Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
Mon frère Ivan qui partageait la cellule été transféré comme auxiliaire de cellule du Père Joseph. Franchement, je suis content pour lui et pour nous: il sera mieux là-bas, et sans lui, nous tomberons moins dans les propos oiseux, car trois parlent toujours plus que deux. Aujourd’hui, lors de la bénédiction Batiouchka m’a dit:
– Vous êtes deux, et le troisième, qui est-ce?
– Personne.
– Comment personne? Le Troisième, c’est Dieu!
Nous vivions bien avec lui, paisiblement, et il restait volontiers avec nous. Qu’est-ce que Dieu donnera encore?
17 mars
La semaine de la vénération de la Sainte Croix a déjà commencé hier. Et je n’ai pas remarqué le Carême. Il est imperceptible: une chose à faire, puis une autre, et déjà le soir tombe. Il y a très peu de temps libre, donc maintenant, depuis le début du Carême, je passe presque tout le temps à mon obédience d’auxiliaire du bibliothécaire, et dans la bibliothèque, il y a beaucoup à faire pour l’instant.
Voilà que le Seigneur me fortifie, moi, l’indigne: je ne souffre pas du tout du jeûne et je ne souhaite même pas une meilleure nourriture; il y a des pensées au sujet de la nourriture qu’on recevait avant, mais c’est ainsi, et elles sont fugaces, ne dérangent même pas.
Mais une tout autre affaire, ce sont, en général, les souvenirs du monde et les images; celles-ci me troublent, en particulier pendant les offices, bien que les offices eux-mêmes commencent à me plaire de plus en plus, et j’y souffre moins (c’est ainsi dans l’église, en fait). J’essaie d’écouter l’office, mais ce n’est pas toujours possible, car je suis généralement très distrait pendant les offices.
Avant, je critiquais les moines, et maintenant que je vis dans un monastère, je vois à quel point il est difficile d’être un vrai moine. Si je vivais comme dans le monde, rien ne changerait : toutes les passions, tous les vices, les péchés, et je resterais le même homme corrompu, dominé par les passions. Seulement je vis dans ma cellule, dans la Skite, et non dans le monde. Mais je ne suis pas devenu immédiatement un ange, ce que j’exigeais auparavant de tout moine, sans discernement, qu’il soit jeune ou vieux, et quel que soit le nombre des années qu’il ait vécues au monastère, et je ne voulais rien entendre. Maintenant, je commence à comprendre que seule la connaissance pratique a un sens. Il est très facile de gloser et très difficile de «faire les choses».
Batiouchka m’a dit: «Lisez maintenant, lisez, tant qu’il y a encore du temps pour cela; souvenez-vous de mes paroles : le temps viendra où il n’y aura plus de temps pour lire». Je lui dis que déjà maintenant, je n’ai plus le temps de lire. «Eh bien, travaillez toute la semaine, et utilisez le samedi et le dimanche pour lire. Samedi, lisez au moins pendant l’après-midi, et après les vêpres, vous pouvez encore lire une petite heure.»
Batiouchka a dit que je devais l’interroger au sujet de ma règle de la cellule. Ma règle, la voici : un chapitre de l’Évangile, en commençant par Matthieu, deux chapitres de l’Apôtre, en commençant par les Actes et en terminant par les Épîtres (l’Apocalypse n’est pas lue lors de la règle en cellule)[N.d.E. Le Kanonikon du Patriarcat de Moscou indique que l’Apocalypse était lue également pendant les règles de cellule au Désert d’Optina. Il s’agit donc ici plutôt d’une instruction personnelle donnée par le Saint Starets Barsanuphe au novice Nicolas.], deux cathismes, le dyptique et les cinq cents.
– Si je fais les cinq cents, comment lire encore le Psautier? Et puis-je commémorer les membres de ma famille?
– Oui, vous pouvez, commémorez-les.
Je me souviens qu’il y a longtemps, il y a quelques mois, Batiouchka disait que la règle devait être lue après le dîner et que nous ne devions pas nous habituer à nous reposer après le dîner.
Puis Batiouchka a ajouté : «Si vous devez manquer une partie de la règle, n’en soyez pas gêné et ne lisez pas deux fois le lendemain ce qui a été manqué , mais vous devez me le dire. Et puis certains raisonnent ainsi: aujourd’hui, je ne ferai pas les cinq cents, et demain je les ferai deux fois… Il ne faut pas faire cela, car vous tomberez alors dans des dettes impayées, mais si vous avez manqué de le faire, vous avez manqué, c’est ainsi et on ne peut rien y faire».
