Le texte ci-dessous est la troisième partie de la traduction de l’entretien tenu le 17 juillet 2019 par Madame Olga Orlova avec le Père Valerian Kretchetov. Le texte original est précédé de l’introduction suivante. A l’occasion du jour lors duquel nous fêtons la mémoire des Saints Strastoterptsy impériaux, nous nous sommes entretenus de la fidélité au Christ et de la démarche par laquelle nous nous faisons héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, avec l’Archiprêtre mitré Valerian (Kretchetov), Recteur de l’église du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu et de l’église des Néomartyrs et des Confesseurs de la Foi, à Akoulovo. Les deux premières parties de la traduction se trouvent ici.
Vladika Alexis (Frolov) disait que dans chaque situation qui nous est envoyée, nous devons justifier Dieu, c’est-à-dire les gens qui nous font du mal, jusqu’à la mort, même la mort sur la croix, comme dans le cas du Tsar et de sa famille, et de tous les nouveaux martyrs. Se condamner soi-même et justifier autrui. Concrètement, cela veut dire tout le monde, depuis le monstre révolutionnaire jusqu’à Dieu?
Que signifie «justifier»? Le mot «jugement» doit être analysé, approfondi. «Enseigne-moi Tes jugements». La justice De Dieu. Comment la comprendre, envers soi-même? Ce qui se passe avec chacun est lié à la personnalité de chacun. Ceux qui souffrent, pour une raison quelconque, ont chacun une souffrance différente. Mais tout ne se résume pas simplement à cela. Il est dit, rappelez-vous: l’arbre de la Croix pousse dans le terreau du cœur. «L’arbre près des eaux courantes», ces passions qui bouillonnent dans notre cœur. Aussi lourde soit notre croix, le bois dont elle est faite, nous l’avons fait croître nous-mêmes. À celui qui s’adonne le plus au labeur, on envoie en conséquence.Mais alors, c’est la crucifixion!
Oui, Oui, il y a cette règle monastique non écrite: quand une personne arrive au monastère, on lui demande ce qu’elle aime et ce qu’elle n’aime pas. Ce qu’elle n’aime pas, elle est forcée de le faire, et ce qu’elle aime, elle n’en est pas chargée.
Il en va de même pour la souffrance: le Seigneur détermine à chacun ce qu’il lui faut porter et dans quelle mesure. L’Apôtre Paul fut décapité; il a persécuté les chrétiens. L’Apôtre Pierre fut crucifié, précisément parce qu’il avait renié avant la crucifixion, et le Seigneur lui avait dit: «viens à Ma suite» (Jean 21;22). Je pense qu’il y a aussi un sens particulier caché: pourquoi chaque apôtre a-t-il reçu son martyre particulier? Chacun est préparé différemment pour glorifier la mort du Christ. C’est au-delà de notre compréhension.
«Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ Jésus auront à souffrir persécution»( 2 Tim. 3, 12) ?
C’est une loi. Lequel des grands saints n’a pas été persécuté? Rappelez-vous, relisez les vies de Grégoire le théologien, Basile le Grand, Jean Chrysostome, tous ont été persécutés. Certaines persécutions ont eu lieu à un moment donné envers le Métropolite Philarète (Drozdov), et sur le Saint Père Jean de Kronstadt, et sur d’autres. On les appela, on leur fit subir des interrogatoire et on leur interdit d’officier.
Et c’est depuis l’intérieur de l’Église, qu’est organisée la persécution, par «les nôtres»?
Oui. C’est aussi une sorte de réglée. Il peut y avoir, bien-sûr, des désaccords entre les uns et les autres, qui augmentent jusqu’à atteindre un certain degré de confrontation. Par exemple, l’histoire avec le Métropolite Serge (Stragorodski) a provoqué chez nous une division au sein de l’Église, et dans l’Église Orthodoxe Russe Hors Frontières, le rejet persiste : «ah, ces sergianistes!».
Aujourd’hui, tout le monde affronte tout le monde, les orthodoxes aussi.
