Le texte ci-dessous est la traduction d’un original russe publié le 1er novembre 2018 sur Pravoslavie.ru : un entretien de Pëtr Davydov avec l’Higoumène Dovmont Beliaev, Recteur de l’église de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu, à la Forteresse d’Ivangorod, dans la région de Pskov. Cet entretien aborde certaines raisons des troubles intérieurs de l’homme, l’utilité de ceux-ci dans le processus d’élimination de la vanité, ainsi que l’attitude à adopter vis-à-vis d’eux et la nécessité d’être calme et patient envers ceux qui nous sont désagréables, car tout ce que nous ne savons pas n’est pas forcément mauvais. Cette première partie illustre entre autres les pièges de l’ennemi.
Batiouchka, pourquoi y a-t-il dans l’Église terrestre des passions mondaines si abjectes? Et pourquoi sont-elles ressenties plus douloureusement dans l’Église que dans le monde? Et surtout, comme lutter contre elles? Que faire?
La raison en est que l’Église est un organisme divino-humain : Dieu Lui-même, notre Seigneur Jésus Christ, en est la tête, mais elle est formée par les gens, par ceux qui vivent, par des pécheurs qui se repentent…Précisément, ceux qui se repentent…
Le repentir ne survient pas directement : on est en chemin… Souvenez-vous du film «L’Île». L’économe Dioujev y intervient. Il dit «Tu crois que je ne connais pas mes péchés?». Mais prendre conscience de nos péchés est une chose, et c’en est une autre que de surmonter nos propensions, vaincre les péchés, en intégrer la prise de conscience et la rendre active; ce sont deux choses différentes. Voilà pourquoi les saints ont accueilli chaque homme avec compassion. Je me souviens de la confession chez Batiouchka Nicolas Goulianov : Tu avais l’impression qu’il était avec toi comme avec un petit enfant. C’est comme quand un bébé fait dans son lange. Ses parents le lavent, le changent, et il peut retourner jouer. Les startsy agissent de même avec nos péchés : ils ne te jugent pas parce que tu es tombé, parce que tu as trébuché. Ils t’aident à te relever, à te laver. Et ils te consolent. Après t’être entretenu avec l’un d’eux, tu voles comme si tu avais des ailes, rempli d’enthousiasme. Ils aident à soigner et éliminer les plaies qui existaient.
Vous parlez des péchés, du repentir que nous les Orthodoxes y apportons, et du fait que les startsy, pour qui nous serions comme des enfants, prient avec nous. Mais il arrive que nous rencontrions ceux qui placent ouvertement des obstacles, qui calomnient, qui salissent, et tout cela, soi-disant au nom de l’Église, ces gens se dissimulant derrière l’autorité ecclésiastique. Comment combattre cela?
Combattre… Que signifie «combattre»? Le principal «combattant» que nous connaissions est lucifer, qui appela à combattre, à changer, à réformer. A ce sujet existe fait intéressant : l’odieuse Madame Clinton, qui aspirait à occuper le poste de Président des États-Unis, consacra, à la fin de son cursus universitaire, son mémoire de fin d’études à … lucifer, «comme l’un des premiers combattants pour la démocratie et la liberté».
Pourquoi le Seigneur permet-Il tout cela, et je parle maintenant de ces situations affligeantes à l’intérieur de l’Église? Parce que, je pense, nous sommes, «comme les pierres vivantes qui forment elles-mêmes la maison de Dieu», comme le dit la Sainte Écriture. Le bienheureux Augustin développe cette idée dans son traité sur «la Cité de Dieu» : chaque pierre doit être travaillée. Et donc, le Seigneur façonne chacun d’entre nous à travers la patience, à travers l’humilité, et aussi à travers les afflictions. Et à cause de nos péchés ce choses se produisent dans notre Église. Mais grâce à la patience, à l’endurance, ces tentations, ces afflictions, ces soi-disant offenses (parce qu’un vrai Chrétien ne devrait pas se sentir offensé par quelqu’un car il est évident que derrière celui qui offense se cache le cornu;ce n’est pas le fait de l’homme), nous devons, conformément au plan de Dieu, être de dignes pierres vivantes. Vous savez, ‘offenser’, ‘se venger’, ‘se mettre en colère’, tout cela n’est pas «notre méthode». L’homme commet ces saletés non parce qu’il serait lui-même mauvais, mais parce qu’il ne comprend pas qu’à travers lui, c’est le démon qui agit.
Cela signifie que dans notre comportement envers ceux qui nous mettent des bâtons dans les roues tout en prétendant agir au nom de l’Église, nous devons tenir compte de notre peccaminosité commune?
Mais évidemment! Souvenons-nous de nos grands héros de l’ascèse, auxquels ne ne ressemblons plus en rien. Par exemple Saint Siméon le Nouveau Théologien. Qui lui occasionna les plus grands malheurs et les plus grandes afflictions? Ceux qui étaient au Patriarcat. C’étaient des métropolites, des gens revêtus d’un pouvoir important. Et ils cherchaient chez lui des prétextes auxquels ils pourraient s’accrocher pour l’éteindre, comme on dit, pour l’envoyer n’importe où, très loin. Et il en fut de même avec Saint Jean Chrysostome. Et Saint Nectaire d’Égine. Et Saint Seraphim de Sarov… Vous imaginez qu’alors tout était calme et paisible? De qui eurent-ils à subir les plus fortes attaques? De ceux qui étaient à leurs côtés, de leurs frères.
