Si les gens
savaient ce qui les attend,
ils prieraient
tout le temps.
(Archimandrite Hippolyte)1
Le texte ci-dessous est la traduction d’un article de Madame Nadejda Chepelov. Publié le 26 décembre 2018 sur le site Pravoslavie.ru.
L’Archimandrite Hippolyte (Khaline. 1928 – 2002), moine de la Sainte Montagne, fut l’un des plus grands startsy de la Russie contemporaine. Il mena son podvig au Monastère des Grottes de Pskov pendant 12 ans, et y fut nourri spirituellement par les startsy du Monastère de Grottes de Pskov et de Valaam. Le présent article est basé sur les souvenirs de l’Archimandrite Hippolyte, de l’Archimandrite du grand schème Kensorine (Fiodorov) et de la moniale Maria (Stakhovitch). Les photos de leurs archives personnelles et les notes du journal du Starets de Valaam, le Moine de Grand Schème Nikolai (Monakhov), ont été utilisées.
L’archimandrite Hippolyte (Khaline) entra au Monastère des Grottes de Pskov en 1957. Il se confessait et révélait ses pensées au Starets Siméon (Jelnine), père spirituel du monastère. Au monastère, il a rencontra un jeune novice, le futur Père Kensorine, et ils restèrent amis pour la vie. Ensemble, ils rendirent un jour visite au Starets Siméon, et en les voyant arriver il leur dit: «Voilà les supérieurs qui arrivent…. vous serez higoumènes». En effet, le Père Kensorine est devenu le Supérieur du Monastère de Sviatogorsk dans l’Éparchie de Pskov, et le Père Hippolyte, après le Mont Athos, est devenu le Supérieur du Monastère de Rylsk dans l’Éparchie de Koursk. Les novices reçurent la bénédiction du Père Siméon pour devenir moines et le jour même, en 1959, ils reçurent la tonsure et la mantia monastique.
Souvenirs de l’Archimandrite du Grand Schème Kensorine (Fiodorov)
«Après l’armée, je quittai ma terre natale, Yaroslavl, pour la Laure de la Trinité-Saint-Serge, car je voulais aller au séminaire. Mais ils me dirent dit: «Allez aux Grottes, il y a là un starets clairvoyant». Je suis venu chez le Père Siméon et je suis resté à aux Grottes, j’ai commencé à le servir. Je me souviens à quel point le Père Siméon était humble. Il souffrait de jambes et ne pouvait monter à l’église Saint-Michel. Et nous lui avons offert, avec un autre assistant de cellule, : «Venez, Père, nous allons vous porter!» Nous avons entrecroisé nos mains pour former une assise, et lui, comme un enfant, s’est assis joyeusement et humblement sur elle, et nous l’avons emmené. J’ai passé trois ans avec le Père Siméon, jusqu’à sa mort.
J’ai mené mon podvig avec le Père Hippolyte au Monastère des Grottes de Pskov. Au début, nous avons travaillé à la boulangerie. Le Père Hippolyte se distinguait par sa simplicité, son amour, son humilité, sa douceur. Il se souvenait de lui-même: «dans ma jeunesse, j’étais gai, j’aimais plaisanter, danser, j’étais le premier à conduire la danse, mais quand je me retrouvais seul, j’étais assailli par l’angoisse, affligé, inquiet. Je me demandais pourquoi je vivais et comment organiser ma vie correctement. Ces questions chassaient toute ma tranquillité».
En février 1959, lors de la fête des trois saints docteurs, Basile le Grand, Grégoire le Théologien, Jean Chrysostome, nous reçûmes la tonsure monastique et la mantia, à l’église de la Dormition. Nos noms nous furent attribués en l’honneur des Saints Martyrs romains Hippolyte et Kensorine. Nous avons passé la nuit qui suivit la tonsure dans l’église Saint Lazare, dans le coin du monastère où vivaient les anciens de Valaam. L’année suivante, le Père Hippolyte fut ordonné hiéromoine. quant à moi, j’ai servi comme hiérodiacre pendant huit ans.
Le père Hippolyte était à la fois un ami et un confesseur pour moi. Je me confessais souvent à lui. Il m’est arrivé aussi d’avoir honte de confesser mes péchés, mais le Père Hippolyte se faisait alors très humble et condescendait avec douceur et grâce à la faiblesse humaine; il ressentait et connaissait bien notre nature. C’était la personne la plus aimée et la plus proche pour moi, et je regrette vraiment qu’il ne soit plus là maintenant.
Quand il était au Mont Athos, il m’écrivait. On sentait comme il aimait notre Patrie, notre peuple et souffrait d’en être séparé. Il m’a écrit: «Chéris le fait que tu vives en Russie. Embrasse notre terre!». Quand j’ai appris que le Père Hippolyte était revenu du Mont Athos, je suis immédiatement allé le voir au monastère des Grottes. Je n’oublierai jamais comment, lorsqu’il me vit avancer dans le monastère, il ouvrit la fenêtre et a cria haut et fort comme un enfant, sa voix résonnant dans tout le monastère: «Père Kensorine, viens me rendre visite!» J’étais tellement stupéfait par cette telle simplicité, par cet amour, que mes larmes coulèrent. Toute sa perfection réside dans son amour, sa simplicité et son accessibilité.»
En 1983, le père Hippolyte retourna dans son monastère d’origine des Grottes de Pskov. Il le quitta trois ans plus tard pour l’Éparchie de Koursk. Mais il toujours il conserva des liens spirituels avec l’Archimandrite Dosithée (Sorotchenkov; † 1998) du Monastère des Grottes, avec lequel il avait séjourné au Mont Athos, et avec le Starets Ioann (Krestiankine; † 2006). Depuis son monastère de Rylsk, il leur transmettait des lettres et des métanies, par l’intermédiaire de pèlerins.
«Après son retour du Mont Athos, chaque année je rendais visite au Père Hippolyte au Monastère de Rylsk. Quand il est arrivé là pour la première fois, le monastère était en ruines, les conditions étaient difficiles, il n’y avait quasi pas de moines. Malgré toutes ces difficultés, Batiouchka accueillait chaleureusement tout le monde, et était toujours joyeux. Le monastère fut rapidement restauré. Des milliers de personnes venaient aux offices d’exorcisme : malades, affligés, en quête de réconfort de la part du Starets porteur de la grâce. Il se promenait toujours dans sa soutane usagée, sa houlette à la main. Au cours de mes cinquante années de prêtrise, je n’ai jamais vu un pasteur aussi humble, doux et aimant. Et les gens tenaient à lui; cinq ou six bus de pèlerins venaient chaque jour au monastère de Rylsk. Des centaines de personnes faisaient la queue pour recevoir des conseils spirituels, demander ses prières.
Et maintenant qu’il repose dans le Seigneur, le peuple fait la file devant sa tombe. La dernière fois que je suis allé au monastère de Rylsk, c’était le jour de sa fête onomastique. Cinq bus de pèlerins sont arrivés, de Moscou, Belgorod, Koursk, et d’ailleurs. Comme pendant la vie du Père, le peuple continuait à affluer vers lui. L’amour ne s’épuise pas après la mort. C’est précisément par l’amour que le Père Hippolyte conquit les cœurs».
Les Startsy de Valaam
Les Pères Hippolyte et Kensorine fréquentèrent longtemps de grands startsy de Valaam qui vivaient au Monastère des Grottes de Pskov : le Moine du Schème Nicolas (Monakhov), le Hiéromoine du Grand Schème Mikhaïl (Pitkevitch), et l’Higoumène de Grand Schème Lukas (Zemskov)
Le Hiéromoine du Grand Schème Mikhaïl (1877-1962)
A l’époque soviétique, le monastère de Valaam demeura pendant de nombreuses années dans la juridiction de l’Église orthodoxe de Finlande, qui y introduisit le nouveau calendrier et d’autres changements. Les moines qui refusaient d’accepter les innovations étaient sévèrement punis. Les «anciens» défendaient la préservation de l’ancien calendrier, de la pascalie traditionnelle; ils considéraient les innovations comme une lutte contre la Tradition, comme un renouveau dangereux.
Le Père Mikhaïl avait pris la tête des «anciens», convaincus de préserver la pureté de l’Orthodoxie». Avec un groupe de moines, il dût quitter Valaam, d’abord en Finlande, puis âgé de 80 ans, au monastère des Grottes de Pskov, en 1957. Quand il vivait en Finlande, il avait dit: «les tribulations et les souffrances purifient le peuple russe». La terre russe «c’est une terre de martyrs, une terre de confesseurs, arrosée de leur sang, purifiée comme l’or par le feu. Que ce soit sur la Croix, ou par le martyr, le mieux est de mourir dans sa Patrie avec son peuple». Il ne qualifiait pas l’Église en URSS de «soviétique», comme c’était la coutume à cette époque à l’étranger, mais la qualifiait d’Église orthodoxe russe «confesseur de sa foi».
Pendant plus de trente ans, le Père Michael mena à Valaam un exploit monastique rare : la réclusion associé à la paternité spirituelle. Il était confesseur de la fraternité. Il vivait dans des skites ou des cellules isolées de Valaam et célébra la Divine Liturgie chaque jour pendant 41 ans. Le Starets maîtrisait la prière hésychaste et atteignit l’impassibilité, qu’il nommait «le silence intérieur». Le Père Hippolyte se souvient avoir vu un jour le Père Michel marcher dans une colonne de feu. Le Seigneur montrait la mesure de la perfection du Starets.
