Le texte ci-dessous est traduit des pages 148 à 161 du livre de V.P. Philimonov, intitulé «La Constellation autour de Saint Seraphim» (Созвездие преподобного Серафима), publié par les éditions Satis à Saint-Pétersbourg, en 2018.
Ce récit concerne une disciple des Saints Pères Barnabé de la Skite de Gethsémani et Seraphim de Vyritsa. La description des traits et caractéristiques de cette sainte offrent un important complément de lumière éclairant la vie de Saint Seraphim de Vyritsa et permettent ainsi de faire plus profondément connaissance avec lui. Ces souvenirs de la vie de cette héroïne de l’ascèse ont été précieusement conservés, et puis transmis par Claudia Georgievna Petrounenkova, une de ses filles spirituelles.Voici la deuxième partie de la traduction. La première se trouve ici.
Ils furent très nombreux à accourir auprès de la Staritsa Marie pour qu’elle les aide à résoudre les problèmes les plus ardus de la vie spirituelle, et ceux aussi de la vie quotidienne.
Avec la la bénédiction de Sa Sainteté le Patriarche Alexis, elle reçut le grand schème, le 17 avril 1962, au Monastère de la Laure des Grottes de Pskov. C’était trois jours après le fête de Sainte Marie l’Égyptienne, comme le lui avait annoncé son père spirituel, Saint Barnabé. C’est le starets et higoumène du Grand Schème Savva (Ostanienko) lui-même qui tonsura Mère Marie. Tous étaient stupéfaits par la luminosité du visage de Matouchka. Sa voix était douce et paisible. Elle souriait toujours et très peu loquace. C’était toujours avec un pieux enthousiasme qu’elle se souvenait du Père Seraphim; on voyait que chacune de ses pensées au sujet de celui-ci était prière.La Moniale du grand schème Marie m’a raconté comment le Saint Hiéromoine Barnabé de la Skite de Gethsémani bénit le mariage d’Olga et Vassili Mouraviev, et comment, ultérieurement, il les bénit tous deux pour recevoir la tonsure monastique, alors que la Russie vivait de douloureuses tribulations. Matouchka admirait les podvigs du Starets de Vyritsa et disait «Quelle vie il menait!Combien d’hommes et de femmes il a aidés!». Toujours et en toutes choses, elle s’efforçait d’imiter Batiouchka Seraphim, et l’influence spirituelle qu’elle exerça dépassa de loin les limites de la ville du Saint Apôtre Pierre.
Un jour, à la Laure des Grottes de Kiev, un des starets de Valaam rentré en Russie1 me dit «Mère Marie, c’est le pilier auquel est accroché toute la ville et les environs».
La Divine Providence voulut que des membres du gouvernement connaissent et vénèrent la Staritsa Marie. Quand, au début des années ’60 les persécutions khrouchtchéviennes s’abattirent sur l’Église, l’Archevêque André (Soukhenko) de Tchernigov fut arrêté et injustement condamné. Matouchka en fut profondément affligée. Elle adressa une boîte de bonbons au Président de la Cour Suprême, Alexandre Feodorovitch Gorkine, demandant qu’on la lui transmette avec le message suivant : «Babouchka Marie demande que l’Archevêque de Tchernigov soit libéré». Et que pensez-vous qu’il advint? On ordonna une révision de la cause et Vladika André fut rapidement libéré…
A cette époque, Matouchka Marie renforça son jeûne et sa prière à la Très Sainte Mère de Dieu et à Saint Nicolas, pour que l’Église Orthodoxe de Russie et la Russie orthodoxe soient sauvées. Il est remarquable que ce fut précisément le 1/14 octobre 1964, jour de la fête du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu, notre céleste Souveraine qui intercède pour nous, que Khrouchtchev fut démis de toutes ses fonctions. Et dès le mois de décembre de cette année, suite à une séance de la Cour Suprême présidée par A.F. Gorkine, de nombreux actes de violations de la légalité au préjudice de l’Église et des croyants furent reconnus comme délits.
Lorsque le 17 avril 1970, Sa Sainteté le Patriarche Alexis (Simanski) s’en alla vers le Seigneur, ce fut le Métropolite Pimène (Izvekov) de Kroutitsy et Kolomna qui accéda à la charge de locum tenens, en sa qualité de membre du Saint Synode ayant été ordonné le plus anciennement. Toutefois, le Synode ne put se réunir qu’un an plus tard, les autorités n’autorisèrent pas la tenue d’une assemblée du Synode Local l’année du centenaire du «guide du prolétariat mondial». Le Synode ouvrit ses travaux le 30 mai 1971. A ce moment, la Staritsa Marie renonça à prendre toute nourriture et se plongea dans la prière permanente ; un podvig impossible pour tous ceux qui l’entouraient. Le 2 juin 1971, jour de clôture de la séance du Synode, l’assemblée élit à l’unanimité, lors d’un scrutin ouvert, le Métropolite Pimène en qualité de Patriarche de Moscou et toute la Russie. Alors, Matouchka poussa un soupir de soulagement et dit : «Gloire à Dieu! Ils ont élu un orthodoxe. Lui, il est croyant…».
