Les startsy du Monastère de la Dormition de Pskov occupent une place de choix dans l’histoire de la paternité spirituelle en Russie. Les Pères Siméon (Jelnine), Adrian (Kirsanov) et Ioann (Krestiankine), sont sans doute les plus connus en Occident. Mais celui que le Père Siméon désigna comme son ‘héritier’ et successeur, fut le Père Athénogène (Agapov 1881-1979) ce père pétri d’humilité, maigre, de petite taille, à la longévité exceptionnelle, et qui disait de lui-même: «je ne suis qu’une demi-portion d’homme». Le texte ci-dessous est la traduction du texte qui présente l’Archimandrite Athénogène (qui devint quinze jours avant sa natalice l’Archimandrite du Grand Schème Agapi) dans le Paterikon du Monastère, accessible sur l’internet. Ce texte, présenté ici en plusieurs parties, est en réalité repris du livre «Dans les Grottes offertes [établies] par Dieu» («У пещер Богом зданных») du diacre G. Malkov et de son fils Pierre. (Éditions Volnyi Strannik, Monastère de Pskov. 2019, 3e édition).Voici la troisième partie du texte.
Depuis 1960, la lourde obédience de confesseur de la communauté reposa sur les épaules du Père Athénogène. En outre, il dut commencer à exorciser les possédés. Avant lui, ce podvig était porté par un autre grand Starets, l’Archimandrite du Grand Schème Siméon (Jelnine). Peu de temps avant la mort du Père Siméon, le Père Alipi, supérieur du monastère, lui demanda qui pourrait prendre en charge les exorcismes, et sans hésiter, il répondit : le Père Athénogène. Celui-ci alla rendre visite au Starets malade, qui lui remit soudainement plusieurs livres à l’aide desquels il lisait les prières pour les possédés, et il le bénit pour qu’il en exorcise plusieurs. Après avoir accompli la bénédiction du Starets, le Père Athénogène voulut rendre les livres, disant: «Eh bien, je les ai tous exorcisés, maintenant je sais comment cela se pratique». Mais le Père Siméon répondit: «Non, je te les ai donnés pour toujours». Batiouchka, par humilité, ne dérangeait presque jamais le Starets, se rendant très rarement dans la cellule de celui-ci et ne communiquant pas particulièrement avec lui; il fut donc extrêmement surpris par cette obédience lourde de responsabilité, mais il commença à exorciser les possédés trois fois par semaine, et par la force de sa prière, beaucoup recevaient la guérison et le réconfort spirituel. À partir de ce moment-là, de nombreux malades des coins les plus reculés de la Russie commencèrent à venir à lui et, par ses prières, beaucoup furent guéris.Voici l’histoire d’une guérison: «J’allai chez Batiouchka, une main me faisait mal et je ne voyais plus du tout d’un œil. Je pleurai: Batiouchka, aide-moi! Bénis juste ma main et mon œil. Batiouchka me toucha la main et dit: «Qu’il te soit fait selon ta foi». Et il bénit mon œil. Le lendemain, j’étais rentrée à a maison. La douleur à la main avait disparu. Et soudain, je pensai: «Ferme l’œil sain, lis avec l’autre». Et puis, je réfléchis, «Mais non l’autre, il ne voit pas du tout». Mais j’ai tout de même essayé, et il s’est avéré que l’œil voyait, et il voyait même mieux que celui qui était sain».
Dans ses notes, le Père Athénogène, fait mention de ses affrontements directs avec les forces du mal. Mais ceux-ci n’affectèrent pas l’équilibre spirituel de Starets, qui toujours plaça fermement sa confiance en le Seigneur, «Qui écrase tout mal». Batiouchka écrivit: «Une Mère amena sa fille, âgée de dix-huit ans, pour qu’elle soit exorcisée. J’avais à peine commencé à lire la prière qu’«il» se sentit tout tourmenté, et voulait fuir, et «il» me cria : «hé, petit pope, pourquoi me bouscules-tu?» Quand j’eus fini de lire les prières, tout s’est calmé, et «il» me dit: «Oh, comme tu m’as fatigué, comme c’était dur pour moi». «Il» sortit de ma cellule, s’assit dans le couloir et ne partit pas. Je suis sorti et je lui ai demandé: «Eh bien, pourquoi restez-vous assis et ne partez-vous pas?» Et «il» répondit: «Père Athénogène! Sais-tu qui je suis? Je suis un ancien archange. J’ai des milliers de petits jeunes, et ils font du bon boulot. Maintenant, tout le monde est à nous». Je lui dis: «Eh bien, pas tous, il y a des croyants, les gens de Dieu». Et «il» répliqua: «Oh, mais c’est un petit groupe, tous les autres, tout le monde, ils sont à nous». Puis il continua: «Tu sais, Père, ce monde sera bientôt fini». «Eh bien, lui-dis-je, alors, ce sera votre perte». Et «il» répondit: «nous le savons, mais maintenant, c’est notre volonté qui compte». Et je suis rentré dans ma cellule. Voila les manifestations qui se produisent chez nous».
