L’original du texte ci-dessous fut publié le 3 avril 2017 sur la page du réseau social «Live Journal» de l’Archiprêtre Guennadi Belovolov, Recteur de la Paroisse des Saints Pierre et Paul de Somino, et fondateur-conservateur de l’appartement-mémorial de Saint Jean de Kronstadt, à Kronstadt. Dans ce texte, le Père Guennadi rapporte des souvenirs de l’Higoumène Barbara du Monastère de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu, à Pioukhtitsa, au sujet de Saint Seraphim de Vyritsa. C’est aujourd’hui, le 21 mars / 03 avril qu’est célébrée la mémoire de Saint Seraphim, l’intercesseur et thaumaturge de Vyritsa.
… Arriva l’an 1947. Notre famille revenait tout juste d’évacuation. Je vivais avec mes parents à Louga. Maintes fois nous avons parlé du grand Starets et puissant intercesseur, le Père Seraphim de Vyritsa, quand nous étions à Louga. J’avais tellement envie d’aller le voir!
A la première occasion, je me mis en chemin. C’était dans les premiers jours de juin. Sur les arbres, les petites feuilles commençaient seulement à se déployer. Je n’avais pas encore dix-sept ans. Je rejoignis Saint-Pétersbourg, et de là, la gare de Vyritsa. Dans quelle direction devais-je aller? Je n’en avais pas la moindre idée. Je demandai «Où vit donc Batiouchka Seraphim, chez vous?». «Marchez tout droit. Vous verrez l’église de la Mère de Dieu de Kazan. Sa petite maison n’en est pas très éloignée», me répondit-on. Je marchai. J’arrivai devant l’église en rondins; un petit cimetière la jouxtait. Je trouvai la petite maison, bordée d’une vaste véranda. Je frappai à la porte et entrai. Beaucoup de monde était déjà là. «C’est ici que vit Batiouchka Seraphim?», m’enquis-je. «C’est ici, mais il ne reçoit personne. Lisez!» Sur la porte était affichée une annonce : «Batiouchka est souffrant. Il est demandé de ne pas le déranger et de ne pas frapper à la porte». C’était deux ans avant le décès de Batiouchka.Je me tenais là, debout, et je pensai : «Ainsi, je vais devoir m’en aller? Et je ne verrai par Batiouchka...». Je demeurai plantée là, ne voulant ni partir, ni déranger Batiouchka. «Ma petite, nous attendons, assis ici depuis ce matin. Parfois, nous recevons une réponse sur un bout de papier, mais nous, nous sommes d’ici», me dirent les babouchkas. J’étais plongée dans la plus grande perplexité. «Très Sainte Mère de Dieu, aide-moi, fais quelque chose… Personne d’autre que la Très Sainte Mère de Dieu…» Soudain la porte s’ouvrit.
Une moniale apparut et demanda : «Qui, ici, vient de Louga?». Je pensai «Qui ici vient de Louga?» J’étais décontenancée. Tout le monde me regardait. «Moi, je viens de Louga», dis-je. «Batiouchka a dit : ‘faites entrer la jeune fille de Louga’» «Entrez donc, mademoiselle, allons-y, Batiouchka Vous demande!» me commanda avec douceur la moniale. Par la suite, celle-ci devint moniale du grand schème au Monastère Saint Seraphim de Pioukhtitsa. Devenue entre-temps supérieure de la communauté, je l’y inhumai en 1974. Souvent, nous nous souvenions avec amour de Batiouchka et de cette première rencontre.
… Nous avançâmes le long d’un corridor. La pièce d’angle était la cellule de Batiouchka, avec des fenêtres donnant sur le jardin. En y pénétrant on voyait à droite, le beau et saint coin des icônes. Et dans le coin gauche se trouvait le lit de Batiouchka. Il y était allongé, sur des coussins et oreillers. A côté du lit était posée une couverture. La moniale me dit : «Avancez et agenouillez-vous sur la couverture, afin que Batiouchka vous entende». J’avançai et me mis à genoux sur la couverture. Je regardai Batiouchka. Il était si lumineux, les joues creuses, les yeux gris, pénétrants, et son visage… Ce n’était pas un visage humain, c’était un visage d’icône! Il portait sa skoufa ornée d’une croix et des signes du schème, son grand schème et sa croix pectorale. J’ouvris la bouche, mais je ne parvenais à articuler aucun son. Je regardais et regardais… Et lui me regardait de son regard pénétrant. Batiouchka rompit le silence : «Que voulez-vous, jeune fille, pourquoi êtes-vous venue auprès de moi?»
