Le texte ci-après est traduit d’un original russe publié le 21 mars 2005 sur le site de son auteur, l’Archimandrite Raphaël Kareline, dont la biographie est disponible ci-dessous. Les apparents bouleversements caractérisant les différentes sphères de l’époque contemporaine sont sources de questionnement. L’Église propose évidemment une quantité importante d’outils et d’armes spirituelles pour vivres ces temps impressionnants. L’auteur du texte indique qu’il convient en outre de faire preuve d’un grand discernement face à certaines simplifications.
Notre époque est apocalyptique. Mais quelle époque ne le fut pas? Au temps des Apôtres déjà, les Chrétiens voyaient dans le monde qui les entourait l’incarnation du démon et la manifestation du mal. A l’époque des persécutions sanglantes, il leur semblait contempler de leurs yeux l’ombre de l’apocalypse et les contours sombres de la «bête de l’abîme», qui voulait déchirer L’Église-Épouse du Christ, comme les lions déchiquetaient de leurs dents les corps des Chrétiens dans l’enceinte du Colisée. Dans les événements de l’histoire du monde, ils anticipèrent et ressentirent les catastrophes qui s’avançaient, et les contours des peintures apocalyptiques se dessinaient de plus en plus clairement devant leurs yeux . L’apocalypse a commencé à l’époque de la venue du Christ sur terre. À Patmos, Saint Jean le Théologien a contemplé ce qui est et qui sera.Le mal a toujours existé dans le monde et augmente de génération en génération. Il ressemble à la crue d’une rivière qui, gonflant sans cesse, se précipite à travers les barrages en les brisant et inonde les rives. Le mal se concentre dans les personnalités ennemies du christianisme, qui entrent sur la scène de l’histoire en tant que précurseurs de l’antéchrist. Mais il y a aussi la grise apocalypse quotidienne : l’appauvrissement de l’amour et de la foi, la débauche et le mensonge, l’indifférence et la cruauté, la lutte quotidienne de l’homme contre l’homme, qui enlève la joie spirituelle et fait de la vie une chaîne de crimes mineurs. C’est un travail minutieux et, en quelque sorte imperceptible, des forces obscures qui préparent le chemin de la bête qui vient. À cet égard, le présent contient déjà des éléments du futur et en est le prototype.
Quand arrive la vieillesse, on dit : la fin de la vie est proche. Mais, combien durera la vieillesse, on ne sait pas; peut-être sera-t-elle plus longue que la jeunesse, et la descente de la montagne, plus longue que l’escalade. Et maintenant, comme avant, les Chrétiens ressentent le pouvoir croissant du péché et l’appauvrissement du bien, cette entropie morale du monde. Mais le moment où la dernière page de l’histoire sera tournée n’est pas connu. Le Seigneur a dit qu’il viendrait bientôt juger les vivants et les morts, mais dans quelles dimensions cosmiques ces paroles furent dites, nous ne le savons pas. Dans l’Apocalypse de Saint Jean le théologien, il est écrit que ceux qui lisent ce livre, l’Apocalypse, sont bénis. Ils sont bénis parce qu’ils ne sont pas séduits par le séjour Éternel sur la terre, parce qu’ils sont prêts pour les épreuves; ils sont bénis parce qu’ils connaissent la défaite ultime du mal et la victoire du bien. Mais la vision de l’Apocalypse n’a pas masqué aux chrétiens la tâche principale de leur vie : se préparer à la mort et à la rencontre avec le Christ, qui se produira indépendamment du calendrier de l’histoire. La découverte de l’avenir dans l’Apocalypse les oblige à chercher et à voir l’apocalypse dans leur propre cœur, où le Christ combat l’antéchrist, où le démon tente de détruire le temple du cœur humain, où l’homme se voit dans le camp des saints, puis dans les peuplements des forces obscures. Cette apocalypse intérieure s’ouvrit aux ascètes et ils pleuraient sur eux-mêmes, contemplant et sentant la tragédie du monde dans leur propre cœur.
