Rares
furent
en tous temps
les authentiques
vénérateurs de Dieu.
(Métropolite Innocent de Penza)

Aujourd’hui encore, nous ne réalisons pas combien nombreux furent les justes et les saints dans la Russie du XXe siècle, et notamment dans la Russie de la fin du XXe siècle. Certains seront glorifiés par l’Église, le podvig des autres restera connu seulement d’un cercle restreint, plus local. Le texte ci-dessous est la traduction de la vie d’un de ces héros de l’ascèse très peu connus en Occident. L’Higoumène Boris (Khramtsov) fut un fils spirituel de l’Archimandrite Naum (Baïborodine) de bienheureuse mémoire. Un saint homme, lui aussi. L’original russe est accessible librement sur l’internet, mais il fut également publié en 2005 sous forme de livre intitulé «Крестный Путь Игумена Бориса» (Le chemin de croix de l’Higoumène Boris) aux éditions Palomnik. La traduction ci-dessous fait partie de la troisième partie de ce livre, intitulée : Les yeux tournés vers le ciel. Il s’agit de souvenir d’enfants spirituels du Père Boris. Le texte ci-dessous termine le récit d’une famille de Moscovites. Les dix parties déjà publiées traduisent les pages de 8 à 77 du livre précité. Les parties précédentes du texte se trouvent ici.

