Les startsy du Monastère de la Dormition de Pskov occupent une place de choix dans l’histoire de la paternité spirituelle en Russie. Les Pères Siméon (Jelnine), Adrian (Kirsanov) et Ioann (Krestiankine), sont sans doute les plus connus en Occident. Mais celui que le Père Siméon désigna comme son ‘héritier’ et successeur, fut le Père Athénogène (Agapov 1881-1979) ce père pétri d’humilité, maigre, de petite taille, à la longévité exceptionnelle, et qui disait de lui-même: «je ne suis qu’une demi-portion d’homme». Le texte ci-dessous est la traduction du texte qui présente l’Archimandrite Athénogène (qui devint quinze jours avant sa natalice l’Archimandrite du Grand Schème Agapi) dans le Paterikon du Monastère, accessible sur l’internet. Ce texte, présenté ici en plusieurs parties, est en réalité repris du livre «Dans les Grottes offertes [établies] par Dieu» («У пещер Богом зданных») du diacre G. Malkov et de son fils Pierre. (Éditions Volnyi Strannik, Monastère de Pskov. 2019, 3e édition).
Le Starets-Archimandrite Athénogène (dans le schème, Agapi, ou Agapit), naquit le 24 janvier 1881, au village de Karmanovo, dans l’ouïezd de Vychny Volotchek, Gouvernorat de Tver. Ses parents, Cosme Agapovitch et Irina Dimitrievna, étaient paysans. Le petit garçon fut nommé Vassili en mémoire de Saint Basile le Grand. Dès sa petite enfance, il ressentit l’appel de la vie monastique. Plus tard, dans ses «Notes autobiographiques», le Père Athénogène écrivit : «Quel âge avais-je lorsque s’installa en moi la pensée de partir au monastère? Mes parents, père et mère, étaient illettrés ; il n’y avait chez nous aucun livre, ni de prière, ni de lecture. Mes parents étaient pris par les travaux agricoles. Mon père aimait prier, faisait des métanies. Ma mère, quand elle sortait du lit, allait hocher quelques fois la tête devant les icônes, et puis elle filait à l’ouvrage. A aucun moment, on ne m’apprit à prier, mais le souhait de prier mûrit en moi depuis que j’eus cinq ans. Malgré que je n’y comprenait rien, j’aimais beaucoup écouter les adultes quand ils priaient ou parlaient des choses de Dieu, et surtout des monastères. Je découvris ainsi par quel chemin me sortir des ténèbres du péché…Après cet élan me poussant à partir au monastère, quatre années s’écoulèrent et mon souhait s’évanouit; j’oubliai le monastère». A huit ans, ses parents le firent entrer à l’école du zemstvo, comptant trois années. Ensuite, ils l’envoyèrent à Saint-Pétersbourg dans l’atelier de couture appartenant à son oncle et parrain de baptême. Alors, un événement miraculeux lui arriva: «Avec d’autres garçons, je suis allé aux vigiles. On s’est avancé vers l’ambon et on approvisionné en cierges les chandeliers, enlevant les bouts consumés. Et je me tins à part, fixant l’icône du Saint Martyr André de Crète. Et soudain, je me suis retrouvé sur l’ambon. J’étais à genoux, et un starets me bénissait. Penchant la tête vers moi, il m’embrassa et disparut. Toujours agenouillé, je me suis demandé qui était ce starets. Et puis, après l’avoir regardé l’icône, je me dis: mais c’est celui de l’icône! Alors, je me suis retrouvé debout au-delà de la clôture de l’ambon. J’eus peur de raconter cela à quelqu’un, puis j’ai oublié l’histoire».
En 1902, Vassili partit pour le service militaire, et en 1903, il dût servir un mois dans la milice. La même année, à la gare de la Baltique à Saint-Pétersbourg, il vit le Père Jean de Kronstadt. Bien qu’il n’ait pas réussi à s’approcher de Saint Jean, il affirma plus tard qu’il devint moine par la prière du «Batiouchka de toute la Russie». En effet, peu de temps après cette rencontre, le souhait apparemment complètement oublié de quitter le monde et de consacrer sa vie au service de Dieu reprit soudainement vie dans l’âme du jeune homme. Pendant le Grand Carême, ce souhait se renforça et se transforma en une ferme intention. Son parrain l’en découragea d’abord, mais ensuite le bénit avec l’icône de Saint Nil Stolobenski.
