Paroles de Batiouchka (15)

Né en avril 1937, Valerian Kretchetov, prêtre de village, est le prédicateur le plus âgé de l’Éparchie de Moscou. Fils d’un prêtre, frère d’un prêtre, l’Archimandrite Valerian est père de sept enfants, dont un prêtre, et grand-père de trente quatre petits enfants. Il fut ordonné diacre en novembre 1968, et prêtre en janvier 1969. En 1974, il succéda au Père Sergueï Orlov, comme recteur de l’église du Pokrov, au village d’Akoulovo, dans la région de Moscou. Il fréquenta les plus grands starets pendant des dizaines d’années et accomplit dix-huit séjours sur l’Athos. Une quinzaine de livres ont été édités, reprenant prédications, entretiens multiples et interventions devant des groupes très divers.

«Entretiens au Pokrov d’Akoulovo», page 46

Le livre dont l’extrait est tiré

Si le souhait de servir Dieu existe, alors, le Seigneur l’exaucera. Comment? Cela relève de Sa sainte volonté. S’Il veut que ce soit selon la voie de la famille, ce sera la famille, ou selon la voie monastique, ce sera le monastère. Mais si tu commences à réfléchir et à te dire : «Moi, je voudrais vraiment un mari. Ou une épouse. Ou, moi, je voudrais ceci, ou cela,…», alors, ce n’est plus l’affaire de Dieu! Le Seigneur sait mieux ce qui est bon pour nous. Si le mieux est que tu aies une épouse, tu en auras une. Mais pas quand tu le voudras; seulement lorsque Dieu donnera.
Il y eut parmi mes paroissiens, de nombreux hommes et femmes dignes. Il y eut un serviteur d’autel appelé Athanase. Jamais je n’ai entendu dire qu’il s’était mis en colère. Par contre, son épouse le faisait parfois. Mais lui, il ne disait pas un mot, il priait pour elle, désolé qu’elle passe tellement de temps à regarder la télévision, sans aller à l’église. Avant sa mort, il reçut secrètement la tonsure monastique et elle n’en sut rien. Mais quand il mourut, elle commença à aller à l’église, et plus tard, elle dit : «Maintenant, j’ai compris qu’il n’y a rien de meilleure que d’aller à l’église et accomplir de bonnes actions». De tels exemple, nous en connaissons beaucoup. Cette génération était extraordinaire, humble, patiente.
Traduit du russe

Le Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski) Huit Lettres d’Occident. (15)

Il ne semble pas que jusqu’à présent, les huit Lettres d’Occident, écrites par le Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski) aient été traduites en français. Ces huit lettres, éditées pour la première fois en 1915, sont incluses dans les Œuvres en trois volumes du Saint Hiéromartyr, au tome 3, pp 396 à 458. (Священномученик Иларион (Троицкий). Творения в 3 томах. -épuisé-), Moscou, 2004, Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre. Le texte de ces huit lettres fut également publié sur le site Pravoslavie.ru, entre le 16 et le 22 mai 2006. Ces écrits, qui ne relèvent pas d’une démarche académique, plongent le lecteur avec animation et profondeur dans l’atmosphère spirituelle, philosophique, culturelle et sociopolitique du début du XXe siècle; c’est en 1912 que l’Archimandrite Hilarion (Troïtski) effectua un périple dans les grandes villes d’Europe. La troisième lettre présente le contraste, irréductible, semble-t-il, entre l’église en Occident et l’église en Russie Orthodoxe. Voici la fin de la septième lettre. Le début de celle-ci et les précédentes lettres se trouvent ici.
[L’auteur, en voyage sur le Rhin, poursuit le récit de sa rencontre avec un jeune prêtre catholique bavarois. N.d.T.] Lorsqu’il eût terminé l’université, il s’avéra impossible d’obtenir immédiatement une place dans une paroisse de village. Ceux qui souhaitaient recevoir l’ordination devaient, pendant trois ans, résider auprès de l’évêque du lieu, participer aux offices, prêcher et remplir diverses tâches pastorales. L’évêque était personnellement en contact avec les jeunes pasteurs, et choisissait lui-même, après un certain temps, qui parmi eux conviendrait le mieux à quelle paroisse. Les prêtres de paroisse reçoivent un salaire, pas très élevé, de l’État. Les célibataires ont évidemment des besoins beaucoup plus limités que les chefs de famille. Chaque jour, le prêtre de village célèbre une courte messe sans homélie. Cette messe quotidienne dure une demi-heure et une quinzaine de paroissiens y assistent. Les jours de fête, une homélie est prononcée pendant la messe. Oui, mon Ami, le prêtre célibataire vit en quelque sorte plus fort les intérêts de sa paroisse, car ses propres intérêts dans la vie quotidienne sont peu nombreux. J’ai toujours pensé que les obligation sociales et familiales de notre clergé interfèrent beaucoup avec sa vie et ses activités ecclésiastiques. Le célibat des prêtres catholique est un extrême. Les Canons de l’Église permettent au prêtre de choisir la vie maritale ou le célibat. L’obligation de la vie maritale pour le prêtre est également, à mon avis, un extrême, et les extrêmes ne sont guère utiles. Meilleure sera la famille, au plus elle engendrera l’égoïsme, alors que la prêtrise est par essence le renoncement à soi. Et il est incomparablement plus facile de renoncer à soi-même qu’à sa famille. Quoi qu’il en soit, je ne trouve donc guère d’accord avec Toi en cette matière, mon Ami!
Mon voyage sur le Rhin se termina à Cologne. De loin encore, la cathédrale de Cologne attira mon regard. Je t’ai déjà écrit à son sujet, mon cher Ami. Parmi mes impressions de Cologne, je me souviens d’un solennel office du soir à la Jacobskirche, et surtout de l’homélie prononcée à la fin. Un artiste en son genre se hissa dans la chaire, au-dessus de la foule des fidèles. L’homélie en soi ne présentait rien de particulièrement remarquable, mais le discours était grandiloquent et prononcé avec tout l’art de l’éloquence. Comme ce prédicateur maîtrisait sa voix, comme il paraissait convaincu de lui-même, dans la chaire, quelles mimiques expressives, quelle gesticulation! Il parla de l’amour du Christ pour le monde. Quand vers la fin de son homélie, le prédicateur commença à décrire l’ingratitude du monde, qui par ses péchés crucifiait le Christ une seconde fois, des larmes apparurent aux yeux des auditeurs. Mais la fin elle-même de l’homélie m’étonna vraiment. Le prédicateur se lança dans des plaisanteries relativement stupides et des anecdotes variées. Dans l’église, les éclats de rire remplacèrent les larmes aux yeux. Ayant déridé les fidèles, le prédicateur descendit de la chaire. Ce que j’avais vu me sembla incroyable. De quoi s’agissait-il ? Pourquoi cet appendice sous forme de plaisanteries ? Pour que les auditeurs ne pas rentrent pas chez eux l’humeur triste ? C’est dans les théâtres qu’on agit de la sorte. Après un drame pesant intervient un frivole vaudeville. Mais observer cela dans une église m’a semblé très étrange.
Le matin suivant, le train m’emmenait à toute vitesse loin de Cologne et du Rhin. Mais plus tard, je suis encore allé tout spécialement, mon Ami, observer, les célèbres cascades du Rhin, dans sa partie en amont. En chemin depuis Zurich vers Schaffhausen, un peu avant dette destination, j’ai vu par la fenêtre du wagon, dévaler la masse de ces eaux rugissantes et écumeuses. Le train fit arrêt à Neuhausen, et je me dirigeai alors vers les chutes d’eau, un tableau naturel majestueux et formidable ! La rivière, déjà assez large dévalait avec tumulte et fracas, et du côté de la rive gauche, elle tombait même à la verticale. La rivière en devenait toute blanche. Loin en aval de la cascade, la rivière bouillonne et est agitée de remous. Je aurais voulu contempler le tableau sauvage de la cascade dans son environnement sauvage. Je m’imaginais l’époque où tout les alentours étaient déserts et sans vie : il n’y avait ni route ni ville bien ordonnée. En ce temps-là, ces chutes d’eau devaient être un peu différentes, et sans aucun doute, encore plus grandioses et fracassantes. J’ai passé plusieurs heures auprès de cette cascade bouillonnante.

