Écrits
Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optina. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.
Le Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optina
(…) Le Père Nikon ne pouvait être informé de tout ce qui se passait à Kozelsk, mais il fut informé de la fermeture des églises par le Père Géronte. Le Père Nikon s’affligea lorsqu’il apprit la mort du Starets Nectaire en 1928 et de Vladika Michée. Et à propos de la fermeture des églises, il écrivit ces mots: «Et dans la tribulation qui vous a frappé, que le Seigneur vous réconforte. Il regarde dans son cœur et écoute la prière, d’où qu’elle vienne…»
En cette année 1929, une nouvelle vague d’arrestations balaya tout le pays. Les eaux troubles de cette vague submergèrent Kozelsk. En août, le lendemain ou le surlendemain de la fête de la Transfiguration du Seigneur, tous les hiéromoines d’Optina, dirigés par l’Archimandrite Isaac, furent arrêtés et emprisonnés. Seul le Père Joseph (Polevoï), âgé et malade, décédé en 1932 ou 1933, fut laissé à l’écart. Dans le même temps, presque tous les prêtres des églises de Kozelsk, de nombreuses religieuses (y compris mère Ambroisia), ainsi que des laïcs proches de l’église, furent appréhendés. De Kozelsk, les gens arrêtées furent rapidement expédiés à la prison de Soukhine, et de là, à Smolensk (Kozelsk faisait alors partie de l’Oblast de Smolensk). En janvier 1930, quand l’ «enquête» fut terminée, tous les prisonniers furent exilés dans des endroits très éloignés. Le Père archimandrite, le Père Dosithée, confesseur de la fraternité, le Père Panteleimon, ancien trésorier, et beaucoup d’autres furent bannis et envoyés en Sibérie. C’est là, qu’ils terminèrent tous leur voyage terrestre, à l’exception du Père Raphaël, «dans les privations, les humiliations, l’amertume…» Le Père Meletii, confesseur des sœurs de Chamordino, le Père Théodote, maître de discipline, le Père Macaire, responsable de la réserve de meubles, ustensiles et vêtements du monastère, ainsi que le Père Ambroise et d’autres, furent convoyés dans la région d’Arkhangelsk en «exil libre». Spirituellement, Kozelsk était complètement vide.
Le Père Nikon et le Père Agapit arrivèrent à Arkhangelsk, en juin 1930 et s’y installèrent dans un appartement privé, dans le village de Nijné-Ladino, situé près de la ville. La cohabitation leur procurait une grande consolation. Une compagne désagréable de la vie des exilés était l’obligation de se présenter tous les dix jours à l’institution appropriée (GPOU) pour l’enregistrement. Mais la condition la plus difficile était, sans doute, la condamnation des exilés à une vie errante. Ceux qui étaient aptes au travail étaient envoyés en longues «missions», principalement dans la forêt, dans l’exploitation forestière et souvent dans une zone marécageuse, où tous les travailleurs refusaient d’aller, quel que soit le salaire. Ceux qui étaient en possession de documents attestant leur incapacité de travail pour cause de maladie ou de vieillesse étaient souvent déplacés d’un endroit à l’autre, toujours pour les mener loin des gros points de peuplement, dans les villages complètement perdus. Et on ne leur laissait pas l’occasion de s’installer dans tout nouvel endroit. À cet égard, la vie de l’exilé ne lui permettait jamais d’être tranquille, d’autant plus que tout déplacement vers d’autres localité était très difficile, en termes de transport et de dépenses inévitables, à la recherche d’un refuge. Et il était très difficile pour les exilés de trouver un appartement. Ils portaient le sceau de l’exil et de la marginalisation, de sorte que la population de la région d’Arkhangelsk, dans sa majorité, les traitait avec méfiance, hostilité, froideur, les reléguait comme des étrangers, et dans certains cas, de façon hostile et grossière…
La vie commune du Père Nikon et du Père Agapit ne dura pas longtemps. Ils ne purent se consoler longtemps l’un l’autre. Bientôt, la séparation survint. En août 1930, le Père Nikon fut déplacé à Pinega, dans la région d’Arkhangelsk, mais à 200 kilomètres du centre. C’est donc avec regret et involontairement avec tristesse, qu’il quitta Arkhangelsk, disant au revoir à son frère avec lequel il avait vécu, avec qui il était devenu si proche, quasiment parent, pendant leurs années d’errance. Il eut l’impression qu’ils ne se reverraient plus dans cette vie sur terre. Le Père Agapit demeura encore à Arkhangelsk. Nikon s’en alla seul…
À Pinega et dans ses environs, le Père Nikon erra longtemps à la recherche d’un logement. Il réussit finalement à trouver un refuge dans le village de Vonga, non loin de Pinega, sur les rives de la rivière Dvina Septentrionale. Là, il vécut environ deux mois, puis, à l’automne, il dût déménager dans un autre village, Podpola, à trois kilomètres de Pinega. Après des recherches répétées et souvent infructueuses, il trouva un logement dans la maison d’une femme qui, en plus d’exiger beaucoup d’argent, posa à son locataire comme condition d’effectuer tous les travaux physiques pénibles de la maison. Le Père Nikon accepta, peut-être parce qu’il n’avait pas le choix. Par ailleurs, il semblait apprécier le fait que la logeuse soit âgée, solitaire, et qu’ainsi donc personne et rien ne romprait le silence et la paix que son âme avait toujours convoités.
