Le texte ci-dessous est la traduction d’un article de l’Archiprêtre Alexis Chargounov, paru sur le portail Pravoslavie.ru le 2 mai 2012, à l’occasion de l’anniversaire de la glorification de la Bienheureuse Matrone de Moscou. Le 2 mai 1999, en présence d’un grand rassemblement de personnes, a eu lieu l’office de glorification de la Bienheureuse Staritsa Matrone, pieuse héroïne de l’ascèse au XXe siècle, consolatrice du peuple tout entier pendant les années d’athéisme et d’afflictions pour l’Église. Cette Bienheureuse qui plut au Christ resplendit d’une lumière particulière au sein du grand chœur des saints russes devant le trône de Dieu. Aveugle de naissance, la grâce la dota de la vision spirituelle, et du don de clairvoyance.
Comprenons-nous bien ce que signifie être aveugle de naissance, vivre toujours dans les ténèbres imperméables à la lumière? Impossible d’échapper à celles-ci, jamais, pour personne. Seulement les ténèbres sans fin suivies des ténèbres éternelles après la mort. Sainte Matrone n’était pas seulement aveugle. Elle n’avait pas d’yeux. Ses fosses oculaires étaient closes par des paupières étroitement fermées, comme celles de cet oiseau blanc qu’avait vu sa mère en rêve avant qu’elle la mit au monde.La sixième semaine après Pâques, semaine de l’aveugle-né, nous pouvons entendre explication du Seigneur, qui permet de comprendre ce que signifiait la souffrance de la Bienheureuse Matrone. Qui avait péché, ses parents ou l’aveugle-né lui-même? C’est ce que demandèrent avec anxiété les disciples du Seigneur au sujet de l’aveugle-né (Jean9,2). Tous les malheurs sont liés u péché, même les tremblements de terre, les inondations, les sécheresses. Tout cela provient de nos péchés, et il existe une loi de la justice mystérieuse selon laquelle la punition pour les péchés s’applique jusqu’à la troisième et la quatrième génération, mais la miséricorde de Dieu envers le juste s’étend jusqu’à la millième génération. Il s’agit d’une loi qui fut toujours secrète, cachée, mais nous devons en tirer des conséquences immédiates. Serait-ce en vain que l’Ecclésiaste se lamente de ce que les justes subissent si souvent des afflictions et que les méchants prospèrent? Il s’agit ici d’un point d’achoppement pour beaucoup de gens, pas seulement pour les athées professionnels d’hier, qui nient l’existence de Dieu à cause des terribles souffrances et de l’injustice dans le monde, bien que dans leur indignation même, on peut distinguer parfois une bonne cécité. Notre désir de perfection est l’aspiration inconsciente vers Dieu, la justice suprême est déjà une sorte de lumière divine en nous.
«Ni lui ni ses parents n’ont péché, mais c’est pour que l’œuvre de Dieu se manifeste à travers lui», dit le Seigneur (Jean 9,3). Et cela ne signifie pas que quelqu’un pourrait naître sans péché, mais bien que Dieu est infiniment miséricordieux. L’histoire du juste Job, qui souffrit longtemps, témoigne de ce même mystère. Et la même chose s’applique à la Bienheureuse Matrone. La Providence suprême de Dieu est de nous faire communier Lui, et elle peut concerner le chemin de l’homme, dès les profondeurs de la naissance. «Dieu l’a puni», prononcent hâtivement les indifférents, ne voyant pas que le Seigneur l’a visité ou, autrement dit, l’a regardé avec un amour particulier. Comme le dit le Bienheureux Augustin, nous voyons parce que Dieu nous voit. Dieu nous voit et il veut que nous le voyions.
Un jeune homme gravement malade a raconté comment, enfant, il était un garçon pieux, allait souvent à l’église, et il lui avait été donné de savoir ce qu’est la grâce, combien le Seigneur est miséricordieux. Mais ensuite, survint un malheur: il tomba d’un arbre et fut paralysé pour toujours. Au début, c’était insupportablement effrayant; il était grand et fort. La honte et la colère bouillonnaient en lui. Pendant des mois, il injuria Dieu. C’est par la prière qu’il comprit ce qui lui était arrivé. Un jour, il se dit: avant cet accident, je savais que Dieu m’aimait, qu’est-ce qui a changé maintenant? Et peu à peu, il prit conscience de tout. Il devint clair pour lui que Dieu l’avait touché personnellement et qu’Il voulait lui dire quelque chose à travers cette maladie. Et il pria pour entrer dans la pensée de Dieu, dans sa Providence à son sujet, et voir qu’il souffrait pour une bonne raison. Et il a commencé à découvrir les péchés dans lesquels il avait vécu. Il avait besoin de les connaître, c’était ce qui l’éloignait de Dieu. Peut-être quelqu’un dira-t-il: quels peuvent bien être les péchés particuliers d’un jeune gars? Mais nous savons que les saints, à mesure qu’ils s’approchent de la lumière du Christ, sont de plus en plus capables de voir leurs péchés. Parfois, il disait au Seigneur: «Si je recommence à m’éloigner de Toi après avoir été guéri, alors je préfère ne pas guérir», et c’est pourquoi même la mort ne lui faisait plus peur. Après tout, elle n’est pas un véritable mal, elle nous donne la possibilité d’aller à Dieu.
Si un homme savait, dit Saint Seraphim de Sarov, ce que signifie voir Dieu, il accepterait d’aller à Lui à travers n’importe quelles ténèbres. Les souffrances sont diverses, mais la pire, c’est la peur que de perdre à jamais la lumière Divine parce qu’on ne sens plus le lien avec Dieu. Beaucoup de gens pensent que le chemin vers Dieu est tout d’éclat, de paix et de joie, mais Dieu, après avoir donné de voir une fois la lumière, éprouve l’âme. C’est une chose d’accepter Dieu dans Sa révélation personnelle, avec joie et jubilation, et c’en est une autre que d’aller comme Dieu le veut jusqu’à ce que l’âme apprenne humblement à répondre à la volonté de Dieu. La lumière éclatante qui a révélé un monde merveilleux s’estompe malgré tous nos efforts pour rester fidèle au Seigneur, et tout ce qui reste est la foi. Cette épreuve peut être longue, parfois entrecoupée de brèves consolations, après quoi l’âme peut sombrer dans des ténèbres plus grandes encore. Dans certains cas, ces ténèbres peuvent être associées à des circonstances externes défavorables: désordre dans la famille, maladie, échecs complets dans les affaires, accident. Mais alors, il y a la tentation d’expliquer nos ténèbres par des difficultés extérieures. Nous devons aller plus loin que les tribulations de l’existence terrestre si nous voulons surmonter les ténèbres de l’âme. C’est seulement ainsi que peut se dévoiler l’obscurité de l’abandon de Dieu vécue par le Christ crucifié, sans laquelle il n’y a pas de Lumière de la Résurrection. C’est sur ce chemin seulement qu’une véritable révélation de l’âme est possible, dans la capacité de celle-ci à demeurer avec le Seigneur, quelles que soient les circonstances extérieures intolérables, dans sa capacité de compassion pour tous ceux qui gisent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort.
Dans sa dix-septième année, Matrone perdit la faculté de marcher: ses jambes se sont soudain immobilisées. Jusqu’à la fin de ses jours, elle demeura assise. Et son assise, dans différentes maisons, appartements et sous-sols, où elle trouva refuge, dura encore cinquante ans. Elle ne murmurait jamais à cause de sa maladie, mais portait humblement cette lourde croix qui lui avait été donnée par Dieu. Quand elle a déménagé à Moscou, commença son errances chez des parents et des amis. Parfois, elle devait vivre avec des gens qui la traitaient de manière hostile. Il n’était ps facile de se loger à Moscou était, pas question de choisir. Presque partout Matrone vivait sans permis de séjour, plusieurs fois elle échappa miraculeusement à l’arrestation.
Nous vivons des temps particuliers, et il est donné aux gens de vivre des tribulations particulières: les ténèbres éternelles, c’est-à-dire le mal le plus vil qui menace secrètement l’âme jusqu’à ce qu’elle soit complètement libérée du péché, sont ouvertement présentes dans le monde extérieur aujourd’hui. La nuit tombe, «Il est plus tard qu’il ne paraît», comme on dit. Des millions de personnes naissent aveugles. Est-ce leur faute ou celle de leurs parents, s’ils sont nés et vivent toute leur vie dans les ténèbres de l’athéisme? Et aujourd’hui, tout est fait pour que cette terrible cécité soit très naturelle pour l’homme. Quand Il vit l’aveugle-né de l’Évangile, le Christ ne souligna pas le lien entre le péché et la souffrance, entre le péché et l’aveuglement, comme Il le faisait habituellement. Il dit que c’était arrivé pour que la gloire de Dieu apparût à travers lui. Que devons-nous faire, comment prier Dieu pour être présents au Christ dans le monde, pour que la gloire de Dieu soit révélée aux hommes? Quand la vie nous frappe d’un coup pénible, nous devons montrer au monde comment les chrétiens peuvent vivre et comment, s’il le faut, ils peuvent mourir.
Dans la vie de la bienheureuse Matrone survint l’histoire suivante. Un jour, un policier vint pour appréhender Matrone, mais elle lui dit «Vas, vas vite, il y a un malheur dans ta maison! Et l’aveugle que je suis n’ira nulle part, je suis assis sur mon lit, je ne vais nulle part». Il obéit et rentra chez lui Sa femme avait été brûlée par l’huile du réchaud. Il parvint à l’emmener à l’hôpital. Le lendemain, il se rendit au travail, et on lui demanda «Eh bien, tu as pris l’aveugle?». Il répondit : «Je ne prendrai jamais l’aveugle. Si l’aveugle ne m’avait pas averti, j’aurais perdu ma femme, et ainsi, j’ai pu l’emmener à l’hôpital».
Chaque jour de Matronouchka recevait jusqu’à quarante personnes. Les gens venaient avec leurs malheurs, leurs douleurs mentales et physiques. Elle ne refusé son aide à personne, sauf à ceux qui venaient avec une mauvaise intention. Certains voyaient en Matouchka une «guérisseuse du peuple», capable d’enlever la corruption ou le mauvais œil, mais après avoir communiqué avec elle, ils comprenaient que devant elle se tenait une femme de Dieu et ils se tournèrent vers l’Église et se Mystères salvateurs. Son aide aux gens était désintéressée, elle ne demandait rien à personne. Chaque jour de sa vie était un flot de chagrin et de tristesse, que les gens venaient déverser sur elle.
Personne ne peut voir clair, personne ne peut voir, sans la lumière. Seule la lumière guérit, seul l’amour guérit. «Tant que Je suis dans le monde, je suis la lumière du monde», dit le Christ (Jean 9,5) et nous devons être, selon Sa parole, selon le don qu’Il nous a fait, la lumière du monde, afin que les autres voient. Cependant, aucun d’entre nous ne peut devenir lumière tant qu’il n’a pas traversé ses propres ténèbres, s’efforçant de les vaincre, jusqu’au bout, jusqu’aux ténèbres de la croix, dans laquelle se trouvent les ténèbres de tous les aveugles de ce siècle, jusqu’aux ténèbres de la Croix du Christ, et donc jusqu’à La lumière de Sa Croix et de Sa Résurrection.
Un seul regard du Christ guérit, si seulement on peut Le regarder dans les yeux! Et ton frère, ton prochain, comme il est beau, si tu pouvais voir! Si seulement tu pouvais voir et, dans chaque visage humain, reconnaître le Saint Visage du Christ!
Traduit du russe
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