Le texte ci-dessous a été composé par le moine Raphaïl Popov pour le site Pravoslavie.ru, le 2 novembre 2015, à l’occasion du vingtième anniversaire de la natalice du Métropolite Ioann (Snytchev) de Saint-Pétersbourg et Ladoga.
Vladika Ioann est l’une des personnalités les plus brillantes de l’histoire de l’Église au XXe siècle. Théologien, historien, publiciste, il clamait à voix forte la nécessité de faire renaître les idéaux de la Sainte Rus’, la nécessité pour l’État de se fonder sur la foi orthodoxe, et la nécessité de plaire à Dieu. Au tournant des années 1980′-1990′, quand la conscience sociale fut intoxiquée par les «vapeurs suaves» de la liberté, de telles vues ne pouvaient que susciter des réactions de radicale réprobation. Les publicistes libéraux ne lésinèrent pas sur les étiquettes, mais pour des millions, sa voix sonnait pareille à celle du tocsin qui éveille la conscience et guide sur le chemin qui mène à l’église, à la prière. Vladika fut un grand «priant» et un père spirituel ferme. Ferme avant tout envers lui-même. Nous avons demandé à trois proches de Vladika de partager leurs souvenirs à son sujet : l’Archiprêtre Alexandre Zakharov, recteur de l’église des Saints Strastoterptsy impériaux à Sologoubovka, Sergueï Astokhov, directeur des Éditions «Tsarskoe Delo», collaborateur du service de presse du Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga entre 1993 et 1995, et l’Higoumène Ioanna (Smolkine), Supérieure du Monastère de la Très Sainte Mère de Dieu de Tabynsk (Éparchie de Oufa) et membre de la communauté du Monastère de la Dormition de Pioukhtinsk entre 1979 et 1999.

L’Archiprêtre Alexandre Zakharov : «Il s’adressait à tous, et entre autre à ses opposants, avec amour».

Batiouchka Alexandre Zakharov

Père Alexandre, vous avez bien connu Vladika Ioann. Comment était-il? Comment les gens le considéraient-ils?
C’était un homme merveilleusement simple, accessible et bon, mais aussi d’une rare fermeté de convictions et campant solidement sur ses positions. Cette combinaison de bonté et de fermeté, nous ne la rencontrons malheureusement pas très souvent. Il en va d’habitude autrement ; l’homme inflexible dans ses convictions est difficilement bienveillant envers ceux qui ne les partagent pas. Mais Vladika, lui, voyait même dans ceux qui étaient en désaccord avec lui, des hommes, avant tout, et non des opposants idéologiques.
Vladika Ioann était un véritable patriote russe et il plaidait pour une renaissance nationale, ce qui suscita toutes les attaques possibles et imaginables contre lui. On lui était ouvertement hostile, d’aucuns allaient jusqu’à le haïr. Comment Vladika voyait-il tout cela?
Il priait pour tous. Mais il me semble que seuls ceux qui ne l’avaient jamais rencontré et le connaissaient seulement par ouï-dire, le considéraient défavorablement. On a aussi dit et écrit toutes sortes de choses au sujet de notre Tsar Nicolas II Alexandrovitch; d’aucuns le haïssaient. C’était pour la plupart, des gens qui ne l’avaient jamais rencontré une seule fois.
Celui qui avait regardé Vladika dans les yeux, fut-ce une seule fois, ne pouvait plus le décrier.
Vladika fut critiqué pour avoir été traditionaliste, antisémite, nationaliste, anti-occidental. Mais en vérité, Vladika défendait autre chose que tous ces «-ismes», quoi donc, précisément?
Vladika aimait beaucoup sa patrie, son peuple, et il souffrait beaucoup de la situation dans laquelle se retrouva notre pays suite à la soi-disant perestroika. Il voyait la voie que devait emprunter la Russie, et c’était une voie différente de celle qu’on lui avait imposé à l’époque. Il disait qu’il était nécessaire de penser une nouvelle voie utopique de développement, mais dont le fondement de la vie étatique et sociale reposerait sur les valeurs de notre traditions, sur les idéaux selon lesquels la Russie vécut pendant des siècles, et ne vécu d’ailleurs pas mal. Un sixième des terres émergées fut conquis et peuplé grâce à ces valeurs. Le temps a montré que Vladika Ioann avait raison, et beaucoup de ceux qui polémiquaient avec lui alors, ont compris cela maintenant. Bien que, évidemment, aujourd’hui encore il en est beaucoup qui demeurent comme autrefois des partisans des valeurs libérales démocratiques de l’Occident, dont le fondement est l’individualisme, et dès lors ils pensent l’État comme une collectivité d’individus où chacun vit seul et pour lui-même.
De votre point de vue contre quoi Vladika Ioann s’élevait-il, avant tout?
Contre l’imitation effrénée et souvent insensée de l’Occident, qui, comme il le disait, était mortelle pour notre pays. Et en cela je suis parfaitement d’accord avec lui. A cette époque, une comparaison était populaire, et selon moi, correcte : nous voudrions donc nous connecter à la civilisation mondiale, mais les plombiers ont emmêle les conduites, et au lieu de nous connecter à la civilisation mondiale, ils nous ont connectés à la canalisation mondiale. Vladika se rendait compte de cela et s’y opposait catégoriquement.
Les années 1990′ furent une période extrêmement compliquée de l’histoire de notre pays. Le pouvoir de l’État était faible, l’économie ravagée. Partout régnait l’arbitraire, le chaos, l’injustice. Mais par la miséricorde de Dieu, c’est à cette époque que la vie de l’Église commença à renaître. Comment Vladika évaluait-il ce processus de renaissance?
Ce processus réjouissait Vladika Ioann, il y collaborait. Et moi, le grand pécheur, j’ai également participé à la mesure de mes moyens à cette renaissance. (Sourires) J’étudiais en première année au Séminaire quand Vladika Ioann m’ordonna diacre, et en deuxième quand il m’ordonna prêtre et m’envoya célébrer dans une église qui venait justement d’être rouverte dