Ceci est la traduction d’un publié le 11 janvier 2019 sur le site Pokrov.pro. Entretien accordé par l’Archiprêtre Valerian Kretchetov à Mesdames Olga Orlova et Olga Kameneva, et Monsieur Dmitri Simonov. «Le Pokrov a protégé toute ma vie sacerdotale», explique Batiouchka, qui a servi un demi-siècle à l’autel de Dieu, dans l’église du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu du village d’Akoulovo, dans l’oblast de Moscou. Pendant toutes ces années, Matouchka Natalia Konstantinova porta la croix d’argent particulière au service. Et à la veille du jubilé, le Père Valerian octroya ses instructions paternelles et pastorales à ses sept enfants, adultes, ses trente-cinq petits-enfants et à ses enfants spirituels… Chaque semaine, la série ‘Paroles de Batiouchka’ permet de prendre connaissance avec les enseignements spirituels dispensés par le Père Kretchetov au cours de ses cinquante ans de sacerdoce. Le début du texte se trouve ici.
Batiouchka, comment votre paroisse a-t-elle évolué en cinquante années?
Tout d’abord, grâce à Dieu, il y eut de plus en plus de fidèles. Et des jeunes ont commencé à arriver. Et ensuite le pourcentage d’hommes a augmenté. Au début, en fait, il n’y avait que des petites vieilles. La jeunesse avait peur de venir. Et on ne l’y autorisait pas ; il y avait des cordons autour de l’église à Pâques et à la Nativité. Et au travail, ils avaient des ennuis. C’est pourquoi des jeunes et des gens d’âge moyen, il y en avait peu, particulièrement des hommes. Aujourd’hui, c’est bien. Et au sujet des petites vieilles, à l’école, on dit un jour à mon fils, devenu aujourd’hui le Père Tikhon, «Que vas-tu faire à l’église, il n’y a que des petites vieilles». Il répondit : «Les personnes âgées ne peuvent aller nulle part d’autre». C’était une très bonne réponse. Jusqu’aujourd’hui encore, ils essaient de jongler avec ces stéréotypes : l’église, c’est pour les vieillards.Ne s’agit-il pas d’un indicateur de sous-développement?
Qu’entend-on par sous-développement? Le sous-développement du péché en eux, le fait qu’ils prient pour que leurs enfants cessent de pécher et commencent eux-aussi à venir à l’église? En réalité, la présence des vieillards à l’église est plutôt un bon signe.
Quels sont les fruits intérieurs d’un demi-siècle de sacerdoce ?
Il n’y a qu’un seul fruit : il faut toujours s’efforcer d’être avec Dieu. Dans toutes les circonstances. C’est pourquoi le Père Serge me disait, quand j’étais encore un jeune prêtre et lui exposait mes problèmes avec ceux qui célébraient avec moi : «Alors, Dieu, vous l’avez oublié?». C’est pourquoi mon papa, le Père Mikhaïl Kretchetov, qui avait été enfermé aux Solovki et avait fait la guerre, nous rappelait : «Et Dieu alors?». Il arrivait que je lui explique quelque chose en long et en large, et il m’arrêtait : «Et Dieu alors?». Voilà, c’est ça qui est l’essentiel. «Je mets Dieu constamment sous mes yeux, car il est à ma droite : je ne chancellerai point» (Ps. 15,8). Cela signifie que le Seigneur est toujours avec nous. Tout le mal vient de ce que nous oublions cela.
On se penche attentivement ces derniers temps sur les problèmes de l’Église, les liens avec Constantinople. Mais le dernier mot reviendra à dieu. Il y eut tout de même au cours de l’histoire de l’Église beaucoup d’époques au cours desquelles apparurent toutes sortes d’hérésies et de schismes. Et avec le temps, tout reprit sa place. Tôt ou tard, cet imbroglio qui a été suscité sera démêlé. Des rénovateurs, il y en a déjà eu, et le Patriarcat de Constantinople les a soutenus, mais ils n’ont pas tenu. Tout ça passera. Depuis combien de siècles l’Église Orthodoxe ukrainienne est-elle liée à notre Église Orthodoxe russe? Et ils voudraient maintenant leur autonomie, mais ils ne parviennent pas à s’accorder entre eux. Ils ont «l’église » des schismatiques philarétiens, et une autre encore. Ils sont occupés à tout découper chez eux. Et accorder cette autocéphalie, c’est incompréhensible… Le Tout-Puissant existe, mais on dirait qu’on a oublié Dieu, non?
Mais, Batiouchka, qui porte la responsabilité de l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique ?
Tous en portent la responsabilité. Saint Nicolas de Serbie dit que lorsque les péchés de tous le peuple ou de ses dirigeants excèdent ce qui, relativement parlant, peut être admis, alors commence la guerre. Dans notre monde, être indépendant, c’est tout simplement impossible. L’essentiel, c’est de qui on dépend.