Et le pardon de Saint Seraphim, qui a dit: si vous condamnez ceux qui m’ont battu, je quitterai le désert de Sarov? Non, c’est juste une sorte de tentation. Y aurait-il quelqu’un de plus grand que le Seigneur, Qui a prié sur la Croix: «Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font» (Luc 23;34). Le Seigneur pria pour Ses crucificateurs. Bien sûr, la mesure de ce pardon est tout simplement au-delà de nos forces. Rappelez-vous comment certains «chrétiens» sont venus à Antoine le Grand et lui ont dit: «Donne-nous un commandement!». Il répondit : «Si on vous frappe sur la joue droite, tendez la gauche». «On n’y parvient pas». «Alors, quand on vous frappe la droite, tolérez-le». «On ne peut pas». «Au moins, ne rendez pas la monnaie de la pièce!». «Nous n’y arrivons pas». Alors Antoine le Grand appela un novice et lui dit : «fais-leur cuire du gruau».
Toutes ces querelles sur la hauteur des commandements et sur la rigueur de l’oustav proviennent du malin. Allons, disent-ils, simplifions la règle. Non ! Qu’ils le fassent! Mais qui et comment elle pourra être observée, c’est une autre affaire. Que la règle elle-même reste telle qu’elle est, afin que ceux qui ont le désir de s’améliorer sachent sur quoi s’orienter.
Il est écrit: «aimez vos ennemis» (Mth.5;44). Mais il est aussi écrit «On aura pour ennemis les gens de sa propre maison» (Mth.10;36). Les familles s’effondrent maintenant parce que même dans les familles, on ne s’aime pas les uns les autres.
Père Valerian, on dit que s’il n’y avait pas eu de le raskol, le schisme du XVIIe siècle, il n’y aurait pas eu de révolution de 1917?
Je sais pas. Le schisme vieux-croyants demeura sans épiscopat. Ce n’est pas un hasard si cela s’est produit: aucun évêque n’était dans le schisme. Et après le raskol, pas un seul Saint. En 2008, nous avons célébré le rétablissement de lien canonique avec l’Église Orthodoxe Russe Hors Frontières. Nous avons alors célébré pour la première fois avec Mgr Agapit (Goratchek), évêque de Stuttgart, la liturgie au monastère des Strastoterptsy Impériaux à Ganina Iama. Un prêtre des vieux croyants, le Père Serge Komarov, y fut ordonné. Je l’ai conduit autour de l’autel. C’est, bien sûr, un symbole de l’unité de l’Église. Nous nous sommes tous réunis autour de la Coupe du Christ.
Alors, peut-être que l’expérience des nouveaux martyrs pourrait nous réconcilier tous?
Il doit en être ainsi. Tous nous devons nous unir face à l’Antéchrist. Comment ceux qui se séparent de l’unité avec l’Église orthodoxe résisteront-ils? Les Vieux-croyants sans prêtres n’ont pas l’ordination sacerdotale. C’est pourquoi sont apparus les Vieux-croyants avec prêtres, mais ils écrivent qu’un évêque s’est rattaché à eux par le sacrement de l’onction. Comment est-ce possible? C’est une absurdité canonique.
On sait que les gens du schisme sont partis, ils se sont même immolés par le feu, précisément parce qu’ils pensaient que la fin du monde était arrivée? Et il se ferait qu’aujourd’hui, dans les derniers temps, justement, tous nous nous réunirions?
J’ai dit une fois au Père Serge Orlov «La Fin est pour bientôt?». «Peut-être encore 100 ans», a-t-il répondu. Plus de 40 ans se sont écoulés depuis que le Père Serge a dit cela. Près de la moitié du temps s’est écoulé.
Ça dépend de nous? Peut-être devrions-nous faire quelque chose plus activement ou, au contraire, nous humilier?
Nous devons nous humilier plus activement! Nous sommes très inactifs dans l’humilité. La vie de chacun affecte ce qui se passe dans l’ensemble du pays, dans le monde. C’est ce dont nous avons parlé: une vie intérieure, connue de Dieu seul, est constamment accomplie et détermine ce qui se passe. Dans l’Ancien Testament, le Prophète dit: c’est ainsi que tu pries, peuple? Voilà donc ce à quoi tu t’occupes! Il voyait tout Israël, tout le monde, chacun debout devant son autel et encensant sa propre idole: chacun en célébrant une. Il en va de même à notre époque. Et Saint Seraphim de Sarov eut une vision dans laquelle les prières, comme les ruisseaux d’encens, remontent au Ciel, de toute la Russie. Bien sûr, quelque chose dépend de nous. S’appuyant sur le cœur de l’homme, Dieu gouverne le monde.
Traduit du russe
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