années, même anciens de cinq ou dix ans, dans les moindres détails parfois.
À cela, Batiouchka a seulement répondu: «Oui». Je ne me souviens de rien de plus. Avant, à propos de cela, Batiouchka m’avait dit que c’était un combat. En effet, seule la prière de Jésus peut les chasser, et parfois pas rapidement et pas particulièrement facilement. Dire la prière, parfois cela ne donne presque pas.
Par ailleurs, maintenant, cette nourriture riche avec ses produits laitiers affaiblit un peu, après le jeûne, et on a envie de dormir pendant la lecture. Je lis maintenant à nouveau Saint Pierre Damascène, parfois, quand je comprends, il s’agit des choses merveilleuses, et des pensées me viennent, m’ouvrant d’une certaine façon les yeux sur ces choses, tellement la sagesse me semble si simple et claire. (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.