Écrits
Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optina. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.
Le Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optina
(…)Arriva la terrible et fatidique année 1917. La révolution éclata. Tout l’ancien monde s’effondra. Le pouvoir sur notre pays épuisé fut saisi par le parti des athées, adhérant à une vision du monde matérialiste.
Dans l’attente des changements inévitables qui allaient survenir, les moines d’Optina continuèrent à vivre tranquillement et discrètement dans leur monastère. Ils eurent vent de la fermeture des églises et des monastères et de la confiscation de leurs biens.
La bâtisse ancienne, séculaire, de l’État Russe s’effondra. La construction de la nouvelle demeure n’avait pas encore commencé. La dévastation vint, chaos de décombres, conséquence inévitable de toutes les destructions. Le pays connut des difficultés incroyables. La guerre contre les interventionnistes qui encerclaient la Russie, tentant de l’étrangler, absorba toutes les maigres ressources d’un pays épuisé par les années précédentes. La faim, le manque aigu de ce qui est le plus nécessaire à la vie, la répression, l’épidémie de typhus et d’autres maladies déchirèrent et rongèrent la Russie.
Pendant les premières années qui suivirent la révolution, la majorité des monastères fut fermée, une partie d’entre eux fermant d’ailleurs pour la simple raison que les moines manquaient de moyens de subsistance et devaient se disperser dans tout le pays, laissant leur monastère à la volonté de Dieu. Optina Poustyn’, ainsi que d’autres monastères, endura stoïquement, avec courage, toutes les difficultés, toutes les oppressions et les persécutions. Le monastère ne fut pas détruit immédiatement. Peu à peu, on confisqua d’abord les moulins, puis les briqueteries et les scieries qui apportaient des revenus importants au monastère, puis on enleva la forêt qui appartenait au monastère, les pêcheries, les prairies, les potagers, les vergers et le bétail. Le rucher et la Skite subirent le même sort, en vue d’y installer une maison de repos.
La situation du monastère devint critique. Il était privé de ses principales ressources et moyens de subsistance. Mais les moines d’Optina ne se décontenancèrent pas. Parmi les moines valides restants, un «artel agricole» fut organisé. Une partie des potagers, des vergers, des prairies et du bétail alloués à l’artel fournirent de quoi répondre aux besoins matériels des moines. Et l’Office divin était toujours célébré comme auparavant dans les églises du monastère, les frères travaillaient toujours, se confiant à la miséricorde et à la bonté de Dieu, remettant le monastère et se plaçant eux-mêmes entre les mains de Dieu.
Le 3 novembre 1917, jour de la commémoration du Saint Mégalomartyr George le Victorieux, le Père Nikon fut ordonné hiéromoine. Avec l’entrée dans l’âge de sa maturité (il avait 29 ans), la santé du Père Nikon s’affermit. Il ne semblait plus y avoir de trace de l’état maladif qu’il avait connu dans les précédentes années de sa vie à la Skite. Seule une jambe douloureuse le dérangeait. Il avait encore du mal à tenir debout lors des longs offices religieux, et il s’asseyait souvent. Parfois, les veines dilatées d’une jambe malade redevenaient enflammées, la plaie s’ouvrait, et causait de pénibles souffrances. Dans ces cas, il devait rester longtemps allongé, et ne pouvait se déplacer. Il endura sa maladie de façon étonnamment calme, ne se plaignant jamais à personne.
En cette période difficile et menaçante, les capacités administratives et économiques du Père Nikon se déployèrent dans toute leur ampleur. Jeune, plein de force et d’énergie, il travaillait avec zèle pour un but ultime : la glorification du nom de Dieu sur la terre. Préserver le monastère jusqu’à la dernière limite, voilà ce que ce but ultime et élevé lui avait suggéré. «Je mourrai plutôt que partir d’ici», écrivit-il à l’époque dans son journal.
Jamais le Père Nikon ne chercha ni n’aspira à occuper l’une ou l’autre dignité supérieure. Son désir le plus cher était une vie tranquille et paisible d’ascète. Mais le Seigneur voulut que Son élu suive un autre chemin. Officiellement, il accomplissait son obédience au secrétariat du monastère, dont il était le rédacteur. En fait, d’une manière ou d’une autre, mais non sans la Volonté de Dieu, il s’avérait que la voix décisive dans les affaires du monastère, puis de l’artel agricole revenait au Père Nikon.
Mais l’envie ne dormait pas. Certains moines, qui auparavant déjà étaient contrariés par l’attitude du Père Nikon, s’indignèrent du fait que les avis déterminants dans toute une série de domaines ne leur revenaient pas à eux, moines anciens et expérimentés, mais au Père Nikon, un jeune qui n’avait pas encore trente ans. La vie des frères se compliqua singulièrement lorsque Son Éminence Michée, ancien évêque d’Oufa, vint s’installer à Optina Poustyn’. Il donnait souvent ses ordres aux moines, pas tout à fait en accord avec la règle du monastère. Le père Nikon, qui honorait l’évêque, rejeta toutefois certaines de ses instructions. Dans l’un de ces cas, l’Évêque Michée s’indigna et le traita de gamin, puis se plaignit auprès des supérieurs de l’Éparchie. À la suite de cette plainte, il fut décidé de transférer le Père Nikon et les deux moines qui le soutenaient dans un autre monastère du diocèse de Kalouga. Mais le maître de discipline du monastère intervint en faveur du Père Nikon et il parvint à ses fins. Et le Père Nikon demeura à Optina Poustyn’.
Le Hiéromoine Nikon s’en tenait fermement aux commandements de Dieu. «Je suis un moine», disait-il à ses enfants spirituels, «et le moine accomplit tous les commandements de Dieu. Ni le pardon, ni la menace, ni même la mort ne doivent amener un moine à dédaigner un commandement de Dieu. Les paroles du Psaume touchent mon cœur pécheur: «Je suis à toi : sauve-moi, car je recherche tes préceptes» (Ps.118;94). Je dis ces paroles au Seigneur, quand les hommes ou mes pensées me menacent dans l’accomplissement de mon devoir de hiéromoine. Que la volonté du Seigneur soit faite!»
Dès le début de la révolution, l’Église Orthodoxe s’est retrouvée dans la fournaise des grandes épreuves de la persécution et de l’oppression. Les monastères et les églises étaient fermés l’un après l’autre. On y organisait des maisons de vacances, des clubs, des cinémas, des bibliothèques, ou ils étaient simplement été utilisés comme entrepôts.
Pendant ces années d’effondrement, les églises qui n’étaient pas fermées manquaient de façon aiguë de ce qui était le plus nécessaire pour accomplir les Offices. Il n’y avait pas de farine pour la cuisson des prosphores, de vin rouge pour la liturgie, d’encens, de cierges, d’huile. Le nombre de paroissiens affectés à telle ou telle église diminuait de jour en jour. Beaucoup, vraiment beaucoup, quittèrent l’Église «par crainte des Juifs» (Jean 19;38). (A suivre)
Traduit du russe
Source :