La vie dans le raïon de Pinega était encore plus difficile sur le plan matériel qu’à Arkhangelsk. Il n’y avait pas de bazars à Pinega, et pour de l’argent, il était impossible d’obtenir de la nourriture. Celle-ci était seulement donnée en échange d’autre chose. Les légumes, même les pommes de terre, on n’en trouvait pas, même en échange de vêtements.
Le Père Nikon allait souvent à Pinega. Les jours de fête, quand il y avait un office, il allait l’église. Puis il allait à la poste pour des lettres, de l’argent et il fit la connaissance de nombreux membres du clergé, partageant avec lui le sort de l’exil. Il en rencontra même deux venant d’Optina, le hiéromoine Partheni (Le Père Pierre Kroutikov), avec qui il travailla autrefois dans sa jeunesse au secrétariat du monastère, et le hiérodiacre de la Skite Piotr, ainsi que sa sœur, la religieuse Valentina (Oustioucha), sa fille spirituelle. Les autres provenait d’autres monastères, de différents endroits du pays.
A l’entrée de l’hiver 1930, le Père Nikon, qui jusque là n’avait éprouvé aucun malaise physique, commença à se sentir pas tout à fait en bonne santé. Il ressentait une faiblesse, une fatigue rapide, une légère douleur dans tout le corps et parfois une légère augmentation de la température. Il n’attacha pas une importance particulière à tout cela, expliquant tous ces phénomènes par un refroidissement. Cela se poursuivit jusqu’en janvier 1931. Pour la fête de la Nativité du Christ, le 7 janvier, le Père Nikon alla à Pinega, à l’église. Ce jour-là, il gelait à pierre fendre et il faisait très froid dans l’église (évidemment non-chauffée). À partir de ce jour, il remarqua que sa santé ne s’améliorait pas et que chaque jour devenait de plus en plus difficile. La faiblesse augmenta, la température trop élevée ne revint plus à la normale. Mais il continuait à tenir bon, essayant de ne pas céder à la maladie qui l’ébranlait. Comme auparavant, il allait toujours à Pinega pour se faire enregistrer, il allait à l’église, à la poste…
Dans la mesure du possible, le Père Nikon vivait en solitaire. La plupart des exilés, pour des raisons matérielles, s’installaient à deux ou trois dans le même logement. Le Père Nikon vivait seul, pacifiquement. Il justifiait pleinement les paroles du saint père: «Ce n’est pas dans l’isolement du corps, mais dans le pieux recueillement et le silence du cœur, que la vie est corrigée». Tout son temps libre, le Père Nikon l’utilisait de façon essentielle, malgré son malaise : l’accomplissement de la règle monastique de prière et la lecture des Saintes écritures. Il écrivait des réponses aux lettres de ses enfants spirituels et de ses connaissances, et ainsi dans sa vie d’exil, il ne délaissait pas son devoir pastoral. Une partie de la journée était consacrée à la préparation de la nourriture et à d’autres occupations.
Dans son nouveau logement villageois, le Père Nikon comprit très vite que sa logeuse était une femme avec un caractère exceptionnellement acariâtre, méchant et cruel. Il est très possible que personne n’avait voulu venir habiter chez elle, en raison de son caractère difficile et des conditions incroyables posées pour le paiement du loyer. Elle prit bientôt conscience de la patience et de l’humilité sans précédent du Père Nikon et le rudoya, comme son serviteur, comme un esclave, malgré son rang. Elle le forçait à faire ce qu’elle voulait. Il semblait que le malin lui-même s’était installé en elle, l’incitant à torturer le Père Nikon pour tester sa patience. Elle lui interdisait même de recevoir des visiteurs qui venaient parfois voir le Père Nikon. Mais lui endurait tout humblement, remplissant sans équivoque toutes les exigences imposées.(A suivre)
Traduit du russe
Source :
Rectificatif
C'est par erreur que sur ce blog, depuis des années, l'appellation de Monastère ou Désert «d'Optino» a été utilisée. Même si on retrouve «Optino» jusqu'au milieu de textes en langue russe, l'appellation qui est utilisée par les moines de ce monastère est toujours «Optina». On lira donc à partir de maintenant sur ce blog «Désert ou Monastère ou moines d'Optina». «Optino» sera toutefois maintenu dans les «étiquettes» et mots-clés permettant d'effectuer des recherches dans les textes traduits entre 2016 et aujourd'hui. Les textes de ces années passées seront rectifiés dans la mesure où le temps le permettra. Nous demandons au lecteur de pardonner cette erreur qui nous est entièrement imputable.