Les Chutes du Rhin, et le château de Lauffen

Chemin faisant, j’avais appris que j’arrivais à point nommé car c’était en ces jours précisément que le soir des jeux de lumière donnaient aux chutes d’eau un éclairage merveilleux. Le crépuscule tomba. Le tableau des chutes d’eau devenait de plus en plus effrayant. Tous les détails de la cascade s’effacèrent, et c’était comme si des bêtes sauvages affamées et furieuses rugissaient dans la pénombre! Pareils tableaux de la nature font en quelque sorte reculer la conscience et on se retrouve plongé dans une mer des bruit et on est transporté par la pleine puissance de ses vagues vigoureuses. Il était dix heures du soir déjà, lorsque du château de Lauffen, juché sur les hautes falaises couvertes de forêts sur la rive gauche du fleuve, fila une fusée éclairante, qui trancha l’obscurité de la nuit. Et soudain, de la rive opposée, une main invisible dirigea un puissant projecteur électrique sur le précipice de la cascade. Imagine, mon Ami, les masses noirs et élevées des massifs montagneux et les chutes d’eaux sur lesquelles était concentrée une lumière éclatante qui les blanchissait de ses rayons ; les éclaboussures scintillaient et jouaient avec la lumière. Et puis soudain, l’obscurité retombe sur la cascade et seul le château est illuminé par le projecteur dirigé sur lui. Et puis, le rayon de lumière revient sur les chutes d’eau, et brusquement, celles-ci bleuissent et toute leur masse est bleue. Ensuite, moitié bleue et moitié rouge.Et puis, entièrement rouge. Et quelques minutes plus tard, un feu d’artifice éclate. Une pluie de pétards tombe du château. Des bandes de feu descendent du ciel jusqu’à la cascade, où elles se dispersent en boules colorées. Des pétards éclatent en haut de la petite falaise qui posée depuis des siècles au milieu de la rivière, jusqu’en haut des chutes. Ce spectacle captive toute l’attention, mais il ne dure guère, peut-être quinze ou vingt minutes, mais pendant ces minutes, pour le spectateur, le monde entier cesse d’exister, toute l’âme est emplie de cette sans pareille, un tableau surprenant remplaçant l’autre sans relâche. J’étais assis tout ce temps face à la cascade, assis comme dans un rêve fantastique. Jamais je n’oublierai ce spectacle!
Finalement, tout s’éteignit. Et immédiatement, tout devint inintéressant, comme si d’un monde secret des songes et des visions, on était transporté dans la vie quotidienne ennuyeuse, froide, et l’obscurité de la nuit au bord du fleuve sembla très peu accueillante. Les Allemands prévoyants avaient installé un petit train électrique qui nous conduisit à notre hébergement à Schaffhausen. A priori, cela semblait étonnant qu’un tel spectacle fût gratuit, mais il s’avéra rapidement que les habitants des lieux n’étaient pas perdants. Rares sont les touristes qui n’effectueront pas la centaine de verstes nécessaire pour venir admirer le spectacle réellement étonnant des chutes du Rhin. Les illuminations nocturnes forcent les touristes à passer la nuit quelque part à proximité, y séjournant quasiment vingt-quatre heures, y dépensant de l’argent, et pas un peu, qui passe ainsi des poches des visiteurs à celles des habitants de la ville où personne n’irait se perdre, si les chutes du Rhin ne se trouvaient en son voisinage. Ces chutes se trouvent en Suisse. Et en Suisse, à chaque pas, tu remarques comment ce pays fait du commerce avec la beauté de ses superbes montagnes, de ses lacs merveilleux et de ses étonnantes chutes d’eau. Partout, le voyageur est transporté confortablement, partout, il est nourri, abreuvé et logé, emmené auprès des neiges éternelles, jusque tout en haut, dans les nuages. Et au même au sommet de la Junfrau, jusqu’où ils sont parvenus il y a peu, avec grandes difficultés, à construire une route, le touriste peut trouver des commerces. Tout le pays est transformé en une sorte d’hôtel dans lequel tout est arrangé au goût des hôtes fortunés. Les touristes les plus riches, ce sont les Anglais et on trouve donc des hôtels arrangés à l’anglaise, avec du personnel anglais sur les berges du Lac des Quatre Cantons! Par nature, le Russe n’est pas disposé à payer pour les beautés de la nature. Des beautés naturelles, il y en a chez nous aussi! Mais essaie toujours d’y arriver! Par exemple au Caucase! Il faut se préparer à affronter avec détermination les dangers et les privations. Les Européens exploitent toutes les particularités de chaque endroit, les transformant en chiffre d’affaire et en tirant profit. Et tu finis par payer volontiers et même par éprouver de la reconnaissance envers le commerçant qui t’a aidé lors de ton voyage, te procurant commodités et services.
Le lendemain, sous une pluie battante, la bourrasque et un temps exécrable, j’ai navigué sur un vilain petit bateau-vapeur, sur le Rhin Supérieur, jusqu’au Lac de Constance. J’avais l’impression que la veille au soir, j’avais vécu un rêve, car maintenant, tout semblait inintéressant et inhospitalier. (A suivre)
Traduit du russe.

