Le texte ci-dessous est un paragraphe du livre des frères (jumeaux) les hiéromoines Cyrille et Méthode (Zinkovski) «Le Lien du temps» (Связь времен. Saint-Pétersbourg, 2011). Les frères Zinkovski, qui desservent l’église de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan à Vyritsa, où reposent les saintes reliques de Saint Seraphim, sont fils spirituels de l’Archiprêtre Ioann Mironov. L’Archiprêtre Ioann, âgé aujourd’hui de 95 ans, est l’un des derniers startsy de la région de Saint-Pétersbourg. Fils spirituel direct de Saint Seraphim de Vyritsa, il a lui-même, au fil des ans, nourri spirituellement des milliers de fidèles. Il officie encore aujourd’hui dans l’église de l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu «Coupe inextinguible», située sur le territoire de l’usine ATI, à Saint-Pétersbourg.

Mes années d’études au Séminaire et à l’Académie, ainsi que toutes les cinquante années suivantes au service de l’Église du Christ, sont directement et inextricablement liées avec le nom du Père Seraphim de Vyritsa. Je suis né à Pskov dans une famille paysanne pieuse. Pendant mes années d’enfance avec ma famille, j’ai vécu toutes les horreurs de la «dékoulakisation», de la déportation, puis de l’occupation pendant la Grande Guerre Patriotique. En 1944, jeune homme de dix-sept ans, j’ai rejoint les rangs de l’armée active. Après avoir terminé mon service dans les Forces Armées, en 1947, j’ai décidé d’entrer au Séminaire. Dans les années d’après-guerre, de nombreux habitants de Pskov allaient voir le Père Seraphim pour obtenir des conseils et sa prière. Ma tante Anna me dit à propos de ce glorieux héros de l’ascèse: «A Vyritsa, il y a un grand starets; il voit tout à l’avance. Grâce à lui, tu apprendras certainement la volonté de Dieu à ton sujet…». A l’époque, je me nourrissais spirituellement auprès du Père Ioann Ivanov, futur Évêque de Kirov et Slobodsky. Ayant demandé sa bénédiction, je suis allé à Vyritsa. C’est ainsi que le Seigneur m’a conduit à Batiouchka Seraphim.

L’Archiprêtre Ioann (Mironov)

Je me souviens très bien de ma première rencontre avec lui; elle a tout déterminé dans ma vie. C’était dans la semaine de la «Samaritaine» de 1948… Près de la maison du Starets, il y avait une grande foule. Là, j’ai fait connaissance de deux séminaristes, Vassia Ermakov et Tolia Malinine. Notre conversation spirituelle fit s’écouler sans qu’on le réalise le temps d’attente, avant d’être reçu par Batiouchka Seraphim. L’auxiliaire de cellule de Batiouchka apparut et elle dit «Les séminaristes, entrez!». Vassili et Anatoli entrèrent. Je suis resté, parce que je venais justement demander la bénédiction de Batiouchka pour l’admission au Séminaire. Soudain, Matouchka Seraphima réapparut et s’adressa directement à moi d’une voix insistante : «Batiouchka a donné sa bénédiction pour qu’entrent tous les séminaristes!»
Quand je suis entré dans la cellule, le Starets était allongé sur sa couche et son regard resplendissait d’amour. Il enseignait littéralement l’amour, et mon cœur réagit instantanément à cet appel… Le Père Seraphim s’entretint avec mes nouveaux amis et les bénit. Je restais ensuite auprès de Batiouchka, seul avec lui. Une joie qui n’était pas de ce monde saisit tout mon être. Inopinément, de chaudes larmes s’écoulèrent de mes yeux. D’une voix tremblante, je bredouillai : «Père, j’aimerais seulement entrer au Séminaire, mais voilà, pendant la guerre, j’ai perdu des documents». Le Starets répondit avec tendresse : «Ce n’est rien, ce n’est rien, Vanioucha! Rassemble tous les papiers nécessaires et tu les leur remettras. Tu seras admis, sans le moindre doute!». Après une courte pause, il ajouta paisiblement : «Tu seras un bon étudiant…». C’était étonnant car l’appellation ‘étudiant‘ était réservée à ceux qui étudiaient à l’Académie de Théologie. Ainsi, je reçus la bénédiction de l’inoubliable Batiouchka pour mon entrée au Séminaire et à l’Académie et pour la suite de mon sacerdoce.
Quelle forte consolation je reçus alors du Père Seraphim! En peu de temps, j’ai réussi à rassembler tous les documents nécessaires. Et je suis entré au séminaire facilement, sans la moindre complication. À Vyritsa, j’avais laissé une partie de mon cœur et, depuis lors, j’allai souvent chez le Starets théophore. Combien de conseils et d’édifications merveilleux le Seigneur m’a donné par l’intermédiaire du Père Seraphim! Et parfois, il suffisait de voir le Père et de recevoir sa sainte bénédiction. Il arrivait que je me mette à genoux devant sa couche, et il me mettait les mains sur la tête, et je pleurais et pleurais encore, sans savoir pourquoi… Et comme il était humble et doux. Comme un ange terrestre! L’action spirituelle du Starets de Vyritsa avait une force extraordinaire. Le cœur humain s’ouvrait devant lui. Personne ne sortait de chez Batiouchka Seraphim sans quelques traces de larmes sur les joues. Le contact avec la pureté céleste faisait sentir aux gens leur propre peccaminosité, et le Starets avec son âme sensible voyait tout immédiatement. Il avait un don spécial: appeler au repentir. Le Saint-Esprit reposait en lui, et c’était clairement ressenti par quiconque franchissait le seuil de sa cellule. Je me souviens avoir demandé une fois à une femme sortie en larmes de la cellule du Père de Seraphim «Tantine, pourquoi pleures-tu?» Avec un sourire éclatant, elle me répondit: «de joie…». Les gens qui entraient dans la cellule de Batiouchka sentaient immédiatement qu’il vivait dans un autre monde, il demeurait dans une dimension non-terrestre. «…la prière fervente du juste a beaucoup de puissance» (Jacq.5;16), nous dit le Saint Apôtre Jacques. Les prières de Batiouchka atteignaient le ciel et la grâce de Dieu descendait à travers lui dans le monde. J’ai eu l’occasion d’être témoin à de nombreuses reprises de la merveilleuse clairvoyance du Starets et j’ai éprouvé sur moi-même le pouvoir inconcevable de son don de guérison.