«En 1903, le dimanche 13 avril, le dimanche de Thomas, écrit le Starets, j’ai quitté Saint-Pétersbourg, tout son bruit et ses tentations iniques et je suis parti à pieds le long de la chaussée de Moscou jusqu’à trouver un monastère». Sur les conseils d’un moine rencontré en chemin, il choisit le Monastère de la Résurrection-Saint Macaire près de la gare de Liouban. «Je suis arrivé alors qu’il faisait déjà nuit. J’ai passé la nuit au relais des pèlerins et le lendemain, je suis allé à l’église pour matines. J’ai demandé à un moine comment voir l’higoumène. Il me répondit: «Il est encore tôt, va te reposer, tu le verras après». Je suis rentré au refuge des pèlerins. Trois heures s’écoulèrent, et tout à coup on me prévient: «Va l’higoumène arrive là-bas». Je sortis rapidement et partis à la rencontre de l’higoumène. Je fis une grande métanie. Il me prit par la main, me releva et dit: «De quoi as-tu besoin?». Je répondis: «Père, prenez-moi dans votre monastère pour y vivre». Il me demanda d’où je venais. Je dis que je venais de Saint-Pétersbourg. Il dit: «Quelle est ta spécialité?». Je répondis que je pouvais coudre des vêtements. Il dit: «Oh, mon ami, non, je ne te prendrai pas. Je sais que les artisans de Saint-Pétersbourg sont tous gâtés, corrompus. Tu as sans doute dû fuir ton patron, tu veux te cacher chez nous. Non, mon ami, retourne chez ton patron». Je lui répliquai que non, je ne m’était pas enfui, j’avais mon passeport. Au nom de Dieu, prenez-moi. Il continua longtemps à refuser, me mettant à l’épreuve. Je tombai ensuite à genoux et l’implorai, les larmes aux yeux. Il me releva et dit : «Bon d’accord, mon ami, reste, nous verrons comment tu vivras. Maintenant va aider à apporter de la terre au potager et creuse les sillons». Je m’éloignai en courant. Et c’est ainsi que le 19 avril 1903, je commençai ma vie au Monastère Saint Macaire le Romain». Bientôt, Vassili dût se rendre à Vychny Volotchek pour une période d’instruction à la milice. Fin septembre, il se rendit dans son village natal pour prendre congé de son père et de sa mère. Cosme Agapovitch, lui donna, avec un certain regret, son consentement paternel pour aller au monastère et, tout comme le parrain, il le bénit avec l’icône de Saint Nil.
Et la vie de Vassili s’écoula au Désert Saint Macaire: «Bien-sûr, mon obédience fut conforme à ma spécialité : coudre des vêtements. Je me réjouissais de l’organisation de la vie monastique, des heures passées quotidiennement à l’église. Et plus encore, j’étais captivé par les livres sacrés. Quand j’ai commencé à les lire et à apprendre que le péché existe et qu’on en est responsable devant Dieu, j’ai commencé à me repentir. Quand je lisais un livre sur la chute dans le péché ou sur l’élévation de la vertu, je ne pouvais m’empêcher de pleurer, à moins que quelqu’un ne m’en empêche, et souvent on me trouvait assis à une table, en pleurs devant un livre. Mais certains frères étaient perplexes et disaient: qu’a donc notre frère Vassili? Il est un peu triste, pensif et il pleure, probablement est-il malade.
Bien sûr, je n’avais pas la passion de l’oisiveté, aller dans les cellules des autres, bavarder vainement. Je me plongeais dans la lecture des livres et dans la prière de Jésus. Au bout de sept ans, je suis parvenu à un état tel que je n’avais plus de pensée parasite: j’avais tout oublié, et je ne me rappelais rien du monde, et à cela s’ajoutait, sur les conseils d’Abba Dorothée, la reconnaissance de ma propre indignité, et cela suscitait un sentiment de repentir. Quand j’abordais avec humilité la reconnaissance de mon indignité, cela provoquait un sentiment de repentir, avec des larmes. Il y eut des moments comme celui-ci: de l’église, je passais au réfectoire pour le repas d’un jour de fête, avec la communauté, je m’asseyais à ma place, et survenait une pensée: Eh bien, quel moine es-tu, tu nourris ton corps avec de la nourriture délicieuse, et de quoi nourris-tu ton âme? Elle a faim. Malheur à toi, moine! Que répondras-tu lors du Jugement de Dieu? Et suite à pareille reconnaissance de mon indignité naissait immédiatement un sentiment de repentir avec des larmes. Je prenais une cuillerée, la portais à la bouche, et mes larmes coulaient dedans. Je la déposais sur la table et demeurais assis. Je n’avais déjà plus faim; il ne m’en fallait pas plus».
En 1905, l’ancien higoumène fut transféré dans le Caucase et le Hiéromoine Kirill (Vassiliev) nommé à sa place. Le nouvel higoumène donna à Vassili une autre obédience: la lecture de la vie des saints et des enseignements de l’Évangile pendant les repas du monastère, et quelques années plus tard, il le bénit pour la lecture dans l’église de l’office de minuit, des cathismes, des heures, des complies et des canons.
En 1908, à la fête de la Sainte Trinité, Vassili devint rassophore, et en 1911, il reçut la tonsure, la mantia et le nom d’Athénogène, en mémoire de l’évêque-martyr de Sébaste. En 1912, en la Cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod, il fut ordonné hiérodiacre. L’office de ce jour-là était présidé par le futur hiéromartyr, l’Évêque Andronique (Nikolski) de Tikhvine. Et quatre ans et demi plus tard, l’Archevêque Arsène (Stadnitski) de Novgorod et Staraia Roussa conféra l’ordination de hiéromoine au hiérodiacre Athénogène. En 1921, l’Higoumène Kirill, déjà évêque, le nomma sacristain du monastère. Bientôt, la première récompense suivit: l’épigonation.
Au monastère, il était de coutume d’opérer les confessions depuis le soir jusque tard dans la nuit. Il y avait foule devant Hiéromoine Athénogène, et il arrivait qu’il confesse dans l’église jusqu’au matin. Parfois, l’office allait commencer et il confessait encore, alors finalement l’un des moines venait lui dire: «Père, il faut partir». Il arriva même que ses pieds étaient si engourdis après des heures de station debout, qu’il ne pouvait plus faire un pas, alors deux diacres le soulevaient sous les coudes et l’emmenaient ainsi dans le sanctuaire. (A suivre)
Traduit du russe
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