Le texte ci-dessous, propose la première traduction en français de la longue biographie du Saint Starets Jérôme (Solomentsov). En 2012, le Saint Monastère athonite de Saint-Panteleimon a publié un épais «Paterikon des Athonites Russes des XIXe et XXe siècles». Ce texte en est extrait. Le 27/14 novembre 1885, le Starets et Père spirituel de tous les agiorites russes, Jérôme (Solomentsov) s’en est allé auprès du Seigneur. Ce puissant guide spirituel, élu par la bénédiction particulière de la Très Sainte Mère de Dieu, dirigea la communauté russe du Monastère Saint-Panteleimon. Il devint par la suite le père spirituel de tous les moines russes de l’Athos. La Providence divine le chargea d’une obédience particulière et colossale: la restauration du monachisme russe sur le Mont Athos, non pas formellement, mais en profondeur, conformément aux meilleures traditions de la piété monastique. Le début du texte se trouve ici.
À cette époque (après 1840), sur le Mont Athos des moines russes étaient unis. Par la suite, la communauté russe grandit de façon importante, les tâches du Père Jérôme se multipliaient, sa santé faiblissait, et il devait se mettre des limite. Par exemple, le dimanche après-midi, après le repas, il sortait de sa cellule dans le couloir, s’asseyait sur un simple canapé en bois et commençait à donner à chacun selon ses besoins, souvent plus que ces besoins. Parfois, il était si étroitement entouré de tous les côtés, qu’on ne pouvait plus circuler ni dans les escaliers ou dans le couloir. Disperser ces pauvres moines, c’était évidemment pour lui chose impensable. De même, aux nombreux ermites qui, par amour du silence total, ou du fait de la décrépitude due à la vieillesse, ou à des maladies, ne pouvaient venir personnellement au monastère de façon régulière, le Père Jérôme envoyait des aumônes par l’intermédiaire de leurs disciples, s’ils en avaient, ou de ses propres moines, le cas échéant.Pour vivre dans le silence, les ermites se retiraient dans des kelias isolées, mais les besoins matériels les forçaient à céder aux tracas et soucis qui ravagent les fruits du silence. Souvent, faute de moyens, ils étaient chassés de leur kelia ou de leur misérable kaliva. Mais voyons ce que notre théologien de l’amour, doué d’un grand sens pratique, inventa pour permettre à ses enfants d’atteindre leur but et d’accomplir leurs obligations sans malheur et sans soucis matériels.
Sur la terre de la Skite-metochion de Krumitsa, à la frontière avec le territoire de la Communauté de Chilandar, au-dessus de la mer, fut fondé, avec la bénédiction du Père Jérôme, la Skite de la «Nouvelle Thébaïde», l’équivalent russe des ermitages grecs proches du sommet de la montagne. Le Starets la fit construire pour les moines pauvres des kelias et les moines errants. En peu de temps, elle rassembla jusqu’à deux cent cinquante moines vivant dans des kalivas séparées, dispersées sur un grand espace et entretenues aux frais du monastère. Il adjoignit en outre au monastère l’église de Tous les Saints de l’Athos, un hôpital et certains autres bâtiments nécessaires. Avec la bénédiction du Starets, toute la nourriture nécessaire était produite par la communauté et ses metochions. Mais là n’est pas l’essentiel. En les rassemblant tous et en les organisant en un ensemble, le Starets introduisit parmi eux une règle commune garantissant à la fois discipline juridique et discipline morale, voilà ce qui était plus important. Ainsi fut créée et développée une famille monastique spirituelle, unie autour de l’ancienne communauté russe du Saint Mégalomartyr Panteleimon, qui étendit, comme une mère, ses bras spirituels et rassembla sous l’omophore De la Très Sainte Mère de Dieu tous les moines russes du Mont Athos. Mais cette famille serait incomplète sans deux skites Russes — Saint Élie et Saint André. Rappelons que ces deux skites furent fondées à cette période dont on se souvient avec tristesse, et au cours de laquelle le Russikon semblait définitivement perdu pour la fraternité russe. En effet, il n’existait aucun moyen humain permettant de remédier à la situation. Il fallait compter avec humilité et patience sur la Divine Providence, et lui faire pleinement confiance. La justesse de cette position fut démontrée par le cours ultérieur de l’histoire: ce n’est pas la main humaine, mais la dextre pédagogique de la Providence Divine qui restitua miraculeusement aux moines russes leur ancien patrimoine. Ces trois monastères russes étaient apparentés non seulement et non pas tant du fait de la nationalité des occupants, que par une parenté spirituelle les reliant d’une manière ou d’une autre à la racine commune à tous les russes du Mont Athos — le grand Starets Arsène, dont l’autorité était reconnue à la fois également à la Skite Saint André et à la Skite Saint Élie. Acceptant avec humilité la décision du Starets Arsène, ils s’unirent en une seule famille sous la direction spirituelle du Père Jérôme, en qualité de confesseur russe sur le Mont Athos, et ensuite de son successeur, le Père Macaire, qui sera qualifié d’higoumène de tous les Russes de la Sainte Montagne. La paix et les bonnes relations furent rétablies, les humeurs et les discordes appartinrent au passé. Le meilleur témoignage en fut l’activité conjointe et cohérente des trois monastères russes. Ils achetèrent ensemble une parcelle de terre à Galata, dans la banlieue de Constantinople, pour y installer leurs podvoriés, qui allaient devenir le noyau d’une sorte de quartier russe, où les pèlerins de Russie qui passaient par Constantinople dans leur voyage vers les sanctuaires de l’Orient pouvaient se sentir en relative sécurité, presque comme chez eux. Au fil du temps, l’un des higoumènes de la Skite Saint Élie dira ceci de l’union des trois demeures russes sur le Mont Athos: «Sur le Mont Athos, nous sommes, comme la Trinité, inséparables et indivisibles».
