Rares
furent
en tous temps
les authentiques
vénérateurs de Dieu.
(Métropolite Innocent de Penza)
Entre le 1er janvier et le 15 mars 2021, fut proposée sur le présent site la traduction de dix extraits constituant le début du livre «Le Chemin de Croix de l’Higoumène Boris». L’année 2022 commence avec la traduction de quelques pages de la suite du livre. Le texte ci-dessous est la relation de souvenirs d’un fils spirituel de ce héros de l’ascèse très peu connus en Occident : l’Higoumène Boris (Khramtsov) de bienheureuse mémoire. L’original russe est accessible librement sur l’internet, mais il fut également publié en 2005 sous forme de livre intitulé «Крестный Путь Игумена Бориса» (Le chemin de croix de l’Higoumène Boris) aux éditions Palomnik. Les parties déjà publiées du livre précité se trouvent ici.
Souvenirs de la servante de Dieu Elena (suite)
(…) Victor demanda que je l’attende. Quand il sortit, il dit que Batiouchka avait béni d’aller à Godenovo jusqu’à la Croix, en voiture, et aussi qu’ils me prennent avec eux pour y aller. Je demandai si c’était une croix particulière. «Eh bien oui, celle qui est descendue du Ciel à Antouchkovo. Vous ne la connaissez donc pas?». Non, je ne la connaissais pas. Ce n’était pas possible. Une Croix? Du Ciel? Je vivais à Moscou, je lisais les journaux, je regardais la télévision. Il est vrai que je lisais aussi beaucoup de littérature spirituelle, mais je n’avais rien lu sur le sujet. Et puis, ce n’était pas possible. Sans doute que dans ce coin, tout était un peu comme ça. Mais il avait béni, donc, je devais y aller. Dans la voiture, Victor parla avec détails au sujet de cette Croix, mais mon mental ne pouvait accepter ce qu’il disait. Nous arrivâmes. Quand nous nous trouvâmes devant la Croix, je compris que tout ce qu’il avait dit était vrai. Nous écoutâmes longuement le Père Vladimir. Nous vénérâmes la Croix, et je demandai qu’on me donne un petit peu d’huile de la lampade. Le Père Vladimir commença à verser de l’huile dans un petit flacon. Et puis il se passa quelque chose. Un parfum extraordinaire émana de la lampade, un parfum comme il n’en existait pas sur terre. Il était tellement puissant. Soudain, tout changea. Nous tombâmes tous à genoux car nos jambes ne nous portaient plus. Tous nous pleurions. Mais quel genre de larmes… après la confession auprès du Père Boris, ces larmes avaient fait leur travail. Sans rien comprendre à ce qui se passait, je pleurais sans savoir pourquoi. Et les larmes coulaient comme des ruisseaux. Combien de temps cela dura, je ne sais plus. Nous étions six, avec le Père Vladimir. Quand ce fut calmé, quand nous pûmes nous relever, le Père Vladimir nous demanda de ne raconter cela, provisoirement, à personne sinon nos plus proches. Ressentant en nous l’effet de la grâce, nous ne parvenions pas à nous calmer. L’air à l’intérieur de la voiture était saturé de ce merveilleux parfum. Celui-ci imprégnait nos vêtements et même notre peau. Ils me ramenèrent à Moscou. Après la confession au Père Boris, je me sentais comme une enfant toute propre, comme une petite fille, ma répulsion envers les péchés de la chair était très forte.
J’entrai dans notre appartement. Mon mari et mon fils s’inquiétèrent de l’endroit que le starets avait béni pour notre fils, quel institut technique et professionnel. Mais quand je fis mon entrée, le parfum se répandit dans tout l’appartement et je dis : «Tout va bien. Eugène (notre fils) est très intelligent. Qu’il continue donc à étudier à l’école. Il étudiera bien et bientôt il travaillera pour l’Église, et si ce parfum émane de moi, c’est parce que j’ai vu le miracle de la venue de la grâce de Dieu, par la Croix qui est descendue du Ciel».
Je ne sais ce que mes proches pensèrent alors de moi. Et moi-même, je ne savais que penser. Je ne pouvais ni me laver les mains, ni les jambes. Il me semblait que cela aurait été un sacrilège que de laver ce parfum, et pour la première fois de ma vie, je passai la nuit avec mon foulard sur la tête, et sans me changer, je dormis à même le sol. Une nouvelle vie commençait.
Deux semaines après mon voyage, je ne savais toujours que conclure, ni où j’en étais, et je ne pouvais croire les paroles du Père Boris; comment était-ce possible de bien étudier dans une pareille négligence? Quant au travail à l’église autant ne pas en parler. Je n’autoriserai pas mon fils à aller aussi loin. Qu’il étudie. Mais deux semaines plus tard une connaissance nous rendit visite et annonça que notre fils était invité à travailler dans une église proche de notre domicile. Nous ne savions même pas qu’on construisait une église près de chez nous. Et quelques jours plus tard, notre fils fit son entrée à l’autel.
Anticipant quelque peu, je dirai que notre fils termina l’école avec un seul trois, en géographie, mais il avait été attribué en huitième année, avant même de rencontrer le Père, et par la suite la géographie ne fit plus partie des matières enseignées. Il réussit parfaitement les examens de fin de onzième année, sans cours préparatoires, avec la bénédiction du Père Boris, et il entra à l’Institut Orthodoxe de Théologie Saint-Tikhon.
