Le texte ci-dessous est traduit des pages 148 à 161 du livre de V.P. Philimonov, intitulé «La constellation autour de Saint Seraphim» (Созвездие преподобного Серафима), publié par les éditions Satis à Saint-Pétersbourg, en 2018.
Ce récit concerne une disciple des Saints Pères Barnabé de la Skite de Gethsémani et Seraphim de Vyritsa. La description des traits et caractéristiques de cette sainte offrent un important complément de lumière éclairant la vie de Saint Seraphim de Vyritsa et permettent ainsi de faire plus profondément connaissance avec lui. Ces souvenirs de la vie de cette héroïne de l’ascèse ont été précieusement conservés, et puis transmis par Claudia Georgievna Petrounenkova, une de ses filles spirituelles.
J’ai connu Matouchka Marie pendant vingt-cinq ans, à partir de 1946, et j’ai bénéficié de sa maternité spirituelle jusqu’à la fin bienheureuse de cette staritsa, en 1971.
La moniale du grand schème Marie, dans le monde Maria Pavlovna Makovkine, dans une famille pieuse, en 1884. Dès l’enfance, elle aspira au Christ, et adolescente, elle souhaita devenir moniale. Sa sœur aînée, la moniale du grand schème Marthe (endormie dans le Seigneur à Péterbourg en 1969, à l’âge de 95 ans), mena son combat ascétique pendant trois décennies au Monastère de la Très Sainte Mère de Dieu des Ibères à Vyksa, dans le Gouvernorat de Nijni-Novgorod, monastère fondé par le Saint Moine Barnabé de la Skite de Gethsémani. Par l’intermédiaire de sa sœur, Marie devint fille spirituelle du Hiéromoine Barnabé. Depuis sa tendre enfance, elle avait reçu de Dieu le don d’une profonde humilité. Et elle n’osa pas même aller personnellement auprès du starets théophore afin de lui demander sa bénédiction pour devenir moniale ; elle demanda à sa sœur de faire la demande à sa place. En réponse, le Père Barnabé dit ceci : «C’est une jeune fille intelligente et elle vivra en ville. Et plus tard viendra le moment où Marie recevra la bénédiction la plus élevée pour recevoir la tonsure monastique le troisième jour qui suit la fête de Sainte Marie l’Égyptienne». C’est ainsi que le grand starets clairvoyant bénit Marie, à travers Matouchka Marthe, pour accomplir son exploit ascétique dans le monde.Par la suite, elle vint elle-même auprès du starets, à la Skite de Gethsémani. Il est remarquable qu’à cette occasion, le moine auxiliaire de cellule du Hiéromoine Barnabé sortit spécialement de la maisonnette pour appeler Marie qui attendait son tour, tout derrière la foule de pèlerins. Cette fois, la conversation avec Batiouchka se prolongea pendant plus de deux heures. Le Père Barnabé prédit à Marie toute la suie de sa vie. Et celle-ci se déroula selon ses paroles.
Le starets lui ordonna d’accomplir quotidiennement la règle monastique et de lire l’Acathiste à l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu des Ibères. Pour Marie, ces paroles de Batiouchka Barnabé firent loi jusqu’à la fin de sa vie. Pendant des dizaines d’années elle observa scrupuleusement tout ce qui lui avait été prescrit par son père spirituel. On sait qu’une obédience accomplie avec zèle incite le Seigneur à offrir au héros de l’ascèse les dons spirituels les plus élevés. Jusqu’au moment voulu, Marie se cachait du monde. Son authentique humilité et la Prière de Jésus la protégeaient des ennemis visibles et invisibles.
Avec la bénédiction du Père Barnabé, Marie termina des études de médecine, et elle servit les malades et les affligés. Après que le Starets de Gethsémani s’en fut allé pour l’Éternité, sa fille spirituelle dévouée continua à s’entretenir avec lui comme quand il était vivant, et implorait son intercession et son aide. Il était visible qu’il ne lui avait pas retiré sa guidance.
Pendant la Première Guerre Mondiale, Marie travailla en qualité d’assistante médicale au lazaret de la Cour à Tsarskoe Selo. Elle y travaillait en permanence et en proche collaboration avec les membres de la Famille Impériale Martyre. Son Altesse Impériale, la Souveraine Impératrice Alexandra Feodorovna et ses Augustes Filles, lorsqu’elles travaillaient au lazaret, faisaient preuve d’une exceptionnelle compassion envers les soldats blessés, et dispensaient inlassablement des soins aux défenseurs de la Patrie blessés et souffrants. C’est là aussi que Marie Pavlovna accomplit son obédience avec humilité et amour. Et elle vit de ses yeux les vertus chrétiennes élevées que le Seigneur avait accordées aux Augustes sœurs de la charité, filles du Saint Tsar Martyr, leur foi profonde et leur inclinaison à la prière. Au nom de l’amour pour le Christ et le prochain, elles œuvraient ensemble, côte à côte, suturant les plaies des officiers et des hommes de troupe.
Marie conserva jusqu’à la fin de ses jours un véritable amour chrétien envers la Famille Impériale Martyre, ainsi que de lumineux souvenir de leur collaboration, mais elle ne s’en ouvrit qu’à celles et ceux qui lui étaient les plus proches.