Batiouchka nous aidait avec tant de chaleur et de douceur quand nous commencions à confesser nos péchés «Allez-y racontez vos histoires, vos espiègleries, vos questions, vos cabotinages!» Et la pression du péché se dissipait immédiatement. Il est difficile de transmettre avec des mots l’attitude de Batiouchka envers les gens; les mots ne peuvent remplacer même la plus brève des rencontres et des conversations avec le Père Boris. Aucun cœur ne pouvait résister au sourire de Batiouchka, toute son apparence exprimait sa paix intérieure et son amour illimité pour Dieu et les hommes. En nous racontant les mutuellement nos rencontres avec Batiouchka, nous avons compris que le Seigneur lui avait donné le don de clairvoyance, qu’il s’efforçait de dissimuler par tous les moyens. Ainsi, un jour, saluant notre famille avant voyage en mer, Batiouchka nous avertit qu’il pourrait y avoir des terroristes à proximité, mais ils ne nous toucheraient pas.Et de fait, quelques jours plus tard, il y eut une attaque près de l’endroit où nous séjournions lors de nos vacances. C’était septembre 2000, au village de Lazarevskoïe.Batiouchka prédit à un de nos ami la naissance d’une deuxième fille, de la manière suivante. Au cours de la conversation, il sortit parmi les objets et vêtements qui lui avaient été donnés des collants roses. Et il dit: «Prends-les, peut-être te seront-ils utiles!».
Un jour pendant le repas, Batiouchka avait suggéré de fermer la fenêtre. En vain. Et un enfant de quatre ans se cogna le front, en courant, contre le châssis. Le coup fut violent. Avec sollicitude, Batiouchka a demandé au jeune hiéromoine qui était à table d’apposer sa croix pectorale sur l’endroit douloureux. Le petit garçon n’eut même pas d’ecchymose. Humilité et simplicité étaient inhérentes au Père Boris. Et il enseignait la tempérance en toutes choses: «Nous devons nous surveiller, chaque geste, chaque regard, tout supporter, tout, tout ce que le Seigneur envoie!» Saint Ignace (Brianchaninov) a écrit que les hommes spirituels, «par l’action de la grâce divine en eux, reçoivent des facultés qui sont étrangères à l’homme dans son état naturel». Ainsi, Batiouchka avait reçu beaucoup de dons de l’Esprit-Saint, mais surtout, Batiouchka avait un grand don : celui de l’amour illimité du Christ, à travers lequel il avait accès à chaque cœur.
Par la force de cet amour, il découvrait les péchés oubliés, les pensées, prédisait l’avenir. Batiouchka ne répondait pas toujours immédiatement aux questions. Il priait, demandant pour chacun de nous le bon conseil du Seigneur et de la Très Sainte Mère de Dieu. Batiouchka était un grand «priant». Pendant les voyages en voiture, lorsque le père s’endormait, on voyait que le tchotki ne s’arrêtait de tourner dans sa main. Sa prière nous a protégés des ruses du diable et des maladies corporelles. Ayant lui-même une humilité extraordinaire, Batiouchka nous habituait à lui, de sorte que la vie sous sa direction fut toujours la pleine lutte de l’homme contre ses passions, et de plus, avec fierté. Par tous les moyens, Batiouchka cherchait à amener les âmes à la repentance.
Il me conseilla de noter mes péchés. Le Père Boris était laconique, mais quand il donnait ses conseils, toujours il disait que toute question pouvait être résolue pacifiquement. On était surpris par son éducation polyvalente. Quels conseils avisés il donnait en médecine, en économie, en construction ou tout simplement dans la vie domestique. Et combien il fit preuve de diligence, combien d’églises il restaura, de monastère, combien d’orphelinats créa-t-il… Quand il se déplaçait dans la région, regardant avec douleur les églises détruites, Batiouchka disait: «Dieu les relèvera toutes!».
Pour Batiouchka, la meilleure consolation, c’était l’amour entre les gens, et inversement, rien n’était aussi triste que les querelles entre nous.
Lors des offices inoubliables de la lecture du Grand Canon de Saint André de Crète, nous ne parvenions pas à suivre le rythme de Batiouchka dans les grandes métanies. De huit heures du matin à cinq heures du soir dans l’église, les aiguilles de l’horloge volaient comme lors d’un bref instant. Pas de fatigue, pas de faim. Nous vivions littéralement sous sa protection.
Combien de familles furent sauvées du divorce et de l’adultère, combien de vies de jeunes enfants, de toxicomanes et d’ivrognes furent sauvées… Les gens corrigés, purifiés par la repentance ne voulaient même plus retourner dans le monde, ils voulaient rester sous l’aile paternelle du Père Boris. Ce que nous ne pouvions dire à ceux qui nous étaient les plus proches, nous le confiions à Batiouchka, sous l’influence d’un seul mot ou d’un seul regard, et la paix revenait dans l’âme. Nonobstant sa douceur et son humilité, Batiouchka était strict et zélé pour la foi orthodoxe, pour la célébration parfaite des Mystères de l’Église. Chacun quittait Batiouchka en emportant une étincelle de lumière, une parcelle de sa force spirituelle.
Le Saint Apôtre Jacques dit: «Mais la sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite pacifique, condescendante, traitable, pleine de miséricorde et de bons fruits, sans partialité, sans hypocrisie. Le fruit de justice se sème dans la paix par ceux qui pratiquent la paix.» (Jacques 3, 17-18), et l’Apôtre Pierre enseigne ceci: «Dieu résiste aux orgueilleux et donne sa grâce aux humbles. » (1Pierre 5,5). Nous sommes tous, très différents les uns par rapport aux autres, mais tous nous avons ressenti cette grâce et avons été attirés comme par une source d’eau pure et curatrice. Quelque part dans la sage Providence Divine, il est établi que l’homme trouve dans la perte, voit clairement dans l’absence, se renforce dans la privation, se durcit dans la souffrance. Dans la perte, nous avons gagné un intercesseur céleste, nous avons perdu sa présence ici dans ce monde, mais nous n’avons pas perdu son aide dans la prière après son départ pour la terre des justes. Batiouchka a quitté la vie terrestre, mais la communication avec les gens n’a pas été interrompue. En voyant dans la séparation, nous comprenons avec quel berger nous sommes entrés en relations. Comme avant, avec tristesse et joie, les gens se précipitent vers le lieu de son repos terrestre, au village de Deoulino, toujours décoré de fleurs vivantes. Non seulement ces gens y arrivent de différentes villes de Russie, mais d’autres pays également viennent ceux qui connurent le Père de Boris pendant sa vie terrestre, et ceux qui ressentent seulement maintenant sa force spirituelle.
Ceux qui ne pouvaient vivre sans ses conseils auparavant ne le peuvent toujours pas maintenant. L’amour et l’aide bienfaisante du Starets continuent à attirer; les gens viennent exprimer à Batiouchka leurs peines, leurs joies, leurs pensées et, fortifiés par ses prières, reçoivent la compréhension, la guérison, la paix spirituelle. Plus tard ils reviennent, avec gratitude. Maintenant, sa grande audace se déploie de plus en plus devant le Seigneur, alors qu’ici, il la dissimulait dans son humilité.
Au fil du temps de nouveaux livres seront probablement publiés au sujet de Batiouchka, sur sa proximité avec Dieu, sur la grandeur de ses exploits monastiques, et tous ceux qui se tourneront sincèrement vers lui, demandant ses prières, seront convaincus de la justesse de tout ce qui a été écrit à son sujet.
Un prêtre âgé du Monastère Saint-Nicolas-Babaevski, après avoir célébré un moleben commémoratif sur la tombe du Père Boris déclara, en regardant la photo de Batiouchka, retenant à peine ses larmes: «Je n’ai pas vu le Père Boris de mon vivant… mais les gens ne se sont pas trompés, et personne ne se trouvera devant une source tarie».
Oui, les gens viennent, attirés comme avant, et reçoivent la consolation. En vérité les justes vivent dans les siècles des siècles (Sagesse 5, 15). Batiouchka est vivant, il s’en est seulement allé dans ce monde invisible pour nous, là où pour nous tous, pour la Russie, les saints intercèdent et par l’aide de leur prière, ils ne nous abandonnent pas, nous les pécheurs. Après avoir enduré tout ce que le Seigneur lui avait envoyé, le Père Boris nous laissa un bon souvenir, une empreinte lumineuse, des cœurs réchauffés, des âmes renouvelées, avançant sur le chemin de croix des tribulations et des privations. Mais le chemin de croix, accepté au nom de Dieu, mène toujours à la victoire. La vie du père se mesure avec une aune particulière: la loi de l’esprit. Les centaines, les milliers de gens qui viennent auprès du Père Boris les jours de commémoration, en sont le vivant témoignage. Mémoire éternelle, Higoumène Boris de bienheureuse mémoire, cher Batiouchka bien-aimé.
(A suivre)

Traduit du russe