Mon cœur tressauta d’émotion dans ma poitrine. Je répondit calmement «Cher Batiouchka, je n’ai besoin de rien. Je souhaite seulement votre bénédiction et vos saintes prières». Et je le fixai intensément. Il sourit, me regarda et dit : «Mère Anna, apportez-moi deux prosphores, une grande, et une autre plus petite». Matouchka apporta une prosphore, une grande, telle celle qu’on réserve aux higoumènes. Batiouchka me la remit en disant :«C’est pour Vous. Et celle-là, vous la remettrez à votre maman. Et que maman la divise en soixante parties et en prenne un morceau chaque jour avec de l’eau de la Théophanie».
Maman fit précisément tout ce qu’avait recommandé Batiouchka. Et elle voulut ensuite aller à Vyritsa. Elle me disait : «Ma petite fille, comme je voudrais aller auprès de Batiouchka Seraphim à Vyritsa!» Mais comme tout le monde chez nous, elle n’en n’avait pas le temps. Pourquoi Batiouchka l’avait bénie pour diviser la prosphore en soixante morceaux, cela demeura une énigme…
«Et avant de partir d’ici, écrivez les listes des personnes vivantes et des défunts de votre famille. Et je prierai toujours pour eux, selon mes forces», me dit Batiouchka. Il me regardait et il souriait, souriait encore et encore… Mais je ne parlai pas du tout de ma famille. Je me tenais à genoux et je regardais Batiouchka. Soudain, il me demanda : «Jeune fille, comment vas-tu aller à Louga?» Je me troublai. «En train, jusque Leningrad, et de là, à Louga». «Voici ce que tu vas faire. Quand tu vas partir d’ici, va à l’église, et vénère l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan, ensuite, tu vénéreras les tombes. C’est là que repose ma Matoucha, la moniale du grand schème Seraphima. Près du grand portail. Tu sortiras par celui-ci, et à ce moment-là arrivera un grand camion. N’aie pas peur. Tu lèveras la main. Il s’arrêtera et t’emmènera jusqu’à la gare». Il se fait que la gare de Siversk se trouve à cinq kilomètres de Vyritsa. Et Louga n’est pas très éloigné de là. «Là tu monteras dans le train et une heure plus tard, tu seras rentrée chez toi à Louga»
Jamais il ne me serait venu à l’idée d’interroger le Starets à ce sujet! J’étais stupéfaite. Je le regardais. C’était un homme si lumineux, tellement saint, en vérité, un habitant du monde de Dieu. Et voilà qu’il m’expliquait toutes ces choses pratiques… Maintenant, je me souviens souvent de cet épisode. Me trouvant dans un lieu saint comme Pioukhtitsa, je suis sans cesse amenée à résoudre les problèmes pratiques de la vie quotidienne. Comme Batiouchka était prévoyant, comme il était simple ! Quel exemple pour nous tous, et avec quel soin s’occupait-il des gens, jusque dans les moindres détails!…
Je restais agenouillée, les mains croisées sur la poitrine, et je le regardais, encore et encore. Jamais je n’avais vu pareil visage. Je serais volontiers restée ainsi toute la journée! Mère Anna entra. Je dis alors : «Batiouchka, pardonnez-moi de m’être attardée de la sorte auprès de vous». Mais je ne savais au juste combien de temps s’était écoulé depuis que j’étais entrée dans la cellule de Batiouchka. Il répondit : «Ce n’est rien, petite fille. Tu peux aller. Je te bénis, je bénis tes parents et toute ta famille et tes proches». Et il traça sur moi le signe de la Croix. Je me prosternai et me dirigeai vers la sortie, en chaussettes, et sans tourner le dos à Batiouchka.
J’allai à l’église et vénérai l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan. Je priai devant les tombes. Maintenant, pensai-je, je dois me tenir sur le bord de la route. J’y allai et regardai vers le bout de la grand’route ; un véhicule approchait. Des babouchkas étaient déjà assises à l’intérieur. Je levai timidement la main. Le véhicule s’arrêta. «Jeune homme, pourriez-vous me conduire à l’arrêt du chemin de fer de Siversk?» «C’est justement notre direction!». Et ils me conduisit à la petite gare. Je descendis et eus à peine le temps de remercier ; j’entendis le bruit du train qui arrivait. Je grimpais dans un wagon et rentrai à la maison. Ce voyage retour fut beaucoup plus court que l’aller. J’étais dans une joie telle que je ne me souvins pas du chemin emprunté. J’étais à peine montée dans le wagon et soudain j’étais déjà à la maison.
Voilà l’impression que produisit sur moi cette rencontre avec le Père Seraphim, voici cinquante ans. Dans Sa miséricorde, Dieu m’accorda de rencontrer ce lumineux starets, de recevoir sa bénédiction et deux prosphores. Depuis lors, lorsqu’on me remet des prosphores d’higoumène, je me souviens toujours de Batiouchka et de ce jour-là. C’était vingt ans avant que je devienne supérieure du monastère.
Saint Père Seraphim de Vyritsa, prie Dieu pour nous !
Traduit du russe
Source.