«... en 38 années de sacerdoce presbytéral et épiscopal, j'ai prononcé environ 1250 homélies, dont 750 furent mises par écrit et constituent douze épais volumes dactylographiés...»
(Le Saint Archevêque Confesseur et chirurgien Luc de Crimée)
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L’homélie ci-dessous a été prononcée le 8 avril 1951. Elle est intégrée dans le recueil intitulé «Tome 1» des Homélies de Saint Luc, où elle porte le titre : Homélie sur la Passion, douzième.
Le pénible chemin a été parcouru, la Via Dolorosa est finie. Ils sont arrivés au terrible Golgotha. Ils creusent une trou, y insèrent la croix de Jésus et l’y stabilisent. Ils dévêtent Jésus. Ils lui enlèvent tous Ses vêtements, tous… O Seigneur, que font-ils?! A cette vue, les Anges, les Chérubins et les Séraphins, remplis d’effroi, cachent leurs visages derrière leurs ailes. Comment pourraient-ils supporter de voir la nudité de Celui dont l’indicible beauté a embelli toute la nature qu’Il créa, Lui qui maintenant Se tient nu et attend l’horrible supplice! Deux soldats hissent Jésus sur la Croix. Deux autres, juchés sur des tabourets tapent sur les terribles clous qui s’enfoncent et rivent à la croix ces mains pures dont le toucher rendit la vue aux aveugles, ces mains qui d’un signe calmèrent la tempête qui faisait rage sur le Lac de Génésareth, et firent taire le vent.
Ils clouèrent les mains de Jésus.
Ils clouèrent Ses pieds avec les clous terribles.
Le corps divins était suspendu …
Et la douleur était si horrible, si insupportable!
Et le poids du corps de Jésus déchirait les plaies causées par les clous !Il semblait que de Sa poitrine allait sortir un râle, un râle d’agonie… Mais ce ne fut pas un râle. Au lieu d’un râle, le monde entendit qu’Il priait pour ceux qui l’avaient crucifié : «Pardonne-leur, Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Commencèrent alors les six heures d’indescriptibles souffrances de l’Homme-Dieu.
Sur la Croix, au-dessus de Sa tête, ils clouèrent une planchette blanche sur laquelle ils avaient écrit en noir : «Jésus le Nazaréen, Roi des Juifs». Jamais on n’avait placé d’écriteau pour les crucifiés. Pilate le fit, afin de déverser sa malice sur ceux qui lui avaient livrés Jésus, les scribes et les chefs des prêtres. Il savait que Celui qu’ils lui livraient était un juste, et qu’Il n’était pas coupable. Il ne voulait pas que Jésus fût crucifié. Il déploya maints efforts pour Le sauver, mais quand il entendit les vociférations provocatrices : «Si tu Le libères, tu n’est pas l’ami de César!», il baissa les bras, il n’osa plus s’opposer aux juifs, et son animosité à leur égard, il la déversa dans cette inscription sur la croix, inscription qui était rien moins qu’une injure aux juifs qui avaient crucifié le Christ. Il était écrit qu’ils avaient crucifié leur propre roi. Et ceux qui lisaient cela étaient des juifs venus, dans leur grande majorité, de tous les coins du monde pour participer à la fête. Ils ne savaient rien de ce qui s’était passé avant le jugement, ni encore lors du jugement, et ils lisaient et se demandaient : «Mais qui avez-vous crucifié? Vous avez crucifié notre Roi!». Les scribes et les pharisiens enrageaient : comment pareille chose vient-elle à être lue par tous? Ils coururent auprès de Pilate et lui demandèrent : «Tu ne dois pas écrire ‘Roi des Juifs’, mais ‘Celui qui se prétendait Roi des Juifs’». Et Pilate leur répondit : «Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit». Ayant reçu pareille réponse, ces malicieux ennemis du Christ voulurent déverser leur malice et leur exaspération sur Jésus au moyen de moqueries haineuses. Ils allèrent ainsi jusqu’à la Croix et disaient : «Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même! S’il est roi d’Israël, qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. Il s’est confié en Dieu; que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime. Car il a dit: Je suis Fils de Dieu »(Mat.27,42-43). Et la foule, cette sombre foule, toujours sous l’influence de ses meneurs, toujours imitant ceux-ci, reprit cette ignominie, et la plupart des juifs qui passaient au pied de la Croix reprenaient les paroles offensantes des chefs des prêtres et des scribes. Et les brutaux soudards qui avaient crucifié Jésus le couvraient de railleries. Et puis nous entendons, n’en croyant pas nos oreilles, la voix d’un des brigands crucifiés aux côtés de Jésus : «Souviens-Toi de moi, Seigneur, quand Tu viendras en Ton Royaume». Miracle! Extraordinaire, incompréhensible miracle! Alors que tous L’insultaient, tous rependaient leur malice, lui qui avait été cloué sur une croix à côté de Jésus, confessait Sa divinité, l’appelant Seigneur, Lui adressant sa Prière de l’accepter en Son Royaume. Et nous entendons la réponse du Dieu-Homme : «Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis» (Lc.23,43).
