Écrits
Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optino. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.
L’Archevêque Hilarion (Troïtski)
(…) En juin 1923, le Patriarche Tikhon éleva l’Évêque Hilarion au rang d’Archevêque. Son activité prend de la hauteur au sein de l’Église. Il mène des négociations serrées avec Toutchkov (le dirigeant du département des affaires ecclésiastiques de la GPOU) au sujet de la nécessité d’organiser la vie de l’Église Orthodoxe Russe aux conditions des autorités soviétiques tout en restant fondée sur les règles canoniques. Il prend en charge le redressement de l’organisation de l’Église et rédige un grand nombre de messages du Patriarche.
Ce faisant, il devient une menace pour les rénovateurs. Ils voient qu’il est le fidèle collaborateur du Patriarche Tikhon. Dans ses missives, le dirigeant des rénovateurs, le Métropolite Antoine (Granovski) décoche avec une rage innommable ses coups à la fois contre le Patriarche et contre l’Archevêque Hilarion, les accusant sans ménagement d’être des contre-révolutionnaires. Il écrivit : «Tikhon et Hilarion ont élaboré des gaz «de grâce» asphyxiante contre la révolution. Et la révolution s’est levée non seulement contres les gens d’église de Tikhon, mais contre toute l’église, en tant que nid de conspirateurs. Hilarion circule et s’en va bénir les églises après le passage des rénovateurs. Il a le toupet d’entrer dans ces églises.
… Tikhon et Hilarion sont justiciables devant la révolution ; ils agressent l’église de Dieu et dans leurs excuses, ils ne peuvent avancer aucune bonne action» (Izvestia, 23 septembre 1923).
Mais alors que les rénovateurs haïssaient l’Archevêque Hilarion qui les gênait clairement dans leurs activités pernicieuses contre l’Église, l’Archevêque Hilarion pour sa part ne manifestait pas une semblable animosité contre eux.
En septembre 1923, les Archevêques Hilarion et Seraphim s’efforçant de restaurer l’unité extérieure de l’Église Russe tentèrent d’accepter la condition d’unification avancées par les rénovateurs : le renoncement volontaire de Sa Sainteté le Patriarche Tikhon au Patriarcat. On constate ici l’incompréhension dangereuse «d’Hilarion le Grand» des limites à ne pas franchir lors de compromis. Mais «grand», il l’était réellement et très vite, il effaça son erreur de jugement.
Au Monastère de Saint Dimitri Donskoï, vingt huit hiérarques s’étaient rassemblés. Parmi eux se trouvait l’Archevêque Théodore (Pozdeevski). Il semblait être disposé de façon assez critique envers la position du Patriarche, toutefois il pesa de toute son autorité pour convaincre les évêques de garder le Patriarche Tikhon parmi eux, et avec lui, le patriarcat, et de ne pas se précipiter vers des accords dénués de principes avec les hérétiques. Les évêques acceptèrent les arguments de l’Archevêque Théodore et se prononcèrent à l’unanimité contre l’union avec les hérétiques. L’Archevêque Hilarion accepta donc lui aussi ces arguments, reconnaissant le caractère erroné de ses pensées relatives à la possibilité d’une union. L’Archevêque Hilarion comprit clairement la transgression des rénovateurs et mena de violentes joutes oratoires à Moscou avec Alexandre Vvedenski. Comme l’Archevêque Hilarion le raconta lui-même, lors de ces discussions, il «colla dos au mur» son opposant et exposa toutes ses ruses et ses mensonges.
Les meneurs des rénovateurs sentirent que l’Archevêque Hilarion les gênaient et déployèrent tous leurs efforts pour qu’il soit privé de liberté. Ainsi, en décembre 1923, l’Archevêque Hilarion fut jugé et condamné.
Par étapes, il fut envoyé au camp de Kem et ensuite aux Solovkis. Quand l’Archevêque vit toute l’horreur des baraquements et de l’alimentation du camp, il se dit : «Je ne sortirai pas vivant d’ici». L’Archevêque Hilarion entamait son chemin de croix, qui allait se terminer par sa fin bénie. Ce chemin de croix est particulièrement édifiant pour nous, car c’est en lui que nous voyons apparaître toute la grandeur d’âme de ce martyr pour le Christ, et c’est pourquoi nous consacrons plus d’attention à cette période de sa vie.
Vivant aux Solovkis, il préserva ses merveilleuses qualités d’âme qu’il acquit à travers les podvigs, avant sa tonsure monastique, ensuite quand il fut devenu moine, et quand il eut reçu l’ordination sacerdotale. Ceux qui vécurent auprès de lui à cette époque devinrent les témoins de sa volonté monastique de dénuement, de sa profonde simplicité, de son authentique humilité et de sa simplicité enfantine. Il donnait littéralement tout ce qu’il avait, tout ce qu’on lui demandait. Ses biens personnels ne l’intéressaient aucunement si bien qu’il fallait quelqu’un pour veiller sur sa valise. Et ce quelqu’un, un novice, se retrouva à ses côtés aux Solovkis.
On pouvait offenser l’Archevêque Hilarion et jamais il ne répondait. Il ne remarquait même pas ce qui avait été tenté contre lui. Toujours il avait l’air joyeux, et s’il était préoccupé et troublé, il essayait de n’en rien laisser paraître et de cacher cela sous cette joie. Il voyait tout d’un regard spirituel et tout lui devenait utile.
Des témoins racontent : «A la pêcherie Philimonov, à sept verstes du kremlin des Solovkis et du camp principal, dans une petite baie de la Mer Blanche, avec l’Archevêque Hilarion, deux autres évêques et plusieurs prêtres (tous des détenus), nous pêchions au filet et à la ligne. Par la suite, l’Archevêque Hilarion aimait évoquer ce travail en transposant les paroles des stichères de la fête de la Sainte Trinité : «L’Esprit Saint donne tout : il fit d’ancien pêcheurs des théologiens, et maintenant, c’est le contraire, il fait d’anciens théologiens des pêcheurs». Voilà comment l’esprit du Saint Hiéromartyr se soumettait aux conditions de sa nouvelle situation.
Sa bonté d’âme s’étendait même aux autorités soviétiques ; il était capable de poser sur elles des yeux sans animosité. (A suivre)
Traduit du russe
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