Dans ses instructions, le Starets Mikhaïl soulignait que l’humilité et l’amour sont essentiels dans la vie spirituelle. L’amour du prochain peut sauver un grand pécheur: «l’Amour couvre tout». Il enseignait les moyens de créer les conditions favorables à la prière: «Surtout, gardez la paix du cœur, endurez, humiliez-vous, ayez le cœur broyé et prenez soin de la paix de votre âme. Évitez tout ce qui perturbe la paix. Nous avons besoin d’une attention et d’une prudence particulières si nous voulons ne pas perdre ce qui est le plus précieux : le monde spirituel. Ne jugez personne et alors il y aura la paix dans le cœur. Et plus encore : taisez-vous, apprenez le silence.»
Le Starets distinguait deux types de silence. Il y a le silence comme absence de réponse à tout mal. Mais l’essentiel est le silence intérieur, la paix spirituelle, l’hésychia. Cet état est atteint par les startsy: ils peuvent parler du matin au soir, tout en demeurant dans le silence intérieur. Le Starets Mikhaïl enseignait : «Il faut essayer d’atteindre le calme de l’esprit, car il ne peut y avoir de bien dans l’âme où vit la rébellion». «C’est cela la véritable réclusion et la vie d’ermite», «le Royaume de Dieu, compris correctement», dans lequel la prière de Jésus ne cesse de servir Dieu dans le cœur. Une telle paix vient quand cessent les pensées de jugement. L’état de silence et l’esprit tranquille sont signe de la profondeur du cœur, et l’ascète perçoit véritablement son état de pécheur. Cela le conduit à un profond repentir et à la purification: «la Pureté du cœur est nécessaire! Et seul le silence bienheureux élève à la sainte pureté du cœur. Tout ce qui compte, c’est la sincérité, la justesse, la pureté du cœur». Le Père Mikhaïl, qui apprit par sa propre expérience ce qu’il enseignait aux moines, déclarait «c’est un idéal, et non un exploit à notre mesure!»
Le Starets enseignait à lutter et à vaincre dans la lutte spirituelle. Sa fille spirituelle, la moniale Maria (Stakhovitch), se souvenait de ses instructions: «Beaucoup de tribulations, voilà le sacrifice à Dieu. Le Seigneur éprouve la fidélité par les afflictions. Ceux qui sont entrés dans la voie monastique s’attendent toujours aux afflictions. Elles surviennent immédiatement, pour les forts. Seulement à la fin de la vie pour les très faibles, afin qu’ils ne prennent la fuite. Mais ne craignez rien. La grâce de Dieu ne quittera pas le moine s’il ne quitte pas Dieu lui-même. Ne fuyez pas le chagrin ni la méchanceté; ayez la détermination et le courage de tout endurer pour le Seigneur. Résistez et combattez, et donnez tout le reste au Seigneur. Vous ne pouvez échapper aux afflictions envoyées par les démons; s’ils ne le peuvent agir d’eux–mêmes, ils envoient cela aux gens. Ici, vous devez toujours être dans une vigilance tendue, dans l’attention».
Le Starets avait le cœur broyé devant les vices de la vie monastique moderne, et surtout le pharisianisme, l’apostasie, la perte de l’esprit monastique. Avec tristesse, il disait que tout n’était qu’agitation, partout, le monde avec ses coutumes perverties introduisait ses procédures dans les monastères. Les pharisiens, les justes en apparence, il les nommait «les lettristes». «On peut lire et relire toutes les règles, autant qu’elles sont, elles ne seront pas bénéfiques à l’âme, sans un cœur broyé et humilié. Prenez le premier commandement, travaillez-le, voilà votre obédience! Et si vous participez à tous les offices, lisez toutes les prières, respectez l’oustav à la lettre, mais sans vous purifiez à l’intérieur, vous serez comme les pharisiens. Ne soyez jamais un «lettriste»; je ne dis pas qu’il faut être négligeant, ne rien respecter; non, tout est nécessaire, mais vous vous en tenez seulement à cela, ce sera pour votre condamnation». L’adage constant du Père Mikhaïl était : «aime tout le monde et fuit tout le monde». Il fut souvent répété par le Père Hippolyte, pour l’édification des moines. Il ne tolérait pas, lui non plus, l’esprit du pharisaïsme et la «lettre de la loi». L’attitude du Père Hippolyte envers la patrie, était elle aussi, pareille à celle des Pères de Valaam. (A suivre)
Traduit du russe