Que s’est-il passé, comment expliquons-nous cet étonnant événement, cette confession au Seigneur suspendu à la Croix? Serai-je capable de vous l’expliquer avec mes faibles moyens….. Je souhaite dire que nous ne savons pas qui était au juste ce soi-disant larron. Était-il un véritable malfaiteur, un brigand qui tuaient les voyageurs pour les dévaliser, ou pas du tout ? N’était-il pas un comparse de Barabbas qui créait des troubles très sanglants dirigés contre les Romains à Jérusalem quelques temps avant les derniers jours de la vie de Jésus? Il est très possible qu’il ait été un comparse de Barabbas, et si on le qualifie de brigand, de larron, c’est parce que les gens avaient l’habitude de désigner ainsi tout les fauteurs de troubles qui n’hésitaient pas à verser le sang. Mais en était-il réellement ainsi? Vous savez peut-être que ceux qui fomentent des soulèvements, qui suscitent des troubles, ne sont pas forcément des malfaiteurs, mais des gens animés par des intentions favorables envers leur peuple et qui souhaitent alléger le joug qui pèse sur celui-ci au moyen de rébellions. Alors, il ne s’agit pas de brigands, de malfaiteurs, ces gens sont souvent moralement propres. N’était-ce pas le cas du larron repentant? N’aurait-il pu, quand il était libre, assister à des prêches de Jésus, à Ses miracles, et les paroles du Sauveur ayant pénétré profondément en son cœur, ne les conservait-il pas en sa mémoire? Et maintenant, il voyait Jésus condamné à mort tout comme lui et son cœur trembla, et la lumière invisible émanant de Jésus crucifié sur la croix, la Lumière divine, entra en son cœur et l’illumina, et une foi brûlante emplit subitement son cœur. Peut-être aurions-nous dû expliquer autrement cette exclamation subite et stupéfiante, ces paroles surprenantes : «Souviens-Toi de moi, Seigneur, quand Tu viendras en Ton Royaume». Mais quel exemple pour nous, qui à travers l’Évangile connaissons déjà tout ce que Jésus fit, ce qu’Il enseigna, la lumière pour l’âme qu’Il déverse, comme une rivière intarissable, en nos cœurs, au fil des pages de l’Évangile. Éclairés par cette lumière, écrions-nous avec le larron : « «Souviens-Toi de moi, Seigneur, quand Tu viendras en Ton Royaume !». Quelle grande affaire que cette conversion du larron, à qui le Royaume de Dieu est promis, ce jour même, à qui tous les péchés sont remis sur une seule parole remplie de foi et d’amour.
Les paroles du larron ainsi que la réponse de Jésus imposèrent le silence. Le calme s’installa et les offenses que déversaient sur le Christ Ses malicieux ennemis s’éteignirent. Lentement, lentement, avec une lenteur effroyable, insupportable, s’écoulaient les heures terribles de la souffrance du Christ… Il souffrait un martyre, une torture, Il endurait un supplice insupportable… Mais Il endurait… Et les heures passaient, s’écoulaient.
Et la terrible sixième heure arriva, alors «il y eut des ténèbres sur toute la terre» (Mat.15,33). Que veut dire ‘toute la terre’ ? Les écrivains de l’époque ne connaissaient pas d’autre lieux, d’autre terre que la terre de Palestine et les régions avoisinantes de l’Empire Romain. Pour eux, c’était ‘toute la terre’. Les historiens romains de l’époque ont fournis des informations incontestables et fiables selon lesquelles ce jour-là, et à cette heure-là, «il y eut des ténèbres sur toute la terre». D’où provenaient ces ténèbres? S’agissait-il d’une occultation solaire? Non, pas du tout, c’est impossible, car c’était un jour de pleine lune, et il ne peut y avoir d’occultation solaire lors de la pleine lune. L’occultation se produit lorsque la lune est invisible depuis la terre. Les ténèbres de l’occultation solaire surviennent sur terre quand la lune se trouve entre le soleil et la terre et projette son ombre sur celle-ci. Qu’étaient donc ces ténèbres?
Ces ténèbres étaient un miracle. Dieu envoya les ténèbres sur la terre pécheresse, les mêmes que celles qu’Il envoya sur l’Égypte, et qui furent l’une des dix plaies envoyés sur le pharaon et son peuple. Ce fut l’un des miracles de Dieu.
