L’Archimandrite Raphaël est un défenseur ardent de la Tradition de l’Église. Il a consacré une grande partie de sa vie longue de 90 ans ainsi que la majeure part de sa production littéraire foisonnante à la défense des dogmes et à la façon de les mettre en œuvre dans la vie de l’Église et du chrétien. Le texte ci-dessous est la traduction d’un original de l’Archimandrite Raphaël Kareline, paru le 27 juillet 2015 sur le site Pravoslavie.ru, et tiré du site internet de l’Archimandrite. L’auteur y évoque brièvement quelques-uns héros de l’ascèse qu’il côtoya au cours de sa vie. Outre les portraits esquissés de ces hommes d’exception, le texte offre de nombreux traits propres à la vision de l’Église ferme et chaleureuse, fidèle à la Tradition, de l’Archimandrite Raphaël, dont la biographie est disponible ici.
Le 27 juillet 1980, voici quarante et un ans, le célèbre confesseur, héros de l’ascèse et higoumène du grand schème, Savva (Ostapenko) s’en est allé vers le Seigneur. Le Père Savva fut un des confesseurs successifs de l’Archimandrite Raphaël (Kareline), âgé aujourd’hui de 90 ans, et le Père de Raphaël considérait cet homme comme «le plus grand événement de sa vie».Le Seigneur a permis au Père Raphaël de connaître de nombreux startsy et hommes à la vie spirituelle très élevée, en Géorgie et en Russie; il les a évoqués dans son livre «Sur le chemin du temps à l’éternité». Nous avons adressé au Père Raphaël la question suivante : lequel d’entre eux peut être mis tout spécialement en exergue pour les chrétiens contemporains?
Dans le Psaume quarante quatre, il est dit : «A ta droite se tient la Reine, en vêtements tissés d’or, parée de couleurs variées». Selon l’interprétation des saints pères, la Reine, c’est l’Église, «parée de couleurs variées», cela fait référence aux différents types de sacerdoces, et «en vêtements tissés d’or», cela signifie «rayonnante de la beauté du Saint-Esprit». La grâce est une, mais elle se manifeste par une variété d’actions et de dons. Les héros de l’ascèse contemporains, dont j’ai parlé dans mes souvenirs, étaient uns dans ce qui est essentiel, leur attachement intangible à l’Orthodoxie, le don de soi aux gens, le sacrifice de soi et le désir constant d’acquérir et de conserver dans leur cœur la grâce divine, tel le plus grand des trésors. Mais chacun d’eux avait ses propres dons, sa propre personnalité, donc j’ai du mal à les comparer les uns aux autres et à parler de celui que je considère comme le meilleur exemple pour les chrétiens de notre époque.
Le Métropolite Zénobe (Majuga) n’avait pas de formation théologique, ni séculière, mais il se distinguait par une sagesse profonde, aspirant à l’obéissance monastique et à l’hésychia. Les hiérarques d’autres Églises Locales venait à lui pour recevoir de l’aide spirituelle, le soutien de sa prière, le considérant comme leur guide et leur starets. On peut dire que son élévation spirituelle et sa sainteté étaient évidentes, comme la lumière d’une lampe allumée. Dès sa jeunesse, il fut moine ascète et le demeura jusqu’à sa mort. Quand il reçut la chirotonie épiscopale, il ne changea rien à sa longue règle de prière, qu’il exécutait principalement la nuit. Il participait quasiment toujours aux Liturgies célébrées quotidiennement dans l’église Saint Alexandre Nevski. Vladika Zénobe a souffert toute sa vie de plaies aux jambes qui ne cicatrisaient jamais; il les avait depuis sa jeunesse en exil et dans les prisons, dans ces camps de la mort, où il passa maintes nuits sans sommeil à cause de la douleur, mais il le cachait à tout le monde. Vladika paraissait être un évêque-né. Son apparence inspirait le respect même aux mécréants, mais à cette grandeur spirituelle se mêlait une profonde humilité et la simplicité. Il célébrait toujours les offices de façon à la fois solennelle et bienveillante. Son regard était extraordinaire. Dans les yeux purs comme le cristal, se reflétait la clarté de son âme, et en même temps son regard était perspicace, parfois rigoureux, et plus souvent compatissant et triste, comme s’il voyait la profondeur du cœur humain. Vladika Zénobe se distinguait par sa charité: il distribuait secrètement l’aumône à une multitude. Ce fut connu surtout après sa mort. Les gens ont expliqué qu’il les soutenait financièrement dans les circonstances les plus difficiles, sans qu’ils ne le lui demandent, comme s’il était conscient de leurs besoins. Il ne limitait pas sa miséricorde aux vivants seulement, il l’étendait aux morts. Lors de la Liturgie, il extrayait longuement de la prosphore les particules pour les défunts, comme s’il voulait nourrir des centaines de affamés rassemblés au seuil de l’église. Il ne lisait pas les diptyques car il connaissait les noms par cœur; il les conservait dans sa mémoire, ou plutôt dans son cœur. À ces moments-là, il me semblait que la prière du Métropolite tirait les âmes des défunts de l’enfer et les ramenait de la mort à la vie. Les gens tels que le Métropolite Zénobe étaient un don de Dieu pour notre époque, tout comme le Juste Jean de Kronstadt pour une époque où les spectres des catastrophes approchantes planaient au-dessus de la terre et l’Empire Russe commençait à être ébranlé par la tempête de la révolution. Vladika Zénobe fut envoyé à nos contemporains comme un rappel de ce que dans le christianisme, la force principale est la grâce de Dieu: là où elle n’est pas, toutes les connaissances et tous les talents sont impuissants, et là où elle est, la foi devient vivifiante et victorieuse.