Kondrat en or. Croquis de Pioukhtitsa

L’Archiprêtre Oleg Vrona

Le site Pravoslavie.ru a publié fin 2019 et début 2020 une série de quelques textes portant le sous-titre de ‘Croquis de Pioukhtitsa’, écrits par l’Archiprêtre Oleg Vrona, né en Sibérie orientale, jadis diacre à Pioukhtitsa, et aujourd’hui recteur de l’église Saint Nicolas à Tallinn. Ces textes, à première vue peu spectaculaires, sans doute, proposent quelques pages de la vie spirituelle dans ce célèbre monastère, situé à la frontière de l’Estonie, mais aussi des portraits de certains «justes» qui y séjournèrent. Le présent texte, préparé par Stepan Ignachev, a été publié en russe le 31 janvier 2020.

Photo : Pravoslavie.ru

Il portait le prénom de Kondrat, relativement rare à l’époque, et il était un bricoleur hors pair, il avait des mains en or. Il était de taille imposante, avec de grands bras, un visage allongé et le nez camus. Ses dents aussi étaient grandes, mais deux petites couronnes de métal jaune brillaient à la place des incisives. Ses chaussures, à cause de leur taille démesurée, ressemblaient plus à des skis courts qu’à des bottines normales. Read more

Paroles de Batiouchka (14)

Né en avril 1937, Valerian Kretchetov, prêtre de village, est le prédicateur le plus âgé de l’Éparchie de Moscou. Fils d’un prêtre, frère d’un prêtre, l’Archimandrite Valerian est père de sept enfants, dont un prêtre, et grand-père de trente quatre petits enfants. Il fut ordonné diacre en novembre 1968, et prêtre en janvier 1969. En 1974, il succéda au Père Sergueï Orlov, comme recteur de l’église du Pokrov, au village d’Akoulovo, dans la région de Moscou. Il fréquenta les plus grands starets pendant des dizaines d’années et accomplit dix-huit séjours sur l’Athos. Une quinzaine de livres ont été édités, reprenant prédications, entretiens multiples et interventions devant des groupes très divers.