Après la révolution d’octobre, Marie travailla dans certaines institutions de soins de Pétrograd. Seul notre Seigneur sait quel podvig elle mena au sein de ce monde athée en furie, alors que l’Église elle-même était secouée par les schismes et désordres. Sans aucun doute, l’héroïne de l’ascèse fut soutenue par les prières de Sainte Marie l’Égyptienne, qu’elle considérait comme sa céleste protectrice.
La Providence Divine envoya Marie auprès de Hiéromoine du Grand Schème Seraphim, à la Laure Saint Alexandre Nevski. Elle avait fait sa connaissance alors qu’il était encore un pieux laïc, fils spirituel et proche du Père Barnabé. Le confesseur de la Laure accorda à Marie la protection de ses prières, et il la nourrit spirituellement pendant vingt années. Ils étaient évidemment rapprochés l’un de l’autre par le fait qu’ils avaient le même protecteur céleste, Saint Barnabé de la Skite de Gethsémani. Ils partageaient leurs souvenirs et leurs expériences. Lorsque le Père Seraphim dût quitter la Laure, elle lui rendait de constantes visites à Vyritsa, où elle recevait des leçons de vie ascétique approfondie. Seul l’être spirituel peut connaître un autre être spirituel. Dans leur relation, les deux héros de l’ascèse se comprenaient à demi-mots. Il s’agissait d’une communauté de cœurs repentants devant le Seigneur.
En 1939, Marie Pavlovna fut admise à la retraite. Elle quitta alors son logement de la Perspective Lineinaia, avec la bénédiction du Starets de Vyritsa et du Métropolite Alexis (Simanski) et s’installa au voisinage de la Cathédrale de l’Annonciation-Saint Nicolas. L’ouvrière du Christ y accomplit différentes obédiences et se consacra pleinement à la prière.
Quand la nuit du blocus s’abattit sur la ville, Marie fit montre d’une exceptionnelle force d’esprit ; sans cesse elle consolait les gens et leur remontait le moral. Pendant les tirs d’artillerie et les attaques aériennes, elle implorait en versant des larmes le grand thaumaturge et saint de Dieu Nicolas de libérer la ville et la Russie de l’invasion ennemie. Faisant fit de sa faiblesse physique causée par la faim ainsi que des attaques aériennes, Marie se rendaient constamment à pieds au cimetière de Smolensk, où elle priait avec larmes et ardeur notre Sainte Mère Xénia.
Marie vécut pendant toutes les années de la guerre aux côtés de Vladika Alexis (Simanski), qui résidait à la cathédrale en ces temps effroyables. Le futur patriarche admirait l’élévation de la vie spirituelle de Marie, et il lui arrivait même de prendre conseil auprès de celle-ci. Après le décès du Patriarche Serge, il devint locum tenens du Patriarcat et déménagea à Moscou, après avoir accordé à Marie sa bénédiction pour demeurer à la cathédrale.
Sanctifiant ses journées à des travaux à la gloire de Dieu, elle passait ses nuits dans la prière. A la moindre occasion, elle se rendait à Vyritsa, afin de puiser à la source de la grâce de nouvelles forces et expériences spirituelles. Batiouchka Seraphim se réjouit bien souvent de sa fille spirituelle car il la voyait grandir de forces en forces. Lui seul pouvait pleinement comprendre la vie intérieure de cette juste, et lui donner les sages instructions nécessaires à son inflexible croissance spirituelle. En retour, Marie vénérait le héros de l’ascèse de Vyritsa et le considéra jusqu’à son dernier jour comme le père qui lui insufflait la vie spirituelle et dont les conseils et instructions faisaient loi pour elle. C’est à travers Batiouchka que Marie apprit à souhaiter le salut de tous les êtres humains, et à travers un incessant labeur, elle conquit la paix bénie de notre Seigneur Jésus Christ. Avant de mourir, le Père Seraphim de Vyritsa bénit nombre de ses enfants spirituels pour qu’ils s’adressent à Marie et lui demandent conseils et intercession par ses prières.
La Staritsa Marie séjournait en permanence dans un état de repentir inaccessible aux regards d’autrui, dans l’humilité de cœur et la prière mentale, et elle ne pouvait plus dissimuler son élévation spirituelle aux croyants sincères. Un simple coup d’œil suffisait pour comprendre qu’elle n’était pas de ce monde. L’amour rayonnait de toutes ses paroles, de tous ses actes. Et ceux qui venaient à elle répondaient à l’amour par l’amour. Les paroissiens lui apportaient de nombreux petits présents, des friandises, de l’argent, et sans attendre elle distribuait tout aux plus nécessiteux. Et c’était le Seigneur Lui-même qui indiquait à Marie ceux auxquels cette aide était nécessaire.
Par tous les temps, canicule torride ou intempéries féroces, été comme hiver, les gens la voyaient encore et encore marcher, chaussée de pantoufles légères, vers le cimetière de Smolensk. La Bienheureuse allait chez la Bienheureuse afin de l’implorer pour ses enfants spirituels si peu raisonnables et pécheurs. Matouchka Maria nous répétait souvent : «d’aller chez Sainte Xénia la Bienheureuse, et allez-y seulement à pieds, en récitant le Notre Père, et Réjouis-Toi, Vierge Mère de Dieu…»
Nombreux furent ceux qui récoltèrent les fruits de la puissance de l’intercession de la Staritsa Marie. L’amour indéfectible de tous les fidèles et de tout le clergé de la ville lui était acquis. (A suivre)
Traduit du russe