Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
21 janvier
Batiouchka est encore malade. On dit que ça s’est encore aggravé après-midi. Je suis allé au monastère pour mon obédience et j’ai vu un infirmier qui venait de visiter Batiouchka à l’infirmerie monastique. Batiouchka a béni la fraternité à distance. On dit que maintenant, le Père Théodose, hiéromoine du monastère, veille Batiouchka. Qu’est-ce que le Seigneur donnera ensuite?
Et sans starets, comme c’est difficile. Tu ne sais si tu dois faire une chose ou l’autre. Notre volonté propre nous mène à notre perte: tous les Saints Pères le disent. Sans bénédiction, je ne veux rien faire, je ne veux pas commencer à faire quoi que ce soit. La voie de l’obéissance est la plus sûre et la plus rapide.
Je remarque que si tu n’obéis pas en une certaine chose à ton starets, voulant faire mieux par toi-même, ou par paresse, cela devient pire et plus difficile. Serait-ce simplement à propos du moment où il faut se lever. C’est difficile et désagréable seulement pendant une minute. Je n’ai pas du tout de mal à me lever depuis que j’ai commencé à le faire selon les instructions de Batiouchka. Apparemment, c’est toujours le cas en toutes choses.
22 janvier
Une pensée m’est venue à l’esprit: et si Batiouchka m’appelait pour parler avec lui pendant qu’il est malade? Et en effet, Batiouchka m’a appelé aujourd’hui pour le thé du matin, à sept heures, et je l’ai quitté vers dix heures. Batiouchka m’en a donné la raison à la fin de la conversation: «Je vous ai appelé parce que, que j’étais un peu déprimé. J’ai voulais appeler le Père Koukcha, mais il dormait probablement encore. Alors, je vous ai appelé.»
Il est évident que Batiouchka est bien disposé envers moi, s’il a appelé dans un tel but, bien que je n’en vaille pas la peine. Je pense que Batiouchka, par sa gentillesse, a une opinion erronée à mon sujet, c’est pourquoi il est disposé ainsi envers moi, ou peut-être que Batiouchka voit ma faiblesse et veut me soutenir, m’encourager par ses conversations. Je vais essayer de transmettre ce dont je me souviens de cette conversation.
Il me semble que Batiouchka a commencé par me demander comment se passait mon obédience, puis il a dit: «Vous-même ou un de vos proches, ou même un de vos ancêtres, avez probablement accompli une bonne action envers Saint Jean le Baptiste, s’il vous a reçus chez lui ici. Vous ne vous souvenez pas?» Je répondis que non.
«Quant à moi, voici ce qui m’est arrivé. À Kazan, j’ai un jour voulu me préparer, pendant le Grand Carême, mais j’avais manqué quasiment tout le Carême, il ne restait que trois jours. Mais voilà, ce serait au moins trois jours. Je me demandai: où aller me préparer? Je ne voulais pas du prêtre du régiment. Mais alors, où ? Et je regarde et j’aperçois un monastère, pauvre, sale, à moitié en ruines, les novices un peu désabusés. J’entrai.
– Quel est ce monastère?
– Saint Jean. Du nom du Précurseur et Baptiste Jean.
– Je peux me confesser ici?
– S’il-vous-plaît, venez.
C’est comme ça que je me suis retrouvé là-bas. Et puis j’ai commencé à y aller souvent et assister aux offices. Un jour, j’y étais, et une pensée me dit: «Regarde, quelle lampade pauvre et sale. Achète-en une meilleure.» J’en ai acheté une, et elle était agréable à regarder. Après, j’ai fait fabriquer un kiot pour la grande icône. Et c’est ainsi que j’ai tout aimé dans le monastère. En vérité, là où sera votre trésor, là sera aussi votre cœur. Et combien de joie ai-je ressenti après la confession et la communion aux Saints Dons du Christ! C’est pour ces bagatelles que Saint-Jean-Baptiste m’a fait accepter ici dans sa Skite.
Quand je suis entré pour la première fois dans ce monastère, à Kazan, j’ai demandé, entre autre :
– Qui est le supérieur ici?
– L’Higoumène Barsanuphe.
Bien plus tard seulement, je me suis aperçu de ce que cela signifiait : dans ce monastère pauvre, sale et négligé, c’était l’image de mon état intérieur spirituel que je voyais.
De nombreuses années plus tard, quand j’ai reçu la direction de la Skite, on m’a demandé : «Comment allez-vous maintenir la Skite?». J’ai répondu que je n’y réfléchissais pas et que je n’oserais y penser; le maître, ce n’est pas moi, je ne suis que le commis de Saint Jean le Baptiste. Et voilà, gloire à Dieu, cela fait deux ans que j’essaie de maintenir la Skite et elle n’a connu aucune défaillance».
Ensuite, nous avons abordé un peu la science et les temps présents. Batiouchka a dit que la science non seulement n’empêche pas, mais contribue même au développement spirituel et religieux.
«C’est ce qu’en disent Saint Basile le Grand, l’Apôtre Paul et d’autres. La science est mal utilisée, c’est vrai. Mais prenez le mariage, c’est un Mystère. Si le mariage est accompli dans l’Église et s’il est sincère, alors il n’y a rien de mal. Saint Nicolas le Thaumaturge, et Saint Basile le Grand étaient des fruit de tels mariages sincères de bonnes gens honnêtes. Mais il arrive qu’on séduise et corrompe la jeune fille, et c’est maintenant très souvent le cas. De nos jours, on voit ça souvent. D’abord on corrompt son esprit avec les nouveaux enseignements de Marx, le nihilisme et autres choses du genre, en ensuite le cœur et la moralité. Il est possible de mésuser de tout.
La colère et le jugement sont des passions avec lesquelles vous devez vous battre toute votre vie. Quand je suis arrivé ici auprès du Père Anatole, je lui ai dit que j’aurais aimé vivre plus dans l’isolement.
– En réclusion?
– Oui, lui répondis-je
– Alors, vous n’irez pas au bain ?
– Évidemment!
– J’ai voulu vous signifier quelque chose, en disant que vous n’iriez pas au bain.
– Batiouchka, vous vouliez dire autre chose quand vous avez utilisé le mot «bain»?
– Oui, le désert, la réclusion, cela ne nous purifie pas. Je peux vivre dans le désert avec mes passions et en apparence ne pas pécher. Dans ces conditions, nous ne parviendrons pas à connaître toute notre faiblesse, nos vices, notre colère, notre propension au jugement, notre malice, etc. Alors qu’ici nous nous purifions; quand on commence à nous «piquer», il suffit de tenir bon, et nous verrons apparaître nos faiblesses et nous pourrons faire preuve d’humilité.
Ici, sans qu’on le demande, on vous purifie. Quand vous arrivez, tous semblent être des anges, et puis vous commencez à voir les vices, et au plus loin vous avancez, au plus vous en voyez; et il faut alors les combattre.
Il faut tenir bon en esprit. L’esprit vivifie, la lettre tue. Si dans le monachisme vous ne voyez que la forme, alors vivre n’est pas seulement difficile, c’est terrible. Tenez bon dans votre esprit. Regardez, dans les séminaires spirituels et les académies, toute l’incrédulité, le nihilisme, la danse de mort, et tout cela parce qu’il n’y a que de l’apprentissage par cœur, sans conscience ni sensibilité. La révolution en Russie est issue des séminaires. Pour le séminariste il est étrange, incompréhensible d’aller seul à l’église, de se tenir à l’écart, de pleurer, de s’attendrir, pour lui c’est fou. Pour ceux des gymnases, c’est possible, mais pas pour les séminariste. La lettre tue.» (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.