«Entretiens au Pokrov d’Akoulovo», page 42

Le livre dont l’extrait est tiré

… seule la foi donne un regard large sur la vie. L’absence de foi contracte le regard. Quant à la science, elle fixe des œillères : cela, ça n’existe pas, seul ceci existe. En outre, les conclusions du genre de «la science a prouvé que cela ne peut être», elles sont absurdes, car la science peut seulement dire : «Voilà, ça, je le sais, et au-delà de ça, je ne sais pas». J’ai parlé de cette situation aux enfants, je la leur ai expliquée.

Le Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski) Huit Lettres d’Occident. (14)

Il ne semble pas que jusqu’à présent, les huit Lettres d’Occident, écrites par le Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski) aient été traduites en français. Ces huit lettres, éditées pour la première fois en 1915, sont incluses dans les Œuvres en trois volumes du Saint Hiéromartyr, au tome 3, pp 396 à 458. (Священномученик Иларион (Троицкий). Творения в 3 томах. -épuisé-), Moscou, 2004, Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre. Le texte de ces huit lettres fut également publié sur le site Pravoslavie.ru, entre le 16 et le 22 mai 2006. Ces écrits, qui ne relèvent pas d’une démarche académique, plongent le lecteur avec animation et profondeur dans l’atmosphère spirituelle, philosophique, culturelle et sociopolitique du début du XXe siècle; c’est en 1912 que l’Archimandrite Hilarion (Troïtski) effectua un périple dans les grandes villes d’Europe. La troisième lettre présente le contraste, irréductible, semble-t-il, entre l’église en Occident et l’église en Russie Orthodoxe. Voici la suite de la septième lettre. Les précédentes lettres se trouvent ici.
L’ironie parfois féroce du texte ci-dessous pourrait paraître aujourd’hui désobligeante envers les Allemands, mais il convient de se souvenir que cette «lettre» fut rédigée à une époque où les relations entre l’Empire de Russie et l’Empire allemand étaient extrêmement dégradées, la Première Guerre mondiale venant de débuter par l’agression germanique envers le peuple Serbe. C’est à cette époque que Saint-Pétersbourg fut renommée «Petrograd» sur décision du Saint Tsar Nicolas II qui estimait que l’origine allemande du nom «Sankt-Peterburg» rendait cette appellation incompatible avec l’état des relations entre la Russie et l’Empire allemand.

Du reste, il arrivait au  Saint Hieromartyr Hilarion de se montrer tout aussi féroce vis-à-vis des défauts des Russes.

Ils sont beaux, les rivages rhénans, mais la culture européenne combat la beauté ici également, introduisant son esprit mercantile. Bien souvent, les monts qui côtoient le Rhin sont couverts de vignes , du bord de l’eau jusqu’à leur sommet, et ils perdent ainsi leur beauté originelle. Les aspérités sont nivelées, tout est lissé, et on fabrique des bandes vertes toutes identiques. Telles des oasis, épaves de la beauté d’antan au milieu d’une uniformité artificielle se dressent les ruines des châteaux, comme celles du château d’Herrenfels. Mais bien sûr, cela correspond à une image; celle de l’Allemand qui navigue vers l’aval du Rhin en buvant le vin du Rhin!

