Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en français de la version russe du livre «Geronda Arsenios, le Spiléote, compagnon des exploits ascétiques de Geronda Joseph l’Hésychaste».
La version russe utilisée est «Старец Арсений Пещерник, сподвижник старца Иосифа Исихаста / Монах Иосиф Дионисиатис», éditée en 2002 à Moscou par le Podvorié de la Trinité-Saint Serge. L’original grec (Ο Γέρων Αρσένιος ο Σπηλαιώτης (1886-1983)) ne semble plus édité depuis 2008. Il en existe une version anglaise datée de 2005, sans mention de la maison d’édition. Une traduction officielle en français de ce remarquable petit livre n’existe pas à notre connaissance. Notre traduction sera poursuivie sur le présent blog jusqu’où Dieu le voudra.
Le pain séché, régime quotidien des ascètes
Un jour, nous avons demandé à Geronda Arsenios où ils s’approvisionnaient en pain séché car, comme nous l’avons compris, c’était leur nourriture de base. Il nous répondit ceci. «De notre temps, dans les réfectoires des monastères, on ramassait tous les restes de pain et on les faisait sécher pour les distribuer aux ermites. Bons ou mauvais, nous prenions tout ce qu’on nous donnait. Parfois, il y avait des vers dedans. Un jour, je suis allé dans un monastère, demander du pain séché. Le frère de service m’en donna un plein sac.
– C’est beaucoup. Lui dis-je
– Non, non, prends-le.
Il fallait le faire! Je hissai ce sac sur mon épaule, en empoignai un autre plein de toutes sortes de choses, et je dus grimper avec tout ça depuis ce monastère jusqu’à la Skite Saint Basile. Finalement, je suis arrivé. Avec Geronda, on a ouvert le sac, et qu’est-ce qu’on a vu? Le pain était bourré de vers. Je me mis à rouspéter, j’étais humain, après tout!
– Ahhh quelle bénédiction! N’auraient-ils pu donner ça aux mules? Fallait-il donc que je sue en vain?
Alors, Geronda me dit :
– Pourquoi en vain, Père Arsenios?
– Mais qu’allons-nous faire avec ça?
– Qu’allons-nous faire? Mais les manger! Cela nous a été envoyé par Dieu. Si nous l’avions mieux servi, Il nous aurait envoyé quelque chose de meilleur.
– Mais comment faire avec les vers, Geronda?
Geronda réfléchit quelques secondes et répondit :
– J’ai trouvé une solution. Nous mangerons quand il fera nuit, ainsi nous ne verrons pas les vers!»
Et Geronda Arsenios conclut son histoire : «Et il en fut ainsi jusqu’à ce que nous ayons tout mangé». Nous demandâmes :
– Geronda, et vous n’avez pas eu de problème de santé?
– Mes enfants, a vrai dire, au début ce fut difficile, mais que faire? Mais petit à petit, croyez-moi, Dieu rendit cela tellement délicieux que j’avais l’impression de manger un met délicat.
C’était le fruit de l’obéissance du Père Arsenios. Celui-ci raconta encore ceci : «Une autre fois, pour me mettre à l’épreuve, Geronda me dit, juste à la tombée de la nuit :
– Eh bien, Père Arsenios, mangeons notre pain séché, mais avant, dis la prière.
– Notre Père…
Je terminai la prière et préparai la nourriture quand soudain j’entendis Geronda me dire :
– Père Arsenios, faisons comme si nous avions mangé. Dis la prière d’action de grâce.
Bien que j’eus faim, je me levai et par obéissance, je lus la prière d’action de grâce. Ce n’était encore rien, car la même chose se répéta le lendemain, puis un troisième jour, et puis un quatrième. Ce quatrième jour, mes forces s’épuisèrent. Le travail de la journée avait été dur, et les vigiles de toute la nuit, plus dures encore. Je dis à Geronda:
– Bénis, Geronda, je n’en peux plus. Que faire?
– Oh, alors, aujourd’hui, mangeons! Dit-il.»
Ainsi, le Père Joseph, fort en esprit, emmena avec l’aide de l’obéissance ce bon vieillard dans ces exploits ascétiques et dans d’autres, encore plus sévères, non pour un ou deux jours, mais pendant plus de trente années.
A l’époque où nous l’avons rencontré, à la tête de la couche du Père Arsenios, une photo de son Geronda et compagnon d’ascèse était toujours accrochée. Quand quelqu’un lui demandait: «Qui est-ce, Geronda?», sa réponse habituelle, dans laquelle toute sa simplicité se manifestait, était la suivante: «Celui que tu vois, j’ai marché avec lui pieds nus pendant quarante ans».
