Dans plusieurs textes concernant le Hiéromoine Vassili et les Moines Théraponte et Trophime, les trois frères d’Optino Poustin’ assassinés dans l’enceinte du monastère la nuit de Pâques 1993, on lit qu’ils sont devenus extrêmement familier des fidèles qui les prient, aujourd’hui encore. Ces fidèles ont simplement lu et relu le livre «Pâques rouge», et les trois frères sont devenus comme des membres de leur famille. L’Église ne les a pas encore glorifiés, mais il est devenu impossible de tenir le compte des miracles attribués à leurs prières. Ce livre, «Pâques rouge», n’a pas été traduit en français. Il est bien sûr moins évident pour les fidèles francophones de considérer les trois frères d’Optino comme des membres de la famille et demander ainsi leur prière. En vue de faire mieux connaître chacun de ces trois merveilleux moines et afin donc d’aider les lecteurs de ce blog à adresser plus volontiers leurs prières à ces trois néomartyrs, nous entamons la traductions de plusieurs extraits de deux livres.
Pour le Père Vassili, Optino devint le berceau dans lequel grandit et s’affermit son esprit monastique. Il se rendait souvent devant les tombes des startsy d’Optino, qui à l’époque n’étaient pas encore glorifiés, et il y priait longtemps, demandant leur aide, ainsi que l’intercession de la Reine des Cieux, qui protégeait le monastère de Son omophore. Le Père Vassili composa de superbes vers sur Optino Poustin’ et il travailla beaucoup et avec fruit à composition d’un office pour ces startsy, mais il n’eut malheureusement pas le temps de terminer ce travail.
En février 1993, il rendit une dernière visite à la Laure de la Trinité Saint Serge, lors d’une session du séminaire de théologie. Sur le chemin du retour, il s’arrêta à Moscou chez sa maman. Il célébra une pannichyde sur la tombe de son papa. Puis il retira du livret d’épargne le peu d’argent qu’Anna Mikhailovna avait épargné pour lui, sur sa pension, et, en le lui donnant, il dit: «Je t’en prie, n’en mets plus. Je n’en ai pas besoin. Comment me présenterai-je avec ça devant Dieu!».
Son dernier Grand Carême, le Père Vassili le mena avec une sévérité plus grande qu’à l’ordinaire. En plus des très longs offices monastiques obligatoires, il priait encore la nuit dans sa cellule. Lors des offices du Vendredi de la Passion, ils devait notamment remplir le rôle de canonarque. Batiouchka sortit sur la solea mais subitement, il s’arrêta, le livre en mains et se tut longtemps. «Le ciel fut remplit d’effroi et le soleil cacha ses rayons» entonna un moine du choeur, et le choeur poursuivit. «Que s’est-il passé?», lui demanda-t-on après, «Qu’est-ce que tu as eu?». Mais le Père Vassili ne répondit rien. Un peu après seulement, il reconnut discrètement à un frère qu’au moment où il devait remplir le rôle de canonarque, il avait eut une vision du Starets Ambroise. Mais ce que celui-ci avait dit au Père Vassili, on n’en sut jamais rien. Toute la journée du Vendredi de la Passion, le Père Vassili confessa. Quand la nuit tomba, alors qu’on commençait à bénir les koulitchs, il se sentit mal, soudainement : un profond épuisement, les offices, les obédiences, les nuits de veille et le jeûne strict se faisaient sentir. De toute la Semaine de la Passion, il n’avait mangé aucune nourriture. En outre, il pensait qu’il valait mieux mourir en accomplissant son obéissance que de l’abandonner. Batiouchka Vassili se tenait debout, livide, appuyé sur l’analoï. On aurait dit qu’il était sur le point de tomber. À ce moment, un des hiéromoine bénissait les koulitchs. Il aspergea le Père avec de l’eau sainte, mais celui-ci demanda: «Asperge-moi plus fort…». Alors le hiéromoine lui projeta généreusement de l’eau sainte au visage et sur la tête. Le Père Basile sourit, soupira de soulagement et dit: «Eh bien, maintenant c’est parti, plus rien», et il se mit à confesser à nouveau les paroissiens.
Avant la liturgie Pascale, Batiouchka fut désigné pour célébrer la proscomédie, c’est pourquoi il revêtit avant les autres la chasuble rouge. D’habitude, il célébrait toujours la proscomédie rapidement, de façon nette, mais cette fois, c’était comme s’il hésitait, et le responsable de discipline le pressa et dit : «Mais pourquoi traînes-tu? Il faut te dépêcher!». Mais Batiouchka répondit : «Pardonnez-moi, je ne peux pas. C’est si pénible, comme si je me poignardais moi-même». Et quand il eut fini, il dit: «Jamais je n’ai été aussi épuisé». A la fin de la Liturgie Pascale, le Père Vassili devait à nouveau intervenir comme canonarque, mais remarquant son état de fatigue et sa pâleur, les frères du chœur lui dirent : «Reposez-vous un peu, Père, nous nous débrouillerons bien». «C’est mon obédience!», répondit fermement le Père Vassili, et il commença : «Que Dieu Se lève et que Ses ennemis se dispersent!». Sa foi inébranlable en ce que le Seigneur organise tout lui donnait la force et l’affermissait.