Je voudrais également mentionner le grand ascète et higoumène grand schème Savva (Ostapenko). Sa vie fut une longue prière, son cœur s’est uni, il a comme fusionné avec le nom de Dieu. Il enseigna la prière de Jésus, ce labeur de feu, à tous ceux qui venaient à lui pour obtenir conseil et confession. En lui, la joie et le chagrin s’accordaient d’une manière surprenante. Il était toujours joyeux, comme s’il brillait d’un feu spirituel intérieur et réchauffait les autres. En même temps, il était profondément affligé des péchés des hommes, du fait que les hommes avaient oublié l’essentiel : la vie éternelle, le salut de l’âme en Dieu, et avaient échangé la grâce contre de la poussière terrestre. Sa prière pour le monde entier, en particulier pour ses enfants spirituels, était comme un repentir personnel, comme si ce n’était pas eux qui avaient commis leurs péchés, mais lui-même. Beaucoup se souvenaient que lorsqu’ils approchaient des portes de la kelia du Père Savva, ils étaient saisis d’une sorte de crainte mystique, d’attente mystérieuse et extraordinaire et, en même temps, de la crainte de n’être pas préparés à cette rencontre. Certains ont avoué qu’à ce moment-là, la force des ténèbres hurlait en eux : «Courez d’ici où vous voulez, faites ce que vous voulez, mais restez à l’écart de cet endroit». Lorsque le Père Savva célébrait, les gens ressentaient non seulement spirituellement, mais aussi physiquement l’action de la grâce. Dans la communication avec le Père Savva l’homme était étreint par un sentiment de paix et de silence profonds, tous les problèmes et les doutes disparaissaient, la paix était dans le cœur, comme si les demandes avaient déjà été exaucées. Pendant l’office, il semblait qu’après la proclamation de toute parole de prière par le Père Savva, l’ange gardien de l’autel disait silencieusement: «Amen». Un jour, j’ai vu Vladika Zénobe et l’Higoumène du grand schème Savva converser dans une des chapelles du sanctuaire de l’église Saint Alexandre Nevski. Sur leurs visages brillaient et glissaient des reflets lumineux d’une blancheur extraordinaire, comme si un rayon de lumière du Tabor, traversant l’espace et le temps, les faisait resplendir de sa beauté.
Je me souviens aussi avec amour de l’Archimandrite Parthène, qui dès l’enfance avait choisi la voie monastique, avait franchit les différentes étapes de l’obédience monastique et de la vie érémitique, avait acquis une expérience de la lutte contre les forces démoniaques et les passions, avait été un confesseur de la foi à l’époque la plus pénible des sanglantes persécutions contre l’Église, quand les croyants subirent une persécution et un génocide sans précédent dans l’histoire. Je voudrais souligner sa douceur dans la communication avec les gens. Il traitait ses enfants spirituels avec l’humilité avec laquelle tout enfant spirituel devrait s’adresse à son père spirituel. À notre époque d’orgueil et de vanité, sa douceur suscite une surprise particulière et, je dirais, une admiration. Sa vie fut une leçon silencieuse pour les gens autour de lui, et beaucoup ne comprirent pas ses enseignements immédiatement, mais seulement des années après sa mort. C’est alors qu’ils comprirent la grandeur de la douceur et de l’humilité. De l’Archimandrite Parthène émanait le parfum du silence, comme s’il portait dans son âme le silence du désert dans lequel il avait passé de nombreuses années. Il tolérait avec douceur les injustices et les insultes, reçut silencieusement des coups, même de ses proches, à travers lesquels le démon voulait le sortir de l’état de prière, susciter sa colère et son ressentiment, détruire ce qu’il avait acquis par des années de labeurs. Il me semblait qu’il était un agneau entouré d’une meute de loups, mais ceux-ci ne pouvaient pas le toucher. L’humilité est toujours victorieuse: en cédant extérieurement, elle gagne le combat spirituel.