Batiouchka disait aussi que seules les prières du matin, on ne pouvait se dispenser de les lire. Si, par exemple, on a dormi au lieu d’aller aux matines ou aux heures, alors il est seulement indispensable de lire les prières du matin. Et dans le cas où on a manqué les prières du matin, mais pas entièrement, alors c’est bon, c’est déjà bien qu’on en ait entendu la fin.
La conversation a abordé l’existence des sorciers. Batiouchka affirme tout à fait qu’ils existent. Il a même dit qu’il y avait un sorcier maléfique ici quelque part dans les proches environs. Et en général, les sorciers les plus méchants sont juifs. On a aussi parlé de ce que je devais faire si un ange m’apparaissait. «Il ne faut en aucun cas, lui faire confiance, il faut se signer et se considérer comme indigne de voir un ange, et le Seigneur aimera cette humilité, même si c’était vraiment un ange, et non le malin sous forme d’ange.»
Puis, à la fin, Batiouchka s’est levé et est allé se tenir devant les icônes, et nous avons commencé à prier. Tout à coup, Batiouchka a dit à nouveau qu’il y avait probablement eu une bonne action de notre part ou de celle de nos parents, pour que nous soyons jugé digne de recevoir une telle grâce.
– Ne serait-ce pas de la part de votre père?
– Je ne me souviens pas bien de lui, Batiouchka. Je n’avais que treize ans quand il est mort. Mais, il me semble (ce fut en fait le cas), que papa a sauvé une petite fille du feu pendant un incendie.
– Ah, voilà! Sauve, Seigneur, l’âme de ton serviteur Mitrophane! (Batiouchka se signa). Vous auriez dû le dire aujourd’hui. Et quand est-il mort et quand est le jour de sa fête onomastique? Vous devez vous souvenir de lui ces jours-ci, prier pour lui».
Batiouchka a ajouté que papa voit que nous prions mal pour lui et a demandé à Dieu de nous rappeler le devoir de prier pour notre père, et le Seigneur nous l’a rappelé par cette conversation avec Batiouchka.
– Et, Batiouchka, si on me fait lire à l’église, comment réagir? Car vous n’avez pas donné votre bénédiction.
– Vous ne devez pas refuser, si on vous le demande, Dieu bénit. Croyez que ce que vous faites par obéissance sera bénéfique pour vous. A la mesure de votre foi, je dis ce qui est nécessaire pour vous. Voilà, quand on vient à moi avec foi, et je m’en émerveille, je me souviens de ce qui a été lu et entendu, et je parle pour le bien de la foi de ceux qui m’interrogent. Mais il arrive qu’on vienne simplement par curiosité, ou de façon générale, quand on n’a pas de but bénéfique à l’âme. Alors, je ne peux vraiment rien dire, je dis: priez, et puis plus rien.
27 mars
Hier, j’ai lu pour la première fois à l’église. J’ai dû lire le <…>1 du dimanche et les complies avec le Canon à l’Ange Gardien. Quand je suis venu auprès de Batiouchka pour la bénédiction, il a commencé à dire que des horreurs sont maintenant commises dans le monde, partout une terrible déchéance… l’Antéchrist marche ouvertement dans le monde.
«Je ne vivrai peut-être plus, mais vous, je crois, vivrez jusqu’à des temps terribles, mais vous serez toujours sauvé, bien que vous viviez ces temps, vous ferez votre salut dans un refuge tranquille. Il sera bon pour un jeune d’être éloigné du monde, sinon il sera complètement entravé. A propos du monde, que dire… cet esprit de satisfaction des désirs du corps envahit les saints monastères. On entre au monastère afin d’obtenir rapidement le rason, la mantia, une ordination sacerdotale, toutes sortes de positions, ou pour se rapprocher du coffre et, bien sûr, sans être vu, pour se familiariser avec son contenu, oubliant complètement que c’est un sacrilège, qu’ils volent Dieu. Pour une part du gâteau, ils entrent au monastère, pas pour Jésus. Et avec tout cela, ils désirent la gloire, être vénérés comme saints. Ils cherchent une gloire dont ils ne savaient auparavant où se cacher pour la fuir.» (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.