Saint Augustin a écrit que : «Dieu a fait plus que simplement détruire le mal. Il a obligé le mal lui-même à servir le bien». Mais le démon, comme le singe de Dieu, veut transformer le bien en mal, faire du livre de l’Apocalypse lui-même, entre les mains de gens qui n’ont pas acquis la grâce, un livre de divination. Ainsi est né le type de l’«apocalypticien», déconnecté de la vie spirituelle intérieure, engagé dans le calcul du temps de la venue de l’antéchrist et de la fin du monde. C’est-à-dire qu’il veut voler le mystère que le Christ a caché au monde. Il recueille soigneusement des informations sur les catastrophes, coupures de magazines et journaux sur les inondations, l’approche d’une comète, etc. Il dit à ses auditeurs, d’un ton triomphant: voici un trou d’ozone s’est ouvert et tout le monde mourra de l’irradiation; vous avez entendu la nouvelle de l’approche d’une comète qui doit entrer en collision avec la terre: il y aura une explosion qui détruira l’humanité, et si elle tombe dans l’océan, des vagues déferleront et inonderont toute la surface de la terre, comme à l’époque du déluge mondial. À ce moment-là, il regarde les gens autour de lui, avec un air de triomphe, non dépourvu du sens de sa propre importance, comme s’il avait atteint une sorte de victoire. Il prend un cahier épais où sont enregistrées les prédictions de la fin du monde et affirme que tout est déjà accompli. Ensuite il commence à calculer des sortes équations et annonce que l’antéchrist est déjà dans le monde, mais apparaîtra ouvertement dans un ou deux ans. Après, il poursuit sans répit, disant que la fonte des glaces commence en Antarctique, que le niveau des océans augmentera de quelques mètres et que les villes côtières seront inondées; une explosion de sulfure d’hydrogène se produira sur la Mer Noire et les volcans recommenceront à s’activer. Mais croit-il lui-même à tout cela, on ne le sait pas. Pour lui, l’essentiel est de produire un effet immédiat.
Si un prêtre devient apocalypticien, la vie spirituelle intérieure de son troupeau étouffe progressivement et les paroissiens commencent à penser davantage aux catastrophes et au moment où elles surviendront qu’à aspirer à la grâce, sans laquelle l’homme lui-même devient l’antéchrist. Au cours des conversations de ces bergers avec leurs ouailles, l’atmosphère devient électrifiée. Tout le monde attend du père spirituel la révélation de la fin du monde, comme lors des séances de spiritisme, on attend les réponses des médiums qui évoquent les esprits. Malgré que ces prédictions, en règle générale, ne se réalisent pas, ils essaient de ne pas le remarquer ou d’expliquer cela par une erreur dans les calculs. Dans ces communautés, ils ne pratiquent pas la prière de Jésus, ils ne lisent pas de livres sur la vie spirituelle; il n’y a pas de lumière spirituelle qui réchauffe le cœur des gens; il y a une sorte de «magie» de la peur. Ces gens oublient la Providence de Dieu, la promesse du Christ de sauver Son Église des portes de l’enfer. Au lieu de se saluer, ils se disent les uns-les autres: avez-vous entendu la nouvelle, et avez-vous lu tel événement; cela signifie que la fin du monde sera pour bientôt. Et, en même temps, ces gens se sentent comme des prophètes des derniers temps et pensent qu’ils accomplissent une mission particulièrement importante.
L’Apocalypse de Saint Jean le théologien est écrite dans un langage de feu, comme si elle était tissée de foudre étincelante. Elle constitue une arme contre l’oubli et la négligence. Elle permet au cœur humain de ne pas se figer, mais en même temps, pour les âmes orgueilleuses et impénitentes, elle est devenue une épée avec laquelle elles se blessent elles-mêmes.
L’Apocalypse n’est pas tant un requiem pour le monde qui périt, mais une hymne à la gloire de la Nouvelle Jérusalem qui descend du ciel. Les anciens Chrétiens attendaient la fin du monde comme la délivrance de la souffrance, comme la transition vers une vie meilleure.
Les apocalypticiens modernes parlent de la fin du monde comme d’une catastrophe imminente. Ce qui se passera ensuite, ils ne s’y intéressent pas beaucoup. Derrière Babylone vaincue, ils ne voient pas la Jérusalem Céleste. Si vous demandez à un tel apocalypticien, comment vous préparez-vous à la venue du Christ, pratiquez-vous la prière de Jésus, passez-vous votre vie dans le repentir, faites-vous l’aumône? Celui-ci répondra: j’ai entendu dire que l’antéchrist était déjà né, il arrivera au pouvoir à trente ans, et régnera pendant trois ans; il placera un sceau sur les fronts et les mains. J’en préviens les gens et les invite à ne pas l’accepter. Si on lui dit qu’il faut non seulement rejeter le sceau de l’antéchrist, mais aussi accepter le sceau du Christ, la bannière devant laquelle le chérubin qui garde les portes du paradis anéantit les armes à feu, c’est-à-dire le Nom de Jésus-Christ, uni à notre cœur, alors l’apocalypticien répondra: je n’ai pas d’information à ce sujet, mais je peux expliquer ce qu’est le nombre de la bête.