Le podvig de Saint Gabriel (Ourgebadze) était semblable aux exploits des antiques fols-en-Christ, qui dénonçaient les péchés des rois et les injustices des juges. Il disait sans crainte la vérité, ce que craignait et détestait tant le monde, qui cherche le plaisir dans les passions et les péchés. Il pouvait accuser en face le satrape le plus élevé, comme s’il attrapait un lion par la crinière, sans penser à ce qui pourrait lui faire son ennemi.
À notre époque, qualifiée de temps nouveau, l’homme est complexé par les usages et les lois de ce monde qui lutte contre Dieu. L’ambivalence devient une caractéristique des hommes modernes et, pire encore, d’une grande partie des chrétiens. Le mensonge a commencé à être perçu comme de la sagesse, l’indifférence au mal et l’indulgence envers la débauche, comme de l’amour pour l’homme, la déguisement constant dans un rôle, la dissimulation de pensées sous des mots fictifs, comme de l’éthique et de la culture de la communication. La nouvelle mode de la modernité est un culte de la laideur et de l’impudeur, et elle est adoptée même par des gens pas du tout stupides, par peur qu’en cas de contestation, ils paraissent aux yeux du monde obscurantistes, fanatiques et ignorants, en retard par rapport à leur siècle, comme s’ils avaient manqué le train rapide du progrès. Égoïsme et pragmatisme deviennent une philosophie de vie. On dirait qu’ils imprègnent toute l’atmosphère terrestre que respire l’humanité. Les masques entourent l’homme partout depuis la naissance jusqu’à la mort. Son chemin de vie traverse une «galerie de tableaux» des péchés et des vices, dont il porte les images et les graines dans son cœur.
L’Archimandrite Gabriel, était dans le monde, mais libéré du monde. Il rejetait la domination de celui-ci comme on arrache une toile d’araignée poisseuse, et mena le podvig de la folie-en-Christ comme une consécration à une chevalerie spirituelle, et le monde s’éloigna de lui. Il faut dire que c’est en les regardant dans les yeux qu’il dénonçait les vices des gens, souvent de façon abrupte. Il combattait à l’aide des mots comme avec des coups d’épée, menaçant de la malédiction de Dieu ceux qui ne voulaient pas se corriger. Cependant, intérieurement, il ne condamnait personne d’autre que lui-même, s’attribuant des péchés qu’il n’avait pas réellement commis et des vices qu’il n’avait pas. Ceux qui se confessaient auprès du Père Gabriel se souvenaient qu’il était facile de lui révéler les péchés et même les chutes les plus honteuses: leur cœur lui-même s’ouvrait devant lui. Les gens le quittaient avec soulagement et joie, comme si le lourd fardeau qui pesait sur leurs épaules avait été abandonné à ses pieds. Le peuple ressentait intuitivement la force spirituelle et l’audace envers Dieu de ce héros de l’ascèse. Avant même sa glorification, le pèlerinage à sa tombe commença immédiatement après sa mort.
J’ai beaucoup de respect pour le confesseur du Désert de Glinsk, le Père Seraphim (Romantsev). Ce starets combinait rigueur et miséricorde, douceur spirituelle et fermeté spirituelle; il pouvait consoler l’affliction en quelques mots, relever celui qui était tombé et, pour ainsi dire, insuffler de nouvelles forces en lui, humilier le fier, pointer les fosses cachées qui jalonnent le chemin spirituel de l’homme et expliquer en détail comment les repérer et les contourner. Il a été observé que la désobéissance au Père Seraphim de la part de ses enfants spirituels se transformait en malheurs et en chutes morales pour eux. Entrer en relation avec un héros de l’ascèse n’est pas seulement une joie et un réconfort, mais aussi une responsabilité: c’est comme communiquer avec un feu qui brille et réchauffe; par manipulation imprudente et négligente, il peut brûler. De nos jours, je ne vois pas de héros de l’ascèse tels que ceux que je viens d’évoquer. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Ils sont probablement là et poursuivent le podvig de leurs pères, mais secrètement. Je ne les vois pas ou je ne les cherche peut-être pas. Les startsy dont j’ai parlé ont terminé leur vie terrestre, mais ils sont spirituellement avec nous. Ils sont un exemple pour les gens d’aujourd’hui, mais pour moi, ils sont avant tout, la dénonciation de ma vie négligente: j’avais accès au trésor, mais je n’en ai rien pris et je suis resté pauvre.
Traduit du russe
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