L’Archiprêtre Ioann (Mironov) le jour de ses 90 ans

Jour après jour, tel un flot sans fin, ceux qui souffraient arrivaient chez le Père Seraphim, et il consolait tout le monde, à chacun il donnait de l’espoir pour l’avenir, des conseils pratiques nécessaires. Souvent, sans avoir le temps d’attendre un entretien personnel, les gens recevaient l’aide de Dieu à travers les notes qui étaient adressées au Starets par l’intermédiaire de son auxiliaire de cellule. À cette époque difficile, il devint réellement un luminaire qui, à travers les temps crépusculaires, apportait au monde la lumière de l’Orthodoxie. Ses paroles simples mais convaincantes aidèrent beaucoup de gens à acquérir la foi, à la fortifier et à marcher sur le chemin du salut.
Lorsque j’étais auprès de ce merveilleux serviteur de Dieu, j’essayais toujours, au mieux de ma faiblesse, d’absorber chacune de ses paroles, cherchant à saisir chaque mouvement de son âme. Comme tout cela m’a été utile, même après de nombreuses années, pendant mon activité pastorale! Parfois, Batiouchka me parlait de lui, comment il menait négoce à la Cour Apraxine, comment il accomplissait son obédience de confesseur à la Laure Saint-Alexandre-Nevski…
Un jour, alors que je prenais congé, je reçus du père Seraphim la bénédiction de venir le voir à nouveau le samedi 3 avril 1949… C’est ainsi que le Seigneur m’invita à assister à la première pannychide en mémoire de Batiouchka, célébrée par l’Archiprêtre Alexis Kibardine. Telle fut la volonté du Starets, à qui le moment de sa mort avait été révélé. L’esprit de ce héros de l’ascèse était invisiblement avec nous; la prière était exceptionnellement solennelle et ardente. Le feu de l’amour divin descendit dans nos cœurs. Je pense que tous ceux qui étaient là, comme moi, sentirent et crurent que le Seigneur avait préparé au défunt une place dans Ses demeures célestes. Nous n’avons alors pas dit au revoir à Batiouchka Seraphim; nous l’avons accompagné vers la vie éternelle, où «les justes brillent comme le soleil dans le Royaume de leur Père»(Mt.13:43).
Toutes sortes d’événements se sont produits au cours des longues années de mon service pastoral. Pendant les jours de difficultés et de tribulations, j’ai toujours demandé conseil et aide au Père Seraphim. Aujourd’hui encore, je ressens constamment la force de son intercession céleste. A chaque souvenir du grand Starets, mon cœur s’emplit de joie et d’amour extraordinaires. Je vais sur sa tombe, comme on va pour la fête à Sarov ou Diveevo…
Traduit du russe
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