Le texte ci-dessous est la deuxième partie de la traduction d’un original russe préparé par Madame Olga Orlova, et publié le 5 mai 2018 sur le site Pravoslavie.ru. Il propose à travers une série de témoignages, un portrait du héros de l’ascèse, le Starets Archimandrite du grand schème Adrien (Kirsanov), du Monastère de Pskov-Petchory. Il fut un des grands startsy de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, avec son confrère le Starets Ioann (Krestiankine) de bienheureuse mémoire. Ils furent deux luminaires qui répandirent avec abondance la grâce de Dieu au Monastère des Grottes de Pskov, déjà riche en saints et bienheureux startsy du XXe siècle. «Ceux qui ici sur terre étaient auprès de lui, se trouvaient comme au paradis».

La Très Sainte Mère de Dieu de Kossina

Je me dirigeai vers la sortie de l’église. Il y avait là l’icône de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu. Le Père Adrian se tenait à côté de celle-ci. Il me plaça devant l’icône et me dit une parole encourageante. En signe de dénégation , je lui dis :
– «Mais Batiouchka que voulez-vous?» Mes jambes ne me portaient qu’avec difficulté.
– «Je vais te guérir». Et à nouveau, il porta mon attention vers l’icône.
– «Il va me guérir… Les médecins n’ont pu me guérir, alors comment fera-t-il?», pensai-je
– Je vais te guérir. Répéta-t-il, en montrant la Très Sainte Mère de Dieu.
– «Oh, pensai-je à nouveau, et bien qu’il essaie».
– «Dans un mois, tu courras».
– «Un mois, bien sûr…» Il me met la pression, une pensée après l’autre. Il aimait beaucoup l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu de Modène [Le Comte Cheremetiev l’apporta de Modène en Russie en 1717. Elle est aussi appelée «Kossinskaia, du nom du village de Kossino, près de Moscou N.d.T.]. C’est peut-être sous cet aspect que la Très Sainte Mère de Dieu lu apparut. A cette époque je vivait encore dans un petit appartement chez des particuliers. Ils avaient beaucoup d’enfants ; il fallait les nourrir. Ils m’envoyaient souvent dans la forêt, à la cueillette aux champignons. Un jour, je me perdis, et lorsque je retrouvai mon sentier, qui montait, de joie, je me mis à courir! Je courais et criais «Roi Céleste, Consolateur…». C’était le seule prière que je connaissait à ce temps-là. Au moment où je dis «Amen», je me ressaisis : «Pas possible, je viens de courir!». Je me rendis à l’église dans laquelle Batiouchka confessait. Il s’interrompit soudainement, se retourna et cria d’une voix forte :
– «Aaah, Ludmila est arrivée!»
Tout le monde me regardais. Cela me mis mal à l’aise. J’étais si timide.
– «Alors, tu as couru?!», me dit-il en me prenant par les épaules dès que j’approchai.
– « Ce n’est pas le bon mot, j’ai volé!». Je ne me demandai pas même comment il pouvait le savoir.
– «Je te l’avais dit!»
Mais malgré cela, par la suite, à tout moment, je voulais partir de Petchory. C’était sans doute l’ennemi qui agissait, qui se dressait sur le chemin du salut. Un jour, j’allai trouver Batiouchka et le mis devant les faits :
– «Je m’en vais».
– «Comment ça, tu t’en vas? Je vais pleurer». Il me mit à son tour devant les faits.
– «Vous ne pleurerez pas. Et quoi qu’il en soit, je m’en vais.»
Il était assis et commença à penser, et il pensa longuement…
– «Tu veux que je t’offre une photo de moi?!!!»
Je me dis : «Je n’ai besoin de rien, je m’en vais», mais je répondis :
– «Oui, je veux bien. C’est juste maintenant que vous allez me donne cette photo… Mais il vaut mieux pas!»
– «Pourquoi?»
– «Parce qu’ici je vous ai observé sérieusement, et à la maison, cette photo encadrée et pendue au mur m’enverra ses regards de reproche…»
– «Alors, aujourd’hui, je vais t’en offrir une où je souris!». Il tentait une manœuvre dans une autre direction… «Je vais t’en trouver une maintenant!». Il en avait une pile sur une table et commença à le sélectionner.
– «Voilà. Ici, je souris?»
– «Oh non.»
– «Ah! Et sur celle-ci alors?»
– «Non plus»
– «Et là?»
Je regardai et compris qu’il avait un tas de photos identiques qu’il me montrait l’un après l’autre. Je pensai : «Seigneur, que dois-je faire? Batiouchka est ici devant moi, etc…» J’acceptai alors l’exemplaire suivant :
– «Voilà, là vous souriez. C’est une belle photo, vous me la donnerez.» Les choses en restèrent là. Cette photo pendra à mon mur. Ou pendrait… Car je me dis que j’allais filer en douce. Je remplissais ma valise quand l’auxiliaire de cellule arriva : «Batiouchka t’appelle». Mais je n’avais même pas l’intention d’aller lui demander sa bénédiction… Et je compris immédiatement: «Mais pourquoi m’appelle-t-il juste maintenant?!». «Vas-y donc!», dit l’auxiliaire de cellule, comprenant sans doute les raisons de mon hésitation. Je pensai alors : «Allons-y,… une dernière offense à Batiouchka…». J’entrai.
– «Ludmila, où vas-tu?»
– «Maintenant, je vais voir mon frère.»
Il se mit de nouveau à penser longuement. Visiblement, il ne voulait pas, lui non plus, m’offenser.
– «Ne fais pas de longs déplacements». Il n’avait pas donné sa bénédiction, mais n’avais pas réprimandée.