Le père Jérôme comprenait parfaitement toute l’instabilité du statut des skites russes, qui ne disposaient pas, selon les lois athonites, de droits absolus sur leur terre. De tous les monastères russes, seul le Monastère Saint-Panteleimon possédait toute la plénitude de ces droits juridiques en tant que monastère propriétaire. Les skites avaient seulement des droits relatifs et n’étaient russes que de façon nominale. Les terres sur lesquelles elles se situaient appartenaient aux monastères kyriarcaux grecs. À cette époque, la situation ouvrait sur deux options seulement: soit acquérir en faveur du Russikon, en tant que part entière de ce monastère kyriarcal, les terres, sur lesquelles se trouvaient les skites. Cela fut fait en son temps avec la terre de la Skite de Ksilourga, la plus ancienne communauté russe sur le Mont Athos. La seconde option consistait à chercher à obtenir en faveur des skites ce même statut kyriarcal, dont bénéficiaient les monastères. Le Père Jérôme essaya de réaliser ces plans, avec l’aide de son fidèle novice, le père Nathanael (Kobelev), représentant officiel du Monastère à Karyès, et de l’ambassadeur russe à Constantinople, le Comte Ignatiev. Exista également projet d’achat du Monastère de Stavronikita, vide à l’époque, au bénéfice de la Skite Saint Élie.
Nous constatons donc que le Père Jérôme demeura fidèle à son idée de créer sur le Mont Athos une famille monastique russe soudée, sous les auspices du Monastère Saint-Panteleimon. La forme dans laquelle cette idée se cristallisa est remarquable. En fait, le Russikon présentait un nouveau type de relation entre le monastère principal et les skites et kelias qui lui étaient subordonnées. Par rapport aux autres monastères et kelias russes, le monastère ne s’affirmait pas comme monastère kyriarchal, c’est-à-dire monastère dominant ou souverain, mais comme un monastère-mère revêtu de la responsabilité et de la garde de ses communautés-filles. Le Russikon représentait les intérêts de celles-ci dans les organes administratifs de la Sainte Montagne et auprès des institutions du monde extérieur, coordonna leurs actions conjointes, et distribua les fonds nécessaires à leur existence.
Aussi étrange que cela parût, selon l’avis des observateurs, sympathisants ou détracteurs radicaux, à la fin du XIXe siècle, c’est le monastère russe, qui se développait rapidement, unissait tout autour de lui et incarnait l’idée même du monachisme cénobitique sur le Mont Athos. A cette époque, les monastères grecs ne s’étaient pas encore complètement remis de la domination de l’idiorythmie, extrêmement préjudiciable à l’organisation monastique, qui se répandit partout sur le Mont Athos au début du XVIIIe siècle. Face au cercle des monastères grecs désunis, occupés à satisfaire uniquement leurs propres intérêts, la communauté monastique russe soudée acquit un grand respect, un poids et une influence dans le milieu monastique du Mont Athos. Conscient de cette importance et souhaitant la mettre à profit, le monastère russe devient l’un des principaux et des plus actifs défenseurs et propagateurs des principes du cénobitisme sur le Mont Athos. À titre d’exemple de l’importance et du respect acquis par le Russikon, on peut citer le fait que les monastères grecs de Saint Paul et de Xénophontos se sont choisis pour higoumène des moines de nationalité grecque, mais provenant du monastère russe, dans lequel s’est épanoui le modèle cénobitique. Cela résultait de l’absence dans le milieu grec de candidats dignes et compétents, capables de soutenir et de protéger la cénobie. (A suivre)
Traduit du russe