…A Optino, le soleil se lève du côté de la skite, caché d’abord derrière les branches touffues des pins séculaires semés par les saints startsy. Ainsi, l’aube commençait comme par des langues de feu. Les cimes des pins brillaient de plus en plus claires et aveuglantes sur le fond de la surface rose céleste, formant comme les nimbes lumineux de ces puissants arbres. Bientôt, le premier rayon de soleil jeta doucement sa chaude lumière printanière sur le mur blanc du monastère. Les dômes dorés de l’église de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu commençaient à briller solennellement, comme les anciens bogatyrs de l’époque des Viatichis. Autour, tout était pénétré de paix et de grâce, comme pour ne pas déranger les moines fatigués après l’office nocturne.
Ce matin de Pâques, les frères, après avoir rompu le jeûne se séparèrent pour rejoindre leurs cellules. Le Père Vassili devait, selon son obédience, aller à la skite; il devait y confesser les personnes qui participaient à la Liturgie de la matinée à la skite. Après avoir chanté tranquillement les heures Pascales devant les icônes de sa cellule, il se dirigea vers la tour, à travers laquelle on peut accéder au chemin menant à la skite. Soudain, le silence fut interrompu par le son de la cloche.
Les moines Théraponte et Trophime, tranchant le silence du matin, annonçaient au monde la joie de Pâques. À Optino, il existe une bonne tradition: sonner Pâques avec toutes les cloches à tout moment tout au long de la Semaine Lumineuse. Mais cette fois, la sonnerie s’arrêta soudainement. La grosse cloche frappa quelques fois de plus puis se tut. Le Père Vassili s’arrêta : quelque chose était arrivé. Sans réfléchir un instant, il se précipita vers le clocher. Un homme vêtu d’un manteau militaire courait à sa rencontre. «Frère, que s’est-il passé?», demanda le Père Vassili à celui qui accourait. Ce dernier bredouilla quelque chose d’incompréhensible et fit semblant de se diriger vers la porte de la tour de la skite. Mais, après avoir fait quelques pas dans cette direction, il sortit de sous le pan de son manteau un couteau tranchant de soixante centimètres et en frappa le Père de Vassili d’un puissant coup pénétrant dans le dos.
Batiouchka tomba sur le sol. Il semblait qu’à cet instant, les ténèbres triomphaient, que le soleil s’obscurcissait et que les Anges cachaient leur visage sous leurs ailes en ce moment atroce.
Le tueur jeta de sang froid le bord de la mantia sur la tête du Père Vassili et plaça son klobouk sur son visage. Apparemment, cet acte était l’une des parties du rituel, car les moines Théraponte et Trophime, qui avaient été tués avant, au clocher, furent également été trouvés avec leur klobouk fermement enfoncés sur le visage.
Après s’être débarrassé de son manteau, le serviteur du mauvais se hissa par dessus le mur du monastère et se cacha dans la dense forêt. Là, au pied du mur, on trouva le couteau ensanglanté sur lequel est gravée l’inscription: «satan 666». Elle témoignait de ce qu’il s’agissait d’un meurtre rituel.
Le Père Vassili était allongé sur le sol, respirant lourdement, parvenant à peine à murmurer les paroles de la prière. Des moines accourus essayèrent de l’aider, mais la perte de sang importante et les blessures graves ne laissaient aucun espoir: le coup avait été porté dans le dos, de bas en haut, de sorte qu’il avait percé un rein, un poumon et endommagé une artère coronaire.
Un des moines sortit d’une poche intérieure une petite Croix qu’il affirmait miraculeuse, et il en bénit trois fois le martyr couché sur le sol. Le Père Vassili ouvrit les yeux. Son regard était comme aspiré vers la Croix. Quelqu’un dit : «L’âme cherche la Croix», mais les yeux de Batiouchka regardaient déjà le ciel immense, celui qui un jour lui avait parlé de la Gloire de Dieu.
Les frères qui devaient célébrer la liturgie à la skite ne parvenaient à comprendre pourquoi le Père Vassili n’arrivait pas, lui toujours si ponctuel. Dans l’autel, on entendit alors les paroles d’un frère venu du monastère à la hâte : «Commémorez le Hiéromoine Vassili, gravement blessé et les moines Théraponte et Trophime, assassinés».
Le hiéromoine qui officiait à l’autel de la proscomédie répondit : «De quel monastère?». «Du nôtre». «Comment ça, du nôtre?» «Oui, ce sont nos frères qui viennent d’êtres assassinés par des satanistes». Un des pères qui concélébraient dit alors, les larmes aux yeux : «Gloire à Toi, Seigneur, Qui vient de visiter Optino de Ta miséricorde». Juste avant la fin de la liturgie, on annonça que le Hiéromoine Vassili était parti vers le Seigneur. Dans l’église, tous pleuraient. Un des hiéromoines se souvient : «Il aurait fallu clamer fort : «Le Christ est ressuscité!», mais j’étais incapable de pousser ma voix, je l’ai juste dit une fois».
Arriva alors un télégramme adressé au supérieur du monastère : «Le Christ est ressuscité! Je partage avec vous et avec les frères du monastère la joie Pascale! Et avec vous, je partage l’affliction causée par la perte tragique de trois moines d’Optino Poustin’. Je prie pour le repos de leurs âmes. Je crois que le Seigneur, en les appelant à Lui le premier jour de la Sainte Résurrection du Christ par une fin de martyrs, a fait d’eux les participants de la Pâque Éternelle dans le jour sans fin de Son Royaume. Avec vous et les frères, de toute mon âme. Patriarche Alexis II».
Traduit du russe
Source :
Небесные ратники. Жизнеописания и чудеса Оптинских новомучеников (Les soldats célestes. Vie et miracles des néomartyrs d’Optino) Alexandre Ivanovitch Iakovlev. Éditions : Святитель Киприан, Moscou 2013. Pages 100 à 109.