Je me souviens d’un jour où je m’étais sentie très offensée. J’étais assise dans l’église de la Dormition, accroupie près du poêle, la tête appuyée sur les mains: «Je n’irai même pas chez Batiouchka. Que tout le monde sorte, et je m’en irai…». Soudain, j’écoutai… Un grand silence. J’ouvris les yeux et vis une paire de bottines. Batiouchka se tenait devant moi. Les gens s’étaient agglutinés autour et tout le monde me regardait. «Seigneur aie pitié!»
– «Batiouchka bénissez…»
Par la suite, il y eut encore des moments difficiles : «C’est fini, je n’en peux plus!». Alors je me souvenais des bottines, et c’était bon, je ne voulais plus partir nulle part.
Je me souviens qu’avec sa bénédiction, j’ai fini par acheter une petite maison ici à Petchory. Il est venu la voir, s’est assis et a dit: «Ici, c’est comme au paradis». Souvent, il me rappelait:
– «Il faut avoir la foi. Avoir la foi!!!»
Il m’avait donné sa bénédiction pour aller aux office chaque jour, matin et soir. Je me souviens qu’une maman et ma petite fille vécurent ici, toutes deux possédées. Batiouchka leur avait donné sa bénédiction pour rester en permanence dans l’église. Il les confessait. La maman se préparait toujours minutieusement à la confession, et puis chaque fois, elle oubliait sa «feuille de triche» à la maison.
– «Oui, tu as bien noté tous tes péchés, je les ai tous lus», disait alors Batiouchka et il la couvrait immédiatement de son épitrachilion.
Vraiment, il vivait dans deux mondes : ce monde-ci, et le monde spirituel. Le Père Zénon (Théodore) raconta comment ils remontèrent un jour, Batiouchka et lui, de l’église Saint-Nicolas à celle de l’Archistratège Mikhaïl. Un groupe de visiteurs étrangers passa à côté d’eux. Soudain, le Père Adrian dit clairement, nettement, à voix forte, quelques paroles en Araméen. Une femme qui avançait dans ce groupe se retourna et lui répondit quelque chose en Araméen. Il agita la main, voulant dire : c’est bien, fais comme tu veux. Et elle poursuivit son chemin. Le Père Zénon demanda à Batiouchka :
– «Que s’est-il passé?»
– «Oh, et bien, cette femme qui passait avait un démon sur elle ; il avait assisté à la crucifixion de notre Seigneur, il était près de la croix. Il s’est accroché à elle et reste sur ses talons. Je pensai le chasser, mais elle n’a pas voulu. Qu’elle reste avec lui!»
Batiouchka aimait beaucoup les enfants. C’est vrai, je me souviens qu’il donnait un bonbon aux uns, aux autres, deux parfois. L’un d’entre eux se réjouit : «A moi, à moi!», et il en reçut toute une corbeille. Plus tard, ce petit garçon devint moine. Batiouchka voyait et savait beaucoup de choses, du passé, du futur, de tout ce qui est invisible à nos yeux. (A suivre)
Traduit du russe
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