Écrits
L’article du Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga «Voyez, et ne soyez pas troublés» peut à juste titre être considéré comme le testament que le hiérarque adressa à tous les Russes orthodoxes. La publication de ce texte eut lieu dans des circonstances assez remarquables. L’article fut publié pour la première fois dans le journal «La Russie Soviétique» n°118, du 5 octobre 1995, moins d’un mois avant la fin bienheureuse de Vladika, qui eut lieu le 2 novembre 1995. Cette année, nous célébrons donc le 25e anniversaire de sa natalice. Ainsi, une section particulière du présent blog lui sera désormais consacrée. Il est évident que Vladika Ioann accordait une signification particulière à ce texte. Ainsi, lors de sa dernière rencontre avec les étudiants et les professeurs de l’Académie de Théologie et du Séminaire de Saint-Pétersbourg, dans l’auditoire de l’Académie, le 19 octobre 1995, le Métropolite Ioann fit un discours dans lequel il développa largement son texte «Voyez et ne soyez pas troublés». Ce discours fut enregistré au magnétophone, et par la suite reproduit sur cassettes, et puis sur «disques compacts», et même imprimé. L’intervention de Vladika Ioann dans l’auditoire de l’Académie de Théologie parut tellement osée et inattendue qu’elle suscita auprès de certains auditeurs de la crainte pour la sécurité du hiérarque. Le texte fut intégré pour la première fois dans le livre édité fin novembre 1995, trois semaines après le décès de Vladika, par les éditions Tsarskoe Delo et intitulé «Русь соборная (очерки христианской государственности)», «La Rus’ conciliaire (essai sur l’État chrétien»).
C’est un passage de ce livre que traduit le texte ci-dessous. L’introduction qui précède est quant à elle tirée du site «Ruskline». Le terme russe «соборная» (sobornaia) est repris dans notre symbole de foi, dans sa traduction française, par «catholique» («l’Église, Une, Sainte, Catholique, Apostolique»). La version grecque reprend également le terme «catholique». Mais le slavon / russe «соборная» provient du terme «собор» (sobor), qui peut être traduit, selon le contexte, par les termes français ‘cathédrale’, ‘collégiale’, ‘assemblée’ et ‘concile’. C’est donc la notion de collégialité, de conciliarité, de communauté spirituelle, qui est communiquée par le mot russe ‘sobornost’, dont la traduction par ‘catholique’ est susceptible d’induire aujourd’hui le lecteur francophone en erreur. Et le livre précité du Métropolite Ioann (Snytchev) est tout entier consacré à la définition de cette notion de ‘sobornost’ et à sa pertinence historique. Face à l’éventail de traductions possibles, la voie du néologisme est retenue dans le texte ci-dessous, sans que les différentes possibilités évoquées auparavant soient le moins du monde invalidées pour autant. Le texte français ci-dessous est la traduction du premier tiers de l’article.
Aujourd’hui, les croyants (et je ne parle évidemment pas des politiciens et des dirigeants économiques) ont, dans leur grande majorité, perdu la compréhension de la ‘sobornost’, la communauté spirituelle en tant que dispositif agrégateur des mécanismes concrets et pratiques qui permettent d’enrayer les troubles et vaincre les crises. La conscience contemporaine lui octroie une «place d’honneur», entre l’araire et la chandelle, ou dans le meilleur des cas, elle considère la collégialité comme une forme «de collectivisme spontané» ou de «démocratie primitive».
J’ai déjà écrit que le principe de ‘sobornost’ se manifeste dans l’histoire russe avant tout comme une méthode religieuse et politique de préservation et de restauration de la communauté spirituelle du peuple. Le sens de cette communauté réside dans le service de la vérité éternelle, cette Vérité proclamée dans les paroles de l’Évangile : «Je suis le chemin, la vérité et la vie» (Jean 14,6) C’est la signification de la vie en tant que service et sacrifice de soi, pour ceux dont le but de la vie consiste à se rapprocher de Dieu à la mesure de leurs forces, et à incarner les idéaux moraux du christianisme. Et c’est précisément sur ces fondements idéologiques que grandit et s’affermit l’État de Russie pendant mille ans. C’est la ‘sobornost’ qui, de siècle en siècle, a «insufflé l’Esprit» dans l’État russe. Et c’est elle justement, que nous devons restaurer, si nous voulons réellement vaincre la tempête qui fait rage maintenant.
«Voyez, et ne soyez pas troublés, car il faut que ces choses arrivent» (Mat.26,4). Voilà ce qu’enseigna un jour le Christ à Ses disciples, prévenant l’humanité future des peines, des troubles qui l’attendent «à la fin des temps». Pendant les deux mille ans de l’ère chrétienne, le processus d’apostasie, le rejet de la foi véritable, annoncé par le Sauveur, s’est inexorablement développé. Il semble qu’il soit maintenant proche de la victoire; dans le monde athée (et luttant ouvertement contre Dieu), il ne reste que des îlots de piété sincère et profonde, et qui plus est, ceux-ci doivent subir les assauts féroces des forces des ténèbres qui font rage au sein des peuples abandonnant leur foi. Il n’est donc pas étonnant que la communauté spirituelle, la ‘sobornost’, soit l’une des première cibles des forces sataniques, l’objet principal des attaques des athées et de ceux qui haïssent le Christ. Les tentatives de pervertir le principe de collégialité dans l’existence humaine n’ont pas cessé au cours de toute l’histoire de l’humanité. Cependant, elles sont devenues particulièrement persistantes et dangereuses, sophistiquées et ciblées au cours de ce siècle – après que la destruction de l’État orthodoxe de Russie ait éliminé le principal rempart face à l’apostasie mondiale.
Face aux deux piliers principaux, aux deux axes principaux de l’unité collégiale – religieux et laïc, de l’Église et du monde, couvrant ainsi la société en général général -, les technologies destructrices de ceux qui combattent Dieu et cherchent à détruire pareille unité, se sont également développées. Les saints pères n’ont pas dit en vain que «le diable est le singe de Dieu». N’étant pas en mesure de créer quelque chose d’indépendant, satan ne fait que «pasticher» l’ordre divin des choses en parasitant les énergies saintes, en les pervertissant, en essayant de créer son propre monde «parallèle», soumis aux lois des ténèbres et de la méchanceté.
Dans un tel monde, il existe aussi un «homologue» de la ‘sobornost’ – un substitut diabolique qui ouvre la voie à l’Antéchrist à venir, préparant l’unification du monde défiguré non sous le couvert de la Loi de Dieu, non dans le sein de la Vérité salvatrice du Christ, mais sous le joug de «l’homme de péché, le fils de la perdition» (2Thes.2,3), «que le Seigneur (Jésus) exterminera par le souffle de sa bouche, et anéantira par l’éclat de son avènement» (2Thes.2,8). Dans le domaine religieux, cette entreprise diabolique est masquée par l’enseignement mensonger sur la nécessité d’unir toutes les religions (indépendamment de la véracité ou de l’erreur de chacune d’entre elles) – l’œcuménisme. Dans le domaine de l’État politique, sous la doctrine mensongère de l’inévitabilité de l’unification future de l’humanité en un seul super-État dirigé par un Gouvernement Mondial commun (le globalisme).
Ces deux doctrines mensongères se sont épanouies au XXe siècle sous des couleurs luxuriantes. Elles sont toutes deux délétères pour le monde et pour l’âme de l’homme. Aujourd’hui, toutes deux ne trouvent plus qu’un dernier obstacle en travers de leur chemin: il ne reste que la Russie, une Russie affaiblie, exsangue, mais qui ne se rend pas, qui ne se soumet pas…
Traduit du russe