Dans plusieurs textes concernant le Hiéromoine Vassili et les Moines Théraponte et Trophime, les trois frères d’Optino Poustin’ assassinés dans l’enceinte du monastère la nuit de Pâques 1993, on lit qu’ils sont devenus extrêmement familier des fidèles qui les prient, aujourd’hui encore. Ces fidèles ont simplement lu et relu le livre «Pâques rouge», et les trois frères sont devenus comme des membres de leur famille. L’Église ne les a pas encore glorifiés, mais il est devenu impossible de tenir le compte des miracles attribués à leurs prières. Ce livre, «Pâques rouge», n’a pas été traduit en français. Il est bien sûr moins évident pour les fidèles francophones de considérer les trois frères d’Optino comme des membres de la famille et demander ainsi leur prière. En vue de faire mieux connaître chacun de ces trois merveilleux moines et afin donc d’aider les lecteurs de ce blog à adresser plus volontiers leurs prières à ces trois néomartyrs, nous poursuivons la traductions de plusieurs extraits de deux livres.
Malgré son dur labeur au réfectoire, d’où le futur martyr rentrait à sa cellule de la skite vers minuit, il priait la nuit et participait chaque jour à l’office du milieu de la nuit. Théraponte se couchait en même temps que les autres, mais ensuite, il se levait en douce et se retirait dans un endroit isolé pour prier. Un de ses voisins de cellule subit une tentation à cause de ce comportement. Voyant que le moine zélé travaillait tous les jours aux cuisines et participait à tous les offices, sans exception, il soupçonna que l’autre partait chaque nuit dormir ailleurs pour ne pas être dérangé par les ronflements des frères exténués. Et une nuit, il se leva discrètement et suivit Théraponte, qui entra dans une chambre vide et se mit à faire des grandes métanies. L’autre s’assit derrière la porte et écouta. «J‘entendais comment Théraponte faisait des grandes métanies en récitant à voix basse la Prière de Jésus, se souvint ce frère par la suite. Ensuite, enflammé d’un zèle encore plus ardent, il se mit à faire des métanies plus rapidement, en disant «Seigneur aie pitié !». Et il continua à prier ainsi jusqu’à ce qu’il soit sur le point de s’effondrer d’épuisement. Alors, couché, il continuait à dire la Prière de Jésus à haute voix. Et il se releva pour recommencer les métanies. Et cela continua jusqu’à ce que le veilleur sonne le réveil au clocher, annonçant l’heure de se lever pour l’office du milieu de la nuit».
Tout honteux, le frère se hâta vers l’église, afin de n’être pas vu par le héros de l’ascèse. Après cela, il changea d’avis au sujet du moine zélé, et il se repentit. Le futur martyr pratiquait secrètement le jeûne. Bien souvent il se contentait de pain et d’eau pour toute nourriture. Son visage en était blême.
L’une des tentations et des attaques les plus fortes de l’ennemi, qui peut occasionner des dommages à l’esprit, est la méfiance. Elle commence par des pensées de suspicion envers le prochain. Au début, des pensées troublent simplement l’âme, mais quand elles se renforcent, alors le malheur est inévitable. Ainsi, l’ennemi du bien, sans cesse vaincu par le courageux moine lutteur Théraponte, commença à lui souffler: «Toute ta vie, jusqu’à ta vieillesse, tu seras ici dans la cuisine à nettoyer les casseroles et tu ne verras pas la lumière. Regarde un peu, on se fiche de toi, file d’ici». Mais le sage moine, reconnaissant les stratagèmes du malin, devint encore plus diligent dans sa prière à Dieu, et il méprisa les pensées obsessionnelles semées par l’ennemi, comme si elles n’existaient pas du tout. Pendant trois jours, Théraponte pria et lutta contre l’invasion ennemie, et le quatrième jour, l’ennemi couvert de honte se retira.
Théraponte disait : «Mieux vaut se tromper et avoir de bonnes pensées au sujet de quelqu’un que d’affliger notre prochain par la suspicion. Pour une telle erreur, le Seigneur ne condamnera pas, car «Tout est pur pour ceux qui sont purs» (Tite 1;15).
Un jour, le cellérier lui demanda de faire cuire de la confiture pour l’hiver, pour la communauté. Comme la confiture doit cuire longtemps, et le moine zélé décida d’accomplir une autre obédience en même temps. Se laissant emporter par celle-ci, il s’attarda, et quand il revint, la confiture était trop cuite. Voyant cela, Théraponte se mit à se morigéner lui-même :
– Tu ne peux pas servir deux maîtres. Tu voulait abattre deux lièvres d’un seul coup? Non, ça ne va pas comme ça, il faut faire une chose à la fois.
– «Arrête Théraponte, tu exagères, la confiture n’est pas vraiment ratée, elle tiendra comme ça», lui répliqua un des frères.
– Elle tiendra peut-être, qu’elle tienne donc, mais moi, frère, je ne peux pas me ménager. Si je me pardonne, alors, Dieu ne pardonnera pas. C’est ainsi, tu comprends, frère ?
– Je comprends.
Le futur martyr trouvait toujours une raison de s’adresser des reproches et dès lors, il ne condamnait pas les autres: après tout, toute condamnation est précédée d’une élévation.
– «Je murmurais constamment, se souvient un frère. En voyant cela, Théraponte m’a parlé de la façon de lutter contre les logismoi.
– Les logismoi sont des pensées initiales que l’âme ne s’est pas encore appropriées, dit Théraponte.