Et réellement, été comme hiver, dans la neige, ils allaient pieds nus.
La tradition des ascètes nus et les deux ermites aux pieds nus.
C’est ainsi qu’il raconta :
«Une nuit, de la Skite Sainte-Anne, nous sommes rentrés pieds nus dans la neige jusqu’à notre kaliva. Dès que les Pères de la Skite ont aperçu les traces de nos pas, ils ont immédiatement sonné les cloches du kyriakon. Comme il n’y avait pas de fête, les ermites se sont précipités à l’église pour apprendre ce qui s’était passé et pourquoi les cloches sonnaient.
Alors un moine leur dit:
– Nous avons enfin trouvé les ascètes nus. Voici leurs traces. Suivons les traces pour savoir où ils vivent.
Ils se mirent en chemin et vinrent jusqu’à notre grotte. D’un ton impérieux on nous demanda:
– Où se sont cachés les ascètes nus?».
Le Père Arsenios leur répondit avec sa bonne simplicité:
– Quels ascètes nus?
– Ils sont arrivés à cet endroit, voici les traces de leurs pieds!
Pères, c’est nous qui sommes passés. Il n’y a personne de nu ici.
– Eh c’est sûr, ce n’est pas vous! Mais il y a des ascètes nus ici!
Réellement, c’était tout à fait incroyable, car on sait que dans la neige glacée les pieds sont inévitablement gelés. Toutefois, les deux héros de l’ascèse, l’un par sa foi en Dieu et l’autre par obéissance envers son geronda, vivaient au-dessus des lois de la nature. Une autre fois, portant chacun leur charge, ils escaladèrent le sentier enneigé jusqu’à leur kaliva. À un moment, tous deux commencèrent à s’épuiser. Alors Geronda Joseph dit:
– Père Arsenios! Le moteur cale. Faisons une pause pour reprendre un peu de forces.
Les deux héros de l’ascèse déblayèrent la neige sur les côtés et se mirent à faire des grandes métanies en priant avec ardeur. Après avoir mêlé leurs larmes chaudes à l’eau gelée, ils sentirent un afflux de forces nouvelles et gravirent aisément la pente. Le Père Arsenios racontait aussi ce qui suit.«Une autre fois j’ai reçu une épitimie après avoir fait ma propre volonté. Nous devions aller quelque part, mais Geronda ne se sentait pas bien. Cependant, je l’ai persuadé et nous sommes partis pieds nus dans la neige, jusqu’à ce que nous dûmes nous arrêter à mi-chemin.
– Arsenios, le moteur cale. Que faire?
Je ne savais s’il était sérieux ou si il plaisantait, mais je l’ai empoigné et assis sur mes épaules, et ramené ainsi à notre kaliva. Depuis lors, j’ai appris à ne plus jamais rien faire de ma propre volonté. Quand nous allions quelque part, nous avions l’habitude de marcher l’un derrière l’autre à une distance de quinze à vingt mètres, afin d’éviter les vaines paroles et de prier sans cesse. S’il arrivait que nous rencontrions quelqu’un, nous l’accueillions avec une métanie, sans entamer de conversation. Parfois, il y avait des curieux. Ils voyaient deux moines pieds nus vêtus de haillons.
– D’où venez-vous? Où allez-vous? N’avez-vous pas froid, pieds nus?
Et ainsi de suite. Geronda ne prononçait pas une parole. Par compassion, je ne pouvais m’empêcher de dire deux ou trois mots. Après, Geronda m’arrêtait et demandait sur un ton de plaisanterie:
– Que s’est-il passé, Père Arsenios? Tu t’es mis à confesser cet homme? Est-il digne de devenir prêtre?
Ainsi, Geronda me corrigeait par voie détournée.
– D’accord Geronda, mais les autres pères ne comprennent pas vos podvigs !
Notre Geronda a toujours tout caché tant qu’il le pouvait. Et nous, nous avons un peu joué les fols-en-Christ, voilà pourquoi beaucoup pensent que nous avons succombé à l’illusion spirituelle.
Un jour, nous sommes allés à une fête de dédicace. Après la liturgie, tout le monde se retrouva autour de la table. Nous y allâmes aussi. Mais le moine du réfectoire, nous apercevant, pieds nus et en haillons, poussa un cri et nous mit à la porte. Nous sortîmes sans dire un mot. Un inconnu vint à notre rescousse ; il nous fit entrer et nous mangeâmes ce qu’il y avait sur la table.» (A suivre)
Traduit du russe
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