Portrait
Depuis de nombreuses années, à dates régulières, le site Ruskline propose des articles, souvenirs et réflexions au sujet du Métropolite Ioann (Snytchev). Ce fut le cas en octobre 2017. Le 9 octobre 2017, le Métropolite Ioann de bienheureuse mémoire aurait atteint l’âge de 90 ans. La série d’articles proposée à cette occasion s’intitulait : «Vladika Ioann, tel qu’il fut…». Dans le texte ci-dessous, le Métropolite Barsanuphe (Soudakov), qui dirige aujourd’hui encore l’Éparchie de Saint-Pétersbourg et Ladoga, partage ses réflexions et souvenirs. Le texte fut mis en ligne le 3 octobre 2017.
C’est au Monastère de Pioukhtitsa que je fis la connaissance du Métropolite Ioann. J’étais alors étudiant à l’Académie de Théologie de Moscou et moine de la Laure de la Trinité-Saint-Serge. Je séjournais à Pioukhtitsa pendant les vacances d’été lorsque Vladika Ioann y vint, accompagné de nombreux collaborateurs. Je me souviens de ce que nous avons célébré ensemble au monastère, en l’église de la Dormition. Je me souviens qu’il prononça pour les sœurs une superbe homélie, dans le réfectoire. Il y enseigna les vertus monastiques : humilité, obéissance et prière. Tout le monde l’écoutait comme on écoute un starets, en retenant son souffle. Chaque mot de Vladika allait droit au cœur de toutes les moniales et de tous les moines présents.Cette fois-là, en compagnie de Vladika Ioann, de Matouchka Barbara et Matouchka Georgia, nous nous rendîmes au Golfe de Finlande. Nous marchions sur la berge en ramassant des petits cailloux quand surgirent des gardes-frontière. Ils nous ordonnèrent : «Couchez-vous à terre!» Il s’avèra que nous nous trouvions dans une zone interdite. Évidemment, Vladika Ioann ne s’est pas couché sur le sol, et les matouchkas-higoumènes n’en croyaient pas leurs oreilles : pourquoi donc devions-nous nous coucher sur le sol? Nous n’avions pourtant commis aucune infraction? La réponse sonna : «Vous en avez commis une! Vous êtes restés longtemps dans la zone jouxtant la frontière. Qui êtes-vous?» On commença à s’expliquer… Voilà l’aventure que nous vécûmes ensemble.
Quand j’eus terminé l’Académie, je séjournai à Penza. J’eus plus de contacts avec Vladika. Je le rencontrais à Dimitrovgrad. Je vis pour la première fois accomplir le rituel de consécration d’une église qui venait d’être tout récemment construite. Et Vladika Ioann vint chez nous à Penza, accompagné d’une importante délégation, à l’occasion du millénaire du Baptême de la Rus’. Pendant qu’il séjourna chez nous, Vladika Seraphim me confia pour tâche de prendre soin de Vladika Ioann et de veiller à son bien-être. Je l’accompagnai jusqu’à la frontière de l’oblast, à Kouznetsk, où il fut mon hôte. A maintes reprises, j’aillai lui rendre visite chez lui à Samara. Alors, nous allions pêcher ensemble. Il m’est arrivé de le surprendre à travailler dans son petit atelier de menuiserie. Il aimait travailler le bois et réalisa plusieurs productions artistiques, armoires, bibliothèque. Et nous avons souvent célébré l’office ensemble.
Et notre relation s’affermit avec le temps. Quand le Métropolite Ioann fut nommé à Saint-Pétersbourg, qui s’appelait encore Leningrad, il implora Sa Sainteté le Patriarche Alexis et Vladika Seraphim de m’autoriser à devenir évêque vicaire. Évidemment, Vladika Seraphim ne me laissa pas partir… Visiblement, la Providence Divine était à l’œuvre, car peu de temps après, je fus choisi comme Évêque de Saransk. En un mot, Vladika Seraphim me retint, et par la suite, je pus succéder au Métropolite Ioann. Nous continuâmes à nous rencontrer et à communiquer, et il m’offrit son livre d’homélies. J’y recours souvent pour mes propres homélies. Les dispositions spirituelles de Vladika Ioann me le rendaient très proche. Je le considérait comme mon guide spirituel. Je me souviens de son visage spirituel, de ses paroles, de sa voix douce et tranquille. Il parlait toujours de manière argumentée, se référant aux écrits des Saints Pères. Toujours, il s’efforçait de maintenir les traditions de l’Église et de la Sainte Écriture. Je me souviens de lui comme d’un starets, qui avait l’Esprit de Dieu ; il parlait toujours calmement, avec inspiration. Il expliquait clairement et de façon compréhensible ce que nous devons combattre : nos passions et les péchés. Il accordait une grande attention à la vie intérieure. Lui-même avait traversé de nombreuses épreuves, et ainsi, il pensait que le Seigneur nous envoie les afflictions pour notre purification. Nous devons nous corriger, nous parfaire spirituellement, et croître en dépassant la tentation.
A Saint-Pétersbourg, je dois poursuivre l’œuvre de mes prédécesseurs : veiller au salut de mon troupeau pétersbourgeois. Tout comme Vladika Ioann ne ménagea pas ses efforts pour célébrer, prier, et faire tout ce qui est possible, je dois continuer son œuvre. Car plus tard, nous nous rencontrerons au Ciel, et il me demandera : «Eh bien quoi? Qu’as-tu fait après moi? N’as tu pas détruit ce que j’ai fait?». Et je répondrai : «Non, j’ai continué à servir comme vous l’avez fait». Nous aurons de quoi discuter…
Vladika Ioann fut pour moi un homme lumineux. Vladika Seraphim était plus fougueux et abrupt, alors que le Métropolite Ioann était toujours calme. Jamais je ne le vis dans un état d’esprit irrité. Rarement, il adressait de petites remarques, mais il restait toujours posé. Je le considérait, et je le considère encore, comme un homme empreint de spiritualité.
Pourquoi l’intelligentsia libérale ne l’aime-t-elle pas? Je ne connais que le côté spirituel de Vladika Ioann. Je ne l’ai pas vu comme un acteur politique. Je n’ai pas suivi ce qu’il disait dans ce domaine. Il se fit que nos entretiens portaient seulement sur des sujets spirituels. Je l’ai souvent rencontré dans les églises, et jamais il n’abordait des thèmes politiques. Des journaux ont publié certains articles sous sa signature, mais je ne sais s’il les écrivit lui-même ou s’ils furent écrit en son nom. Cela je l’ignore.Je le connais comme pasteur.
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Lors de l’émission télévisée «Souligner l’essentiel», diffusée le 4 juin 2015 sur la chaîne de télévision «Sankt-Péterbourg», le journaliste interrogea le Métropolite Barsanuphe au sujet du Métropolite Ioann : «Vous savez qu’aujourd’hui encore, sa personnalité ne fait pas l’unanimité; à ce jour, il a encore beaucoup d’ennemis».
Et Son Éminence le Métropolite Barsanuphe répondit ceci : «Et alors? Le Christ n’avait-Il que des amis? Aujourd’hui encore, on L’aime pas, et on ne veut pas croire en Lui. Et alors? Qu’est-ce que ça change?»
[N.d.T. Les deux derniers paragraphes sont traduits non pas de la source mentionnée, mais de la page 745 du livre «Il y eut un homme, envoyé de Dieu…» (Был человек от Бога…), dans l’édition publiée en 2015 par les Editions Tsarskoe Delo à Saint-Pétersbourg.]
Traduit du russe
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