Avez-vous déjà baptisé des catholiques, des musulmans, des juifs ?
Bien sûr, cela m’est arrivé. Et plus d’une fois. J’ai baptisé un hindouiste, qui a reçu le prénom de Mikhaïl. J’ai évidemment baptisé des musulmans. Quand ils se détournent de l’Islam, d’Allah, ils ne renient pas la foi en Dieu, mais seulement le prophète Mahomet et son enseignement. J’ai également baptisé des catholiques. Si quelqu’un a déjà été confirmé, il est possible de l’accueillir à travers le seul repentir. S’il a été, disons, baptisé quand il était nourrisson, mais n’a pas été confirmé, on lui donne la chrismation. J’ai donné l’onction et la communion à une vieille catholique ; elle était sur son lit de mort. Sa fille et elle étaient moniales, dans le monde, il est vrai. Quand cette moniale mourut, elle me demanda d’allumer un cierge. Quand le cierge fut consumé, la mèche forma soudain une croix. Sa nièce, catholique elle aussi, vint chez nous, à la paroisse, et elle me dit : Oh, comme c’est bien chez vous! Chez nous, déplora-t-elle, on a à peine le temps d’arriver que l’office est déjà fini. Chez vous, on peut prier». Elle était balte.
Des juifs, vous en avez baptisés?
Oui, vraiment beaucoup. Je me souviens de la petite fille d’un rabbin. Elle ne pouvais pas être baptisée car elle n’avait pas le temps, pas le temps du tout… Finalement, ils se sont décidés : demain nous venons! Comme si le plafond leur était tombé sur la tête. Et finalement ils sont venus.
Il n’y a pas longtemps, sur l’Athos, j’ai entendu l’histoire suivante. Un juif orthodoxe se fit baptiser, en conséquence de la conviction qu’il avait acquise de la vérité de la foi orthodoxe, en étudiant les prophéties relatives au Messie. Il lut le Prophète Zacharie : «Tressaille d’une grande joie, fille de Sion ! Pousse des cris d’allégresse, fille de Jérusalem ! Voici que ton Roi vient à toi; il est juste, lui, et protégé de Dieu; il est humble; monté sur un âne, et sur un poulain, petit d’une ânesse» (Zach.9,9). Et il comprit que le Messie était déjà venu, et qu’un roi contemporain n’allait pas entrer dans Jérusalem sur un ânon. Aujourd’hui, d’habitude, cela se produit dans une limousine de luxe, entourée de tireurs d’élite. Cet élément de preuve lui parut donc convainquant.
Batiouchka, partagez avec nous le secret de votre joyeuse disposition d’esprit.
Voici en quoi cela consiste. «Pourquoi tout te réussit et moi pas?», demande le disciple au starets. «Il faut de la patience», répondit celui-ci. «Oui, mais enfin, on patiente, on patiente, et rien ne change! A quoi cela rime-t-il? Autant transporter de l’eau dans un tamis!». «Oui, mais alors attends l’hiver, l’eau sera transformée en neige». Répliqua le starets.
L’essentiel dans tout cela, c’est que la joie la plus élevée, c’est la joie spirituelle. Chez le moine, elle découle de la prière. Chez celui qui vit en famille, et d’ailleurs, chez le moine également, c’est quand il voit ses proches, ses frères progresser vers le salut. Voir comment les gens se corrigent, prient, vivent pieusement, cela procure une telle joie! Le réalisateur local qui tourna un film chez nous, dans la paroisse d’Akoulovo, demanda un jour à son petit-fils «Pour toi, le bonheur, qu’est-ce que c’est?». Et l’enfant, sans même se détourner de ses jouets avec lesquels il s’amusait, répondit : «C’est quand on s’aime les uns les autres». Ça, il fallait le dire! Tout est joyeux quand on vit dans l’amour pour Dieu et pour le prochain. «Koudeyar lui-même se retira dans un monastère afin d’y servir Dieu et les hommes.» C’est alors que commence le paradis, ici, sur terre. Imaginez seulement : vous rentrez à la maison, et tout le monde vous aime, les enfants accourent, vous étreignent, tout est paisible, tout est bien. C’est vraiment remarquable! Les enfants souvent s’aiment les uns les autres, quand ils sont petits, et quand ils grandissent. C’est cela le bonheur. Mais quand tout le monde s’agresse, là gît le malheur. Quand tous éprouvent de l’animosité, c’est la voie de la perdition. Pourquoi donc s’offenser les uns les autres, tout est tellement éphémère… Pour le prêtre, la plus grande joie, c’est de voir les gens se repentir et se corriger.