L’Apocalypse était le livre préféré de Saint Philarète de Moscou, l’un des esprits les plus perspicaces de son temps. Dans ce document, il puisa la force pour sa lutte en faveur de l’orthodoxie, qu’il mena pendant des dizaines d’années. Mais pour les gens passionnés et fiers, essayer de pénétrer les mystères de l’histoire peut conduire à l’illusion spirituelle ou déplacer leur attention de l’essentiel, la vie intérieure, vers ce qui nous est caché, à l’extérieur.
Il ne faut pas oublier que la rencontre avec le Christ aura lieu non seulement le jour de la Seconde Venue, mais aussi après la mort, inévitable pour l’homme. Et pour cette rencontre, chaque chrétien doit se préparer pendant toute sa vie.
Traduit du russe
Source
L'Archimandrite Raphaël (Kareline) Archimandrite de l'Église orthodoxe Géorgienne, écrivain, publiciste, critique du modernisme ecclésiastique et de l'œcuménisme, Ruslan Nikolaïevitch Karelin, naquit à Tbilissi, le 28 décembre 1931 dans la famille d'un ingénieur et d'une enseignante. Après l'obtention de son diplôme d'études secondaires, il entra à la faculté de philologie de Tbilissi. C'est alors qu'il se convertit, dans un moment d'intense élan spirituel. Voici ce qu'il en dit : «Dans mes dernières années d'école, je me suis intéressé aux questions métaphysiques. À cette époque, la littérature religieuse était très difficile à trouver. Je suis tombé par hasard sur un livre des écrits de Saint Jean Chrysostome, qui m'a frappé par la nouveauté et la profondeur de sa pensée, ainsi que son style brillant. Ce livre a beaucoup déterminé mon chemin spirituel ultérieur». En 1954, il fut tonsuré moine, reçut le nom de Raphaël, et la même année, il a été ordonné hiérodiacre et hiéromoine. Peu de temps après son ordination, il fut affecté à l'église du Saint Mégalomartyr George le victorieux dans le village d'Ilori, près d'Ochamchira, en Abkhazie. Au cours de sa période à Ilori, à la demande des paroissiens, le Père Raphael pratiqua pendant un certain temps des exorcismes. La situation émotionnelle, d'une force étonnante, des possédés, et leur haine de tout ce qui relevait du christianisme fit prendre conscience au Père Raphël d'une réalité démoniaque particulière, hostile aux forces de la lumière. Plus tard, il poursuivit son sacerdoce à l'église de la Transfiguration, dans le cimetière de la banlieue de Soukhoumi. Pendant sa période à Soukhoumi, le futur archimandrite rencontra son premier père spirituel (glorifié en 2010), l'Archimandrite Seraphim (Romantsov). C'est également lors de cette période allant de 1958 à 1973, en Abkhazie et à Soukhoumi que se sont déroulés les principaux événements de la vie spirituelle et intérieure du Père Raphaël, évoqués dans ses mémoires, dans le livre «Sur le chemin du temps à l'éternité». En raison d'une maladie catarrhale de la gorge, il ne put poursuivre son ministère sacerdotal et partit à Tbilissi pour y être soigné. A partir de 1975 et jusqu'en 1995, le Père Raphaël enseigna le slavon, les fondements de la théologie et l'histoire des religions au séminaire de Mtskheta (Tbilissi) où il exerça également, à titre temporaire les fonctions d'inspecteur. Dans les années 1980, le Père Raphaël visita les lieux saints de Russie, ses monastères, et en particulier le Monastère des Grottes de Pskov. Son nouveau père spirituel y fut l'Higoumène du grand schème Savva (Ostapenko). A Tbilissi, le Père Raphaël fut également proche du Saint Métropolite Zénobe (Majouga) de Tetri-Tskaro, glorifié lui aussi en 2010. En 1995,en raison d'une maladie des yeux, il fut de nouveau contraint de cesser son ministère, tant à l'Académie qu'à l'église. À partir de 1990, il entama une activité littéraire prolifique, qui se poursuit à ce jour. Il est l'auteur de nombreux livres brochures et articles. Certains d'entre eux ont été traduits en géorgien, bulgare, serbe, roumain et d'autres langues. Il est décoré de l'Ordre de Sainte Nina de l'Église orthodoxe de Géorgie. (Texte composé à partir de l'original russe sur le site du Père Kareline)