Par après j’ai réfléchi à la façon dont notre fils avait été recruté à l’église proche de chez nous. Nous ne la connaissions pas, nous n’en connaissions pas non plus le prêtre. Notre amie avait juste demandé à celui-ci, sans notre permission, s’ils avaient besoin d’un garçon pour aider. «Il est grand, ce garçon?» lui avait demandé le prêtre. «Très grand». «Alors qu’il vienne, car nous avons un très long sticharion».
Cette connaissance, une femme, ne savait rien de mon voyage auprès du Père Boris. Je me dis alors que peut-être notre fils allait-il commencer à mieux étudier. Mon mari s’éloigna, tomba amoureux d’une autre femme et décida de partir. Après un dernier éclat tapageur, il partit. Et je me rendis pour la deuxième fois chez le Père Boris. En chemin, je regrettai de faire le déplacement. Allons-donc, pourrait-il faire revenir mon mari? Non. Alors, à quoi bon? J’arrivai tard le soir à Varnitsa, rempli de monde. Je demandai à plusieurs reprises qui était le dernier dans la file d’attente. Personne ne répondit. Soudain, une femme se leva et me poussa de force vers la porte de Batiouchka, sans faire la file. J’entrai et dis : «J’ai un chagrin. Mon mari est parti». Mais Batiouchka répondit en souriant : «Oui, mais quelle n’est pas ta joie!». Je fus pétrifiée : «Quelle joie, mon mari est parti avec une jeune fille?». Batiouchka insista : «Mais la joie, cette joie si grande». J’en perdis la parole. Dans mon âme tout était noirci par l’offense, le jugement, la douleur, les larmes. Il ne le voyait donc pas? Quelle joie? Voilà comment ils sont les startsy d’aujourd’hui. Batiouchka dit encore : «Eh quoi, ainsi tu ne comprends pas quelle est ta joie?» Je vis qu’il était surpris, qu’il pensait que je faisait semblant de ne pas savoir. Et il dit alors : «Comment est-ce possible? On a choisi ton fils pour servir à l’autel. Quelle joie ! La plus grande joie sur terre. Je t’ai attendue depuis ce matin. Tu lui remettra ce cadeau de ma part. C’est ma bénédiction pour ses débuts au service du Seigneur». Et il me tendit une icône des quatre saint hiérarques de Moscou. Mais dans ma peine, je ne regardai même pas l’icône, et je dis seulement : «Oui bien sûr, c’est une joie. Donc je peux rentrer à la maison?». Batiouchka répondit : «Non, il est déjà tard. Va boire du thé et manger une friandise, et ensuite tu iras dormir». Je tentai d’insister à plusieurs reprises, et entendit de nouveau la réponse du thé et des friandises. Il faisait si sombre dans mon âme. Je m’assis dans le corridor et pleurai. Batiouchka n’avait pas dit un mot au sujet de mon mari. Une femme s’avança: «Vous voulez du thé?». Je refusai, mais elle en apporta tout de même. Je pensai à part moi-même: «Je ne le boirai pas». Ensuite elle apporta des friandises, que je repoussai intentionnellement. Je me disais que je ne prendrais pas ce thé avec les friandises. Les choses ne pouvaient être comme les avait dites le Père Boris. Je songeais. Soudain elle déballa une friandise et me la fourra en bouche. Je n’avais pu réagir. Je la retirai de la bouche et dis: «Mais qu’est-ce que vous vous permettez?». Elle répliqua: «Vous l’avez léchée, vous devez la manger». Je la mangeai, et eus soudain envie de thé sucré. Je bus le thé et pleurai. Et j’entendais en moi: «Du thé avec des friandises, et puis, dormir». Cela signifiait que tout était comme il le disait, et ce serait toujours ainsi…
Onction d’huile
Des questions à poser au Père Boris s’accumulèrent en moi et je partis le voir pour une confession. Mes questions étaient donc nombreuses, et j’avais écrit la confession séparément sur un quart de feuille quadrillée, recto-verso. Batiouchka donna réponse à toutes mes questions, lut la prière d’absolution et dit: «Va à l’onction d’huile sainte, j’arrive bientôt». Il célébrait l’office de la consécration et de l’onction d’huile ce jour-là. L’office commença. Je me souvins de péchés que j’avais oublié de lire lors de la confession. Je priai alors en moi-même : «Batiouchka, j’ai oublié de lire certains péchés». Quand ce fut mon tour, je commençai à me lamenter. Je levai les yeux, Batiouchka me regardait avec un regard chargé de reproches et soupirait. Je pensai : «Évidemment, l’office de l’onction, c’est le Mystère du pardon des péchés oubliés. Je les avais oubliés, non pas cachés, donc tout va bien. Le Seigneur me les pardonne». Mais sur le chemin de retour vers la maison, par pusillanimité ou par manque de discernement, je décidai de confesser ces péchés dans l’église que nous fréquentions. Et puis, je me calmai. Le feuillet sur lequel j’avais écrit les péchés était dans la poche de mon manteau pendant l’office de l’huile. De retour à la maison, je pris ce feuillet, et je vis que les péchés énumérés oralement s’étaient effacés. Ils n’étaient plus là. Ils avaient disparu, de même que le quadrillage, sauf sur le coin inférieur droit. Là le quadrillage et les péchés oubliés demeuraient visibles. (A suivre)
Traduit du russe