Vos «noces d’or sacerdotales», c’est une fête pour toute votre famille. Que peut-on souhaiter à toute votre famille, à vos enfants, vos petits-enfants, vos paroissiens, vos enfants spirituels, à toute cette grande famille qui se repent et sert le Seigneur, à l’occasion de votre jubilé?
Je ne puis dire qu’une chose : qu’ils vivent leur vie dans la paix. Comme le disait le fils d’une de nos paroissiennes, avant de mourir : «Il n’est rien de meilleur en cette vie que vivre en paix et faire le bien ». Faire le bien, tout d’abord à vos proches, et ensuite à tous ceux qui vous entourent. Et aussi, je le souligne : il n’y a pas de salut en dehors de l’Église. Sainte Marie l’Égyptienne se rendit deux fois à l’église. Et ce fut suffisant. Il s’agit pour nous, sans aucun doute, d’un exemple des plus exceptionnel. Nous avons besoin de participer sans cesse aux offices, à la liturgie. En ce monde, sans la liturgie, l’homme est comme une chaloupe au milieu de la mer déchainée ; elle se fait inévitablement retourner par le tourbillon incessant…
En quoi réside en effet la valeur des offices divins? La présence obligatoire aux offices dominicaux, ceux du samedi soir et du dimanche matin, maintiennent l’homme hors des troubles de ce monde et le placent devant Dieu, serait-ce pour un laps de temps court. Certains disent que c’est bien pour Dieu. Non, c’est nécessaire pour nous. Pourquoi, quand l’homme manquait trois offices consécutifs sans raison valable, on l’expulsait de l’Église ? En réalité, il s’en expulsait lui-même ; l’Église constatait simplement ce qui s’était passé. Voilà pourquoi nous répétons sans cesse : ce n’est pas nous qui écartons les gens, ce sont eux qui s’écartent de nous. Oui, la communauté, c’est la famille de ceux qui se repentent et servent Dieu dans les offices. Quand on s’enracine dans les offices, c’est toujours la vie dans toute sa plénitude. Bien sûr, vous pouvez vivoter dans votre coin, mais alors, c’est une sorte d’apparence, stérile, de vie, et pas la vie dans toute sa profondeur. Quand existe la possibilité de s’unir à Dieu dans le Mystère de la Communions aux Saints Dons de Son Corps et de Son Sang, comment est-il possible de se tenir à l’écart de la Coupe? «Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui» (Jean 6,56). Qui renoncerait à cela, pourquoi? Je connais un batiouchka des Vieux-Croyants, qui m’ a dit que ce qui le troublait le plus c’était comment on pouvait vivre sans la Sainte Communion. On sait que lorsque la Sainte et Juste Juliana de Lazarevo s’abstint d’aller à l’église à cause de la froidure et pria chez elle, le prêtre entendit l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu, dans l’église, lui dire:«Va demander à la douce Juliana pourquoi elle ne vient pas à l’église. Ses prières à la maison plaisent à Dieu, mais pas autant que ses prières lors des offices à l’église». Maintenant nous avons toujours la possibilité d’aller à l’église. Les églises sont ouvertes. S’il vous plaît, venez! Venez souvent aux offices, et le Seigneur vous donnera avec abondance en cette vie et vous fera entrer dans le siècle à venir.
Natalia Konstantinovna Kretchetov : «Batiouchka n’a jamais rien imposé, ni jamais rien réclamé»
Grâce à Dieu, Batiouchka et moi provenons tous deux de familles orthodoxes. Nos parents avaient de dignes guides spirituels. Nous avons vécu ensemble six ans avant que mon mari ne soit ordonné diacre. A cette époque, nous avions trois fils, et je portais le quatrième. C’était un temps où mon mari avait encore la possibilité de m’aider un peu. Alors, il partit et entra au séminaire. Je n’avais plus d’aide, ni de rentrées financières. Mais le Seigneur vint à notre secours et très vite, Valentin fut ordonné prêtre, et il commença à célébrer à Peredelkino. Bien sûr, un prêtre n’a pas la possibilité de consacrer beaucoup de temps à sa famille. L’épouse, la mère doit prendre sur elle de nombreuses tâches. Mais c’est bénéfique. J’étais toujours faible et malhabile, mais avec l’aide de Dieu, je me suis corrigée. Mais Batiouchka n’a jamais rien imposé, ni réclamé. Et je me suis toujours sentie «aux crochets de mon mari».
Et Batiouchka a le don de calmer, d’apaiser, de soutenir. Et il possède le don d’une foi très forte. Les enfants peuvent partager leurs difficultés avec moi, et aller demander conseil à papa. Nous rendons grâce à Dieu, de ce qu’Il a permis à mon homme de Le servir pendant un demi-siècle. Et, à notre plus grande joie, il célèbre de façon tellement pieuse, et ses homélies sont tellement utiles…
Traduit du russe
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