Écrits

Le texte ci-dessous est la traduction d’une homélie de Son Éminence le Métropolite Ioann (Snytchev) de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, prononcée en 1971. L’original russe a été publié dans le livre «La Voix de l’Éternité. Homélies et enseignements» (Голос вечности. Проповеди и поучения), publié à Saint-Pétersbourg en 1994, par les éditions Tsarskoe Delo, pages 110 à 113.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit!
Notre préoccupation essentielle à vous et moi, bien-aimés frères et sœurs, consiste à surprendre dans nos démarches, dans les mouvements de notre cœur l’une ou l’autre inclination au péché. Et non seulement à les surprendre, mais à nous efforcer de les supprimer. Voilà en quoi consiste notre labeur : purifier notre cœur et transfigurer notre âme et y implanter tout ce qui est bon, saint, tout ce qui est le fondement de notre vie éternelle.
Rien d’impur ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Comme le dit l’Apôtre Paul, ne vous y trompez pas, ni les impudiques, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n’hériteront le royaume de Dieu. Voilà pourquoi, frères et sœurs bien-aimés, notre podvig essentiel sur le chemin du salut, c’est, comme je l’ai dit, la purification de notre cœur de toute impureté pécheresse et l’accroissement en lui de toutes les bonnes habitudes chrétiennes. Et nous devons lutter avec fermeté et jusqu’au bout, lutter constamment et minutieusement.Dans notre démarche, il est utile de vérifier le plus souvent possible l’état spirituel dans lequel nous nous trouvons. Avons-nous atteint une étape de la perfection spirituelle ou nous en approchons-nous? Ou au contraire, nous éloignons-nous de ces étapes et reculons-nous sur le chemin du péché, le chemin de notre perte? Ne nous abusons-nous pas nous-mêmes avec notre espérance dans notre salut éternel ? Peut-être pensons-nous avoir tué en nous tout mouvement pécheur alors que le péché règne en maître sur notre cœur, sur notre âme, maîtrise nos forces, spirituelles et physiques?! C’est ici qu’il faut de la sagesse, c’est ici qu’il faut être guidé spirituellement, afin de surprendre à temps les malices de l’ennemi et les actions cachées du péché. Je vais vous proposer un exemple remarquable qui montre que même les grands héros de l’ascèse de l’Église du Christ ne discernaient pas toujours toute la complexité de leur situation spirituelle, toute la subtilité du péché qui pénétrait dans leur cœur, et ne leur accordait aucun moment de paix jusqu’à leur fin même. Et au moment où certains héros de l’ascèse pensaient avoir déraciné les passions en eux, celles-ci se cachaient encore dans les coins reculés de leur âme.
Un de ces remarquables startsy mena son podvig dans le désert pendant une cinquantaine d’années. Il menait une vie très austère. Quand il entama son podvig, il renonça à manger du pain et se nourrit uniquement de pantes comestibles et de leurs racines, et il limita sa boisson à un peu d’eau. Il vint un moment où il considéra avoir accompli le podvig de l’abstinence, de la prière et de la destruction des passions, ce héros de l’ascèse dit aux frères et aux anciens qui étaient venus le voir : «Voilà, j’ai annihilé trois passions fondamentales en moi : celle de la chair, l’avarice et la vanité». Il était tellement profondément convaincu de cela que personne ne put le détromper.