Constantin Sergueevitch Aksakov

Quand on observe les passagers, on remarque la particularité du public allemand. En Europe, mon Ami, en fait, on ne voit pas de peuples, on rencontre un public. Là-bas n’existe pas notre distinction entre peuple et public, celle dont a si joliment et si précisément écrit C.S. Aksakov. Toi, mon Ami, Tu Te souviens évidemment de la comparaison entre peuple et public. Le célèbre slavophile se tenait résolument du côtés du peuple, parce que chez nous, le public est plus respecté que le peuple, orthodoxe, car le public danse, alors que le peuple, il prie. Il me semble que les voyages (de même que la promenade, au sujet de laquelle, mon Ami, je t’ai écrit la fois dernière), c’est l’affaire du public, et non du peuple. Qu’y faire? Bien qu’avec Aksakov, j’aie plus de sympathie pour le peuple que pour le public, j’aime toutefois beaucoup voyager. Mais le peuple ne voyage pas pour aller voir des terres étrangères et découvrir les beautés de la nature à l’étranger. Souviens-Toi, mon Ami, je t’ai écrit, voici peu de temps, une lettre enthousiaste depuis la Volga et la Kama, déplorant que Tu ne T’y trouves pas avec moi! Mais j’ai pu constater alors l’indifférence du peuple envers leurs belles rives. Il est assis dans le bateau-vapeur, tournant le dos au rivage, et leur visage se tourne vers-celui-ci seulement lorsqu’il s’agit de descendre quelque chose dans l’eau, comme par exemple, pour rincer une théière. L’âme du peuple est sensible à la beauté de la nature, mais sa relation à la beauté de la nature n’est pas esthétique mais religieuse : il est en effet enthousiasmé par la beauté du monde de Dieu, de la création divine. Il n’a pas besoin des beautés stupéfiante ; pour lui, Dieu est grand dans les brins d’herbes qui poussent de terre. J’ai très fréquemment rencontré cet enthousiasme pour les créatures de Dieu chez les gens simples du peuples devenus moines.Chez nous le monastère réunit en effet ce qu’il y a de plus sensible, de plus tendre, de plus enthousiaste et de plus profond dans la masse du peuple russe.

Saint Hilarion (Troïtski)

Sur le Rhin, j’ai vu le public allemand en voyage. Tu ne peux t’imaginer, mon Ami, comme le voyage est chose développée chez le Allemands! Quasi chaque Allemand économise quelque dizaines de marks pour, l’été venu, emmener son Allemande voyages sur le Rhin, visiter la Suisse de Saxe, ou se promener à la montagne. On rencontrer des touristes allemands partout. Les Allemands possèdent toute une science du voyage. Et tout, de nouveau, est cadré dans un un schéma modèle. J’ai souvent sourit à la vue des Allemands en voyage. Ils sont cocasses dans leur obtuse autosatisfaction. Quand il voyage, l’Allemand porte inévitablement un costume adapté au voyage. Dans les villes, il existes des magasins spécialisés dans les équipements pour touristes. Quand le touriste part en montagne, la comédie commence dans la plaine. Il chausse d’épaisses chaussures en cuir solide, munies de pointes en fer sur les semelles. En dessous, il porte des bas épais qui lui montent jusqu’au-dessus du genoux. Sur son dos, il porte un sac, et toute la silhouette est couverte d’une cape. En main, il tient un long bâton avec un bout métallique pointu. On a ainsi l’impression que ce touriste part au Pôle Nord ou au sommet du Mont Blanc. Quelle vision pénétrée d’importance! Il exprime de la sorte ceci : «Voyez, je pars en voyage. De grands dangers m’attendent, mais je les surmonterai tous!». Je pense plutôt que l’Allemand voyage par mesure d’hygiène, pour s’endurcir, faire fondre sa graisse, activer sa circulation sanguine, s’ouvrir l’appétit et provoquer un profond sommeil. Les plaisirs procurés par les beautés de la nature sont également importantes pour lui, entre autres, parce qu’elles lui facilitent la digestion. Un membre de ma famille, grand voyageur, se moquait avec férocité de la manière allemande de voyager. «Chez les Allemands, disait-il, au sommet des montagnes, vous trouvez des écriteaux portant la mention : «Il faut s’arrêter ici et admirer la vue à droite», «Ici, vous devez exprimer bien fort votre ravissement», etc…». L’Allemand voyage de manière à ne pas dépenser vainement les marks qu’il a économisés. Il s’évertue à ne manquer aucun point de vue ni aucune curiosité. Le touriste allemand tient toujours un guide en main. Et ce serait pour l’Allemand un malheur que ne pas aller voir un endroit mentionné dans ledit guide. Évidemment! Ne pas aller voir une chose que son argent lui permet de voir! Cet argent serait gaspillé!