Lors du banquet solennel organisé à l’hôtel «Rossia» à l’occasion de l’intronisation de Sa Sainteté le Patriarche Pimène, Alexis Nikolaevitch Kossyguine, Président du Conseil des Ministres, fit une déclaration qui resta célèbre : «Par ses prières, la Staritsa Maria de la Cathédrale Saint Nicolas m’a beaucoup aidé».
Il se fait qu’après la fin bienheureuse de Sa Sainteté le Patriarche Alexis Ier, se posa la question, au niveau le plus élevé du pouvoir, du maintien de l’institution du patriarcat en Russie, sa suppression équivalant à l’anéantissement de l’Église. Lors de la séance du Conseil des Ministres examinant ce point, tous se turent. Seul Alexis Nikolaevitch déclara avec fermeté : «Si nous agissons de la sorte, alors, nous-mêmes disparaîtrons». Il rapporta lui-même ces paroles, lors d’un entretien ultérieur avec l’Archevêque Nikon (Fomitchev), un des membres du Synode qui se réunit en 1971. Et Alexis Nikolaevitch Kossyguine dit à Sa Sainteté le Patriarche Pimène : «Votre Sainteté, je vous souhaite de maintenir fermement la tradition de la foi orthodoxe!»
Pendant que la question du maintien du patriarcat fut discutée par les autorités de l’État, Matouchka Marie renforça également son podvig de jeûne et de prière. A cette époque, elle était très faible sans cela, et nous étions affligés et inquiets pour notre mère spirituelle. Seule l’aide puissante d’En-haut lui permit de survivre à cette épreuve. On peut prononcer à propos de Matouchka les paroles qu’elle-même dit au sujet du Père Seraphim : «Quelle vie elle vécut! Combien d’hommes et de femmes aida-t-elle!».
Inépuisable était l’amour que le peuple vouait à la grande Staritsa. Les nombreux orthodoxes qui venaient à elle de tous les coins de la ville et de ses environs la nommait avec chaleur : «notre babouchka Marie».
Quand l’Archimandrite Antippe fut chassé de la Laure des Grottes de Pskov, suite à d’odieuses calomnies, Matouchka Marie obtint sa réintégration de la part du Patriarche. On pourrait rapporter une multitude de cas semblables. Pour la Staritsa, la justice divine était supérieure à tout.
De nombreux higoumènes et hiérarques de l’Église aimaient et vénéraient la grande héroïne de l’ascèse. Un lien spirituel étroit unissait Matouchka et Sa Sainteté le Patriarche Alexis Ier. Un jour, elle me remit une pomme énorme et très belle, et m’ordonna de la porter à Moscou, au Patriarche. Le grand hiérarque de l’Église accepta ce présent inhabituel, l’embrassa et le posa devant lui. Il observa ensuite pensivement la pomme, et il transmit à Matouchka Sa haute bénédiction. Un cas similaire se produisit quand la Staritsa transmit au Patriarche une prosphore de la Très Saine Mère de Dieu venant du Monastère de la Laure des Grottes de Kiev. Face à la prosphore, il réagit de la même manière que précédemment face à la pomme. Ce que cela signifiait était connu de Dieu seul, mais lorsque le Patriarche rendait visite à la ville sur la Neva, il rencontrait toujours Matouchka Marie et s’entretenait avec elle en privé.
Le temps passait, l’âge marquait sa trace. Les forces physiques de la Staritsa s’épuisaient, même si son esprit demeurait toujours aussi vif qu’auparavant. L’âme de l’être humain ne vieillit pas, au contraire, avec l’âge, elle se perfectionne, chez ceux qui aspirent aux demeures célestes. Matouchka connaissait l’heure de sa fin. Quand elle lui fut révélée, elle dit : «Il est temps que je me mette en chemin, il est temps que je me mette en chemin !». Nous ne comprîmes pas : «Mais sur quel chemin? Vous êtes déjà si malade!».
Mais ce qui était destiné à s’accomplir s’accomplit. Le 11 mars 1971, lorsque le Père Igor Mazur célébra la Divine Liturgie, il communia la Staritsa Marie aux Saints Corps et Sang de Notre Seigneur Jésus Christ. Après avoir reçu les Saints Dons, Matouchka fit mine de s’endormir dans la loge du sanctuaire destinée au sacristain, dans l’église de l’étage inférieur de la Cathédrale de l’Annonciation-Saint Nicolas. Quand la Liturgie prit fin, il s’avéra que la Staritsa Marie était partie auprès du Seigneur au cours de l’office. Puisse Dieu accorder pareille fin lumineuse à tout un chacun… (A suivre)
Traduit du russe