Ayant entendu cela, le grand Starets Abraham se hâta de venir auprès du héros de l’ascèse afin de le conseiller et de le mettre en garde quant au danger dans lequel il se trouvait. Abraham arriva et demanda : «Dis-moi, Abba, as-tu vraiment dit ceci et cela?». L’ancien acquiesça : «Oui, j’ai effectivement dit aux frères que j’ai vaincu en moi la passion de la chair, celle de l’avarice et celle de la vanité». «Bien, c’est très bien que tu les aies vaincues, mais je vais te mettre à l’épreuve, et tu verras si tu as réellement vaincu ces passions. Imagine que tu entres dans ta cellule et que tu y trouves une femme allongée sur ton lit. Pourras-tu ne lui accorder aucune attention et demeurer impassible comme s’il ne s’agissait pas d’une femme mais d’un objet inerte?» «Non, mais je peux contenir mes pensées, afin de ne pas toucher à cette femme.» Abraham répondit : «Eh bien tu vois, la passion est encore vivante en toi, tu l’as juste liée. Je vais encore te mettre à l’épreuve. Imagine que tu avances quelque part sur un chemin, et soudain, parmi les pierres, au milieu de débris de poterie tu aperçoives un tas d’or. Pourras-tu ne pas être troublé dans tes pensées par cette richesse et passer paisiblement à côté?». «Non, mais je vais lutter avec mes pensées afin de ne pas toucher à l’or et poursuivre mon chemin.» Abraham répliqua : «Eh bien tu vois, cette passion est encore vivante en toi, tu l’as seulement liée. Et dis-moi encore, deux frères viennent te voir, dont tu sais que l’un d’eux te loue et l’autre dit du mal de toi. Parviendras-tu sans aucun trouble à les accueillir joyeusement l’un et l’autre?» «Non, mais je lutterai avec mes pensées et m’efforcerai de les accueillir de la même façon dans la joie.» Abraham dit alors : «Eh bien tu vois, cette passion est vivante en toi. Elle est seulement liée».
Frères et sœurs bien-aimés, quel remarquable exemple nous offre ce récit. Vous voyez comment de grands anciens, qui ont mené leur podvig pendant cinquante ans, peuvent encore se tromper en pensant qu’ils ont détruit certaines passions en eux-mêmes. Ils ont lutté pendant de nombreuses années sans toujours pouvoir, comme vous l’avez entendu, déraciner complètement en eux certaines passions. Il est vrai qu’ils sont parvenus à les lier par leur volonté et ne leur permettaient plus de s’extérioriser, néanmoins, les passions demeuraient vivantes en eux.
Et nous? Avons-nous liés nos passions comme l’ancien éclairé par Abba Abraham avait lié les siennes? Si nous nous examinons, nous découvrirons que non seulement nous ne les avons pas liées mais que nous avons accentué en nous-mêmes l’une ou l’autre habitude pécheresse. Nous luttons, bien-aimés frères et sœurs, de manière très, très faible à la destruction de nos tendances pécheresses. Et les passions, bien-sûr, dominent dans notre cœur. Comme elles nous poussent et nous dirigent vers l’iniquité et la chute! Et nous, comme des brebis muettes, nous sommes conduits à l’immolation, mais non pas pour le Christ, pour le péché! Que chacun regarde en son cœur. Combien il y a de malice, de haine, d’envie, de colère, d’orgueil, de vanité et encore beaucoup d’autres choses, bien-aimés frères et sœurs ! Et si nous parvenons à voir que nous sommes tombés dans le péché, ce n’est pas encore suffisant. L’Église nous appelle à nous armer contre le péché, à nous armer par la prière et la patience, afin de déraciner en nous tout mouvement vers le péché.
Bien-aimés frères et sœurs! Le carême va se terminer et les passions dominent comme avant en nous, comme avant nous gisons dans la bourbe du péché et n’avons pas commencé réellement à avancer sur le chemin de notre salut. Mais nous ne désespérerons pas, nous n’ouvrirons pas la porte aux pensées de tristesse. Nous augmenterons nos efforts en ces derniers jours de Grand Carême et nous nous armerons contre le péché, nous appellerons l’aide de Dieu, nous élèverons nos prières à la Très Sainte Mère de Dieu et nous demanderons l’intercession des habitants des cieux et des héros de l’ascèse qui nous ont laissé leur remarquables exemples de repentir et de bonnes actions, et leurs intercessions devant le Seigneur nous affermiront dans notre détermination à lutter contre le péché et à implanter de bonnes habitudes en nos cœurs.
Seigneur, Seigneur! Bénis-nous de Ta Dextre divine, éclaire-nous, renforce-nous sur notre chemin vers le salut, afin que nous puissions atteindre la vie éternelle et glorifier le Nom de la Sainte Trinité dans les siècles sans fin. Amen.
Traduit du russe

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