Saint Hilarion

Ainsi donc, mon Ami, l’Allemand et le Russe voyagent différemment. C’est la grandeur de la nature du Russe qui le pousse à voyager, à embrasser et étreindre le plus de choses qu’il peut. L’Allemand en voyage est méticuleux, calculateur et ennuyeux.
Pendant mon voyage en bateau sur le Rhin, mon attention fut attirée par un prêtre catholique. Je vis son visage glabre et sa soutane. Je pensai : ne serait-ce pas là un étudiant catholique? J’allai m’asseoir à côté de ce compagnon de voyage et engageai la conversation. Il s’avéra qu’il n’était pas étudiant, mais prêtre d’une paroisse de village en Bavière, c’est-à-dire, un personnage d’autant plus intéressant. Malgré que ce compagnon ne se distinguât pas par sa loquacité, longuement, nous conversâmes à propos de questions variées et nous déjeunâmes même ensemble (pardon Seigneur!). Il avait terminé l’Université à Munich mais, apparemment, il avait rompu avec la science dès la fin de son cursus académique. Il s’avéra que je n’étais pas moins familier qu’un prêtre de village bavarois avec les ouvrages de théologie allemande. Je n’ai pas non plus aperçu une intelligence ni une éducation particulière dans le chef de mon interlocuteur. Ce qui m’intéressa, ce furent ses récits des affaires ecclésiastiques, de la vie et des activités du clergé catholique. (A suivre)
Traduit du russe

Souvenirs de l’Higoumène Barbara au sujet de Saint Seraphim de Vyritsa.

L’original du texte ci-dessous fut publié le 3 avril 2017 sur la page du réseau social «Live Journal» de l’Archiprêtre Guennadi Belovolov, Recteur de la Paroisse des Saints Pierre et Paul de Somino, et fondateur-conservateur de l’appartement-mémorial de Saint Jean de Kronstadt, à Kronstadt. Dans ce texte, le Père Guennadi rapporte des souvenirs de l’Higoumène Barbara du Monastère de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu, à Pioukhtitsa, au sujet de Saint Seraphim de Vyritsa. C’est aujourd’hui, le 21 mars / 03 avril qu’est célébrée la mémoire de Saint Seraphim, l’intercesseur et thaumaturge de Vyritsa.

… Arriva l’an 1947. Notre famille revenait tout juste d’évacuation. Je vivais avec mes parents à Louga. Maintes fois nous avons parlé du grand Starets et puissant intercesseur, le Père Seraphim de Vyritsa, quand nous étions à Louga. J’avais tellement envie d’aller le voir!
A la première occasion, je me mis en chemin. C’était dans les premiers jours de juin. Sur les arbres, les petites feuilles commençaient seulement à se déployer. Je n’avais pas encore dix-sept ans. Je rejoignis Saint-Pétersbourg, et de là, la gare de Vyritsa. Dans quelle direction devais-je aller? Je n’en avais pas la moindre idée. Je demandai «Où vit donc Batiouchka Seraphim, chez vous?». «Marchez tout droit. Vous verrez l’église de la Mère de Dieu de Kazan. Sa petite maison n’en est pas très éloignée», me répondit-on. Je marchai. J’arrivai devant l’église en rondins; un petit cimetière la jouxtait. Je trouvai la petite maison, bordée d’une vaste véranda. Je frappai à la porte et entrai. Beaucoup de monde était déjà là. «C’est ici que vit Batiouchka Seraphim?», m’enquis-je. «C’est ici, mais il ne reçoit personne. Lisez!» Sur la porte était affichée une annonce : «Batiouchka est souffrant. Il est demandé de ne pas le déranger et de ne pas frapper à la porte». C’était deux ans avant le décès de Batiouchka. Read more