Dans son podvig monastique quotidien, le Starets ressentait vivement l’aide de ses précieux auxiliaires spirituels, Saint Nil Stolobenski, le Saint et Juste Jean de Kronstadt, les saints des Grottes de Pskov. Surtout celle de Saint Basile le Grand, qu’il vénérait et il avait reçu le nom lors de son baptême. Avec ce Saint, le Père Athénogène entretenait une sorte de lien intérieur, comme s’il recevait ses enseignements dans les moments difficiles de la vie et il voyait en lui son protecteur principal contre les attaques démoniaques. Dans les notes du Starets, on trouve un récit décrivant l’apparition, à l’orée du sommeil, d’un «message» de son protecteur céleste. À l’époque, le Père Athénogène était «dans un état de chute profonde dans le péché… à l’instigation du malin». «Je commençais à juger même les pères qui m’étaient les plus proches… je leur indiquais la fausseté de leur relation avec moi… A cause de tout ce mal, le malin s’installa dans mon cœur, et s’il n’y avait pas eu Saint Basile le Grand, il m’aurait détruit par l’amertume de mon cœur… Cette lutte spirituelle avec le malin m’a presque détruit, cœur, âme et corps, par le feu».
Par le podvig de sa vie ascétique le Starets acquit le don de clairvoyance. Dix jours avant la mort de son père spirituel, l’Archimandrite du grand schème Pimène (Gavrilenko), il déclara au sujet de celui-ci qu’on avait «déjà célébré sa pannychide» et «qu’il était déjà parti». Et une habitante de Leningrad, Madame Rijjov déclara: «Pendant Le Carême (1969), j’étais à Petchory. Beaucoup venaient auprès du Père Athénogène pour la confession. J’y vins aussi. Dans ma confession, j’avouai au Père Athénogène que je n’allais pas à l’église pour les offices du soir, car mon mari n’aimait pas quand je quittais la maison. C’était à cette époque un homme de 63 ans, en bonne santé. Le Père Athénogène me dit : «N’y vas pas encore, ne l’offense pas par ton absence. Il mourra bientôt, alors tu pourra y aller». Je lui répondis: «Mais je ne veux pas que mon mari meure». Et lui de répliquer : «Ça ne dépend pas de nous». À mon retour de Petchory, j’ai demandé à mon mari d’aller chez le médecin et de se faire examiner. Et il m’a répondu: «Pourquoi devrais-je aller chez le médecin si je me sens en meilleure santé que jamais?». En 1969, le 3 juin à 16 heures, mon mari décéda subitement. Voilà comment était le Père Athénogène».
En 1962, pour commémorer le 50e anniversaire de son ordination de hiéromoine et le 60e anniversaire de son entrée dans la vie monastique, l’Higoumène Athénogène reçut une Croix ornée. En 1968, il fut élevé au rang d’archimandrite. Malgré sa mauvaise santé et son âge très avancé (il avait déjà 90 ans), il continuait à nourrir spirituellement les moines et les pèlerins laïcs. Dans son journal, la religieuse Nadejda (Bakchaev) a écrit ceci : «J’ai toujours été surpris par son amour pour les gens et je me dis: d’où lui vient-il tant d’amour? Ou est-il né comme ça? L’a-t-il acquis cet amour?.. Un jour une vieille femme vint auprès du Père Athénogène. Elle pleurait : «Batiouchka, Batiouchka, malheur à moi, que faire? J’ai un coq, et ce coq est devenu aveugle! Peux-tu prier pour qu’il voie?». Eh bien, me dis-je, avec quelle sottises harcèle-t-on le Starets… Mais je vis qu’il s’était assis à côté de la vielle et la réconfortait. Il avait tellement pitié d’elle, qu’il était occupé à pleurer avec elle. Voici, me dis-je, deux drôles qui versent des larmes pour si peu… Puis, quand elle fut partie, je dis: «Qu’est-ce qu’il y a à pleurer? Le coq est devenu aveugle! Tête première dans la casserole et hop sur le poêle, et l’affaire est faite. Et toi Batiouchka, tu te morfonds encore avec elle!». Et il m’a répondu ceci : «Que dis-tu?! Après tout, elle a vraiment du chagrin, car elle n’a personne d’autre, seulement ce coq. Comment ne pas avoir compassion d’elle, comment ne pas la consoler? L’amour dans les grandes causes, et dans les petites choses, c’est toujours le même amour!». (A suivre)
Traduit du russe