C’est pourquoi, il ne faut pas accorder d’importance à celui qui t’humilie. Ce qu’il est nécessaire de comprendre, c’est que le Seigneur met de la sorte à l’épreuve ma foi, ma fidélité. C’est ce que disaient les saints eux-mêmes lorsqu’ils consolaient. Par exemple Saint Jean de Kronstadt. Souvent, la pensée suivante lui venait à l’esprit : «Ne pense pas à ce que te disent les gens, pense à ce que le Seigneur et Ses Saints Anges disent à ton sujet». Fais ce qu’il faut et advienne que pourra, dit-on chez les laïcs. Si ta conscience ne te condamne pas, si tu n’as rien fait de mal, qu’ils disent ce qu’ils veulent à ton sujet, qu’ils déversent des saletés, des calomnies, c’est leur affaire. C’est leur choix. Mais si tu te mets à leur niveau (en même temps, il ne s’agit pas de leur niveau, mais celui des démons car leur propre comportement ne peut que leur occasionner de la souffrance), cela signifie que ne ne remplis pas les commandements du Christ : si on te frappe sur une joue, tends l’autre. Et si je considère que je suis un Orthodoxe, alors je n’agirai pas comme on a agit envers moi. Si on a commis des vilenies à mon égard, je ne répondrai pas par des vilenies. Le Christianisme, c’est ça. Batiouchka Nicolas Gourianov disait ceci : «Quand d’aucuns t’offensent, prie pour eux, réjouis-toi de pouvoir souffrir à cause du Christ. Même si tu voudrais prendre un bâton pour répliquer».
Oui, mais il tellement difficile d’agir ainsi!
Évidemment, c’est difficile. On ne peut pas aller contre les évêques. Batiouchka Nicolas me disait toujours que l’évêque, c’est l’Église, et celui qui va contre l’évêque va contre l’Église. Il a dit cela très clairement; c’est cette expression qu’il a utilisée, je m’en souviens. Et je m’en souviendrai toute ma vie. Et je me suis convaincu de ce que quelle que soit à première vue l’agissement de l’évêque, peut-être n’était-il pas de très bonne humeur, c’est le Seigneur qui agit à travers lui. Dans un précédent entretien, vous avez cité Leskov et les mots de la propriétaire au prêtre indigne : «Je m’incline devant toi, non pas devant l’homme, mais devant le rang que tu occupes». Il en va de même ici : peut-être me déteste-t-il en tant qu’homme, peut-être éprouve-t-il de l’aversion envers moi, mais dans la mesure où le Seigneur dirige à travers lui, il fait ce que veut le Seigneur.
Est-ce que cela ne sent pas le papisme?
Non, je ne pense pas. Le papisme, c’est autre chose. C’est la surestimation de sa propre importance, quand l’évêque considère être la tête de tous les chrétiens sur terre, l’évêque de tous les chrétiens. LE vicaire du Christ. Alors que la conception orthodoxe de l’évêque fait de celui-ci le dirigeant d’une communauté déterminée. Dans les temps anciens, il existait des chorévêques, pour les communautés rurales. Dans ces temps jadis, évêques et prêtres, c’était fondamentalement la même chose.
Il est bien sûr difficile de tolérer les injustices, comme, par exemple, quand tu vois qu’on fouine dans tes affaires, dans ton courrier, qu’on répand des rumeurs…
Mais la vénération raisonnable de son rang ne signifie tout de même pas que je doive considérer que tout supérieur est sans péché comme les habitants des cieux, et lui adresser des prières ?
Non, bien entendu. Par contre, prier pour lui, c’est nécessaire. Et ne le considérer aucunement comme un ennemi. Mais plutôt comme l’instrument qui façonne la pierre. Voici ce qui peut se passer : l’higoumène commence à ne plus faire confiance aux frères. Ils se met à les regarder comme des sortes d’ennemis. Il lui vient la pensée qu’ils sont occupés à manigancer contre lui, à comploter, etc… Il s’agit en fait d’une suggestion satanique, car notre ennemi primordial, c’est le diable. Le moine doit se souvenir de cela.
Et pas seulement le moine, sans doute.
Effectivement, tout Chrétien doit s’en souvenir. Et il est vrai que souvent, nous l’oublions et nous reportons tout sur la personne, alors que cela vient de satan. Ainsi, nous ne le combattons pas, nous combattons les gens. Il s’agit de piège fondamental. Si tu avances dans cette direction, alors si tu es moine, tu peux quitter le monastère, et si tu es laïcs, tu peux commettre des crimes. Des saints pères athonites se souviennent d’un cas au cours desquels des moines se jetèrent sur leur higoumène avec des couteaux afin de le tuer. Ils étaient si puissamment convaincus qu’ils avaient raison, que l’higoumène était une telle ordure, qu’ils devaient le tuer. (A suivre)
Traduit du russe