– Comment ça? Lui demanda le frère.
– Eh bien, tu regardes la bouilloire, et une pensée apparaît: on boirait bien une tasse, non? C’est le début. Si l’homme accepte, il met la bouilloire sur la cuisinière. C’est déjà une appropriation de la pensée. Et quand il s’assoit et boit une tasse, l’appropriation est complète. Mais c’est la même chose avec toute pensée qui vient à l’esprit. Ainsi, quand survient la pensée de murmurer contre quelqu’un, si tu n’es pas d’accord, dis-toi: «Ce n’est pas mon affaire de juger mon frère. Dieu le jugera, pas moi. Moi, je veux me corriger et être sauvé».
Après cela, j’ai essayé de faire comme m’avait dit Théraponte, et j’en ai retiré un immense profit».
Un jour, un novice qui vivait dans la même cellule que Théraponte lui demanda :
– Toi, tu pries tout le temps. Sans doute me juges-tu parce que je parle beaucoup? Mais le Seigneur a dit : «Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé»(Mat.7;1).
– Chacun devra se justifier de ses paroles et sera jugé d’après elles, répondit Théraponte. Souvent nous ne remarquons pas comment nous offensons notre prochain avec nos paroles. Mieux vaut donc se taire le plus possible.
Son regard était toujours tourné vers le sol, mais le futur martyr eut beau dissimuler son regard, Dieu permit que l’ennemi mène une nouvelle lutte contre lui. Cette fois, souhaitant affliger l’élu de Dieu, l’ennemi procéda comme suit.
Des jeunes filles qui n’étaient pas vêtues comme il convient firent leur apparition au monastère. C’était l’été, et elle se promenèrent ainsi dans le monastère. Théraponte sortit de l’église en se dirigeant vers l’atelier de menuiserie ; il les rencontra près du clocher. Les jeunes filles interrogèrent l’humble moine au sujet de l’une ou l’autre chose; celui-ci leur conseilla de s’adresser au prêtre et partit rapidement. Mais le soir, quand le moine fut rentré dans sa cellule, l’ennemi lui envoya en pensée des images de ces jeunes filles et le troubla. Alors, le futur martyr s’arma contre la tentation avec le psautier et la prière. Par ses larmes et ses soupirs au sujet de cette malédiction, Théraponte éteignit les flammèches de la luxure, prêtes à s’embraser. Malgré cela il demanda la bénédiction du père spirituel pour suivre un jeûne sévère et pendant quelques jours, il ne mangea rien et ne dormit quasi pas. Ainsi, il épuisa son corps et le réduisit à l’état de serviteur. Quand un jour il somnola pendant une heure l’après-midi à cause d’un fort épuisement, un ange de Dieu lui apparut dans son léger sommeil et dit: «Tiens-bon, Théraponte, ne crains rien». S’éveillant, il sentit que l’ennemi battait en retraite, et le Seigneur le débarrassa de sa tentation. Élevant son esprit vers Dieu, le moine Lui rendit grâce :
– Gloire à Toi, Seigneur. Tu ne m’as pas abandonné, moi ton serviteur pécheur et Tu m’as fait miséricorde. Je Te rends grâce, Maître. Ne m’abandonne pas à l’avenir, soutiens-moi qui suis infirme, et fais de moi, pécheur et maudit, selon Ta Sainte Volonté.
«La prière nocturne réchauffe l’âme et après, toute la journée tu ressens une telle douceur!», disait Théraponte. Il brûlait d’ardeur pour le Doux Jésus et cette ardeur le faisait prier pour son prochain. Généralement, les moines cachent à ceux qui les entourent l’élévation de leur vie spirituelle. Il faut vivre au monastère pendant une longue période pour apercevoir leurs vertus cachées.
Celui qui a caché une faute dans sa confession y a ajouté un grand péché. Mais celui qui, ayant acquis une vertu, la cache même à son esprit, est heureux. Car, n’ayant pas donné à son âme un prétexte à vanité, il recevra une récompense au centuple, repoussant la gloire humaine loin de lui-même et admirant la Gloire de Dieu; le cœur de l’homme n’est connu que de Dieu.
– Écoute, Théraponte, comment parviens-tu à ne jamais manquer l’office du milieu de la nuit? lui demanda-t-on.
– Et pourquoi sommes-nous venus ici, frères? Fini de vivre pour satisfaire nos plaisirs, il faut travailler dur pour Dieu.
Beaucoup de pèlerins le voyaient se hâter le matin vers l’église pour l’office, et leur conscience en était saisie, et ils y allaient à leur tour. Un jour, il dit à un travailleur :
– Tu sais pourquoi les moines se lèvent tôt ?
– Pourquoi ?
– Parce qu’ils connaissent un secret merveilleux.
– «Ah, et quel secret?», s’intéressa l’autre.
– C’est l’habitude des oiseaux qui se lèvent tôt, de glorifier Dieu. Cela les fait vivre hors de toute tristesse. Souviens-toi que Dieu dit: «Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent rien dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit» (Mat.6;26). Sachant cela, les moines se lèvent plus tôt que les oiseaux, pour être les premiers à glorifier Dieu et avoir ainsi une paix sans tristesse dans leur âme. (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Небесные ратники. Жизнеописания и чудеса Оптинских новомучеников (Les soldats célestes. Vie et miracles des néomartyrs d’Optino) Alexandre Ivanovitch Iakovlev. Éditions : Святитель Киприан, Moscou 2013. Pages 253 à 260.