Jésus souffrait. Ses proches s’étaient tenus éloignés jusqu’alors ; ils observaient le crucifié avec effroi. Profitant de la ténèbre et de l’émotion qu’elle provoqua chez les ennemis de Jésus, ils se rapprochèrent de la croix. Au pied même de la Croix se tenait la Panagia, Sa Mère très Sainte et très Pure, sur Qui s’abattaient en ces instants la terrible prophétie annoncée par de Saint Siméon le jour de la Circoncision, et comme une épée à double tranchant, une peine terrible s’enfonçait dans le cœur de Marie. Elle se taisait et ce silence était l’expression de Son atroce tristesse, une expression incomparablement plus profonde que les cris, les sanglots et les lamentations. A Ses côtés se tenait Sa sœur Marie, épouse de Cléopas, Marie-Madeleine et Jean, le disciple bien-aimé du Christ. Nous admirons alors un nouvel épanchement d’amour de notre Sauveur, tout empreint de sollicitude et de gratitude envers Sa malheureuse Mère. Il Lui dit, en La regardant : «Femme, voici ton fils», et s’adressant à Jean «Voici ta mère», « Et, dès ce moment, le disciple la prit chez lui »(J.19,27).
Quel amour, quelle sollicitude, quelle tendresse en ces moments de souffrance la plus insupportable, et proches du dénouement.
Les heures terribles s’écoulèrent… La huitième déjà, et puis arrive la terrible neuvième heure… Les forces de Jésus s’éteignaient… Une soif brûlante desséchait Sa bouche et Sa gorge : «J’ai soif!»
Parmi les soldats brutaux, il s’en trouva un qui eu pitié de Lui et fixant au bout d’un roseau une éponge imbibée d’eau et de vinaigre, il l’éleva contre les lèvres de Jésus. Et étancha Sa soif. Mais Ses souffrances avaient atteint un degré insupportable. Et le peuple entendit alors les terribles terribles paroles qui sortirent de la bouche de Jésus : «Eli ! Eli, ! Lama sabachthani», «Mon Dieu! Mon Dieu! Pourquoi M’as-Tu abandonné?». D’aucuns sont troublé par ces mots. Comment cela se put-il, pourquoi L’abandonna-t-Il, pourquoi ne pas avoir allégé Ses souffrances ? Que dire devant ce désarroi? Il convenait qu’il en alla ainsi. Dieu le Père ne pouvait pas, ne devait pas alléger Ses souffrances, car Il souffrait pour les péchés de tous les hommes, car de Lui dépendait, sur Lui pesait, de tout son poids effroyable, pareil au Mont Pamir, le péché du monde entier.
Par Ses propres souffrances, Il devait expier tous ces péchés, Il devait effacer la tête de l’antique serpent du diable. Et pour ce faire, il fallait que s’accomplisse l’effroyable prophétie du grand Isaïe : «le châtiment qui devait nous rendre la paix est tombé sur lui; nous avons été guéris par ses meurtrissures »(Is.53,5). Ce châtiment exista pour nos péchés, parce qu’innombrables sont les péchés des hommes, de toute l’humanité. Voilà pourquoi il fut terrible le châtiment qu’Il subit pour notre paix.
Le saint martyr Cyprien de Carthage vécut au IIIe siècle. Voici ce qu’il écrivit pour expliquer les paroles du Christ : «Pourquoi le Seigneur fut-Il abandonné? Pour que Dieu ne nous abandonne pas. Il fut abandonné pour la rédemption de nos péchés et de la mort éternelle, abandonné pour témoigner Son plus grand amour envers le genre humain, abandonné pour prouver la justice et la miséricorde de Dieu, pour attirer notre cœur vers Lui, pour montrer l’exemple à tous ceux qui souffrent».
Pour que Dieu ne nous abandonne pas, nous pécheurs, si Christ ne nous enlève pas nos péchés … Pour attirer nos cœurs vers Lui.
Et Il a attiré tous les cœurs…
Restera-t-il un seul cœur froid? Non, non, cela ne peut pas être! Tous nos cœurs sont remplis d’un amour brûlant pour le Christ Sauveur.
Arrive le moment terrible, le moment de la mort de Jésus.
De la poitrine de l’Homme-Dieu, qui souffrit pour le monde entier, sort une parole qui doit secouer le monde entier, qui secoue jusqu’à présent le monde chrétien tout entier :
«Tout est accompli…»
Elle était accomplie, la grande œuvre de rédemption du genre humain, et la terre tremble, les montagnes tremblent, les pierres et les rochers se fendent, et le voile dans le temple de Jérusalem se déchire en deux, du bord supérieur au bord inférieur.
Le centurion, qui a commandé l’exécution de la mise à mort, et les guerriers qui l’exécutèrent, voyant cela, tremblent et sont dans l’effroi.
Et le centurion crut en Christ. Et il s’exclama : «En Vérité, cet Homme était le Fils de Dieu» (Marc 15,39).
Et il reçut le baptême au Nom du Christ, et il termina sa vie par une mort en martyr, car les ennemis de Jésus, les scribes, les grands prêtres et les pharisiens ne purent supporter le fait que le centurion romain se soit converti au Christ. Il le calomnièrent auprès de Pilate, qui donna l’ordre de décapiter le centurion.
O toi, bienheureux Martyr Longin, apprends-nous aussi à nous exclamer en regardant la Croix: «En Vérité, Cet Homme était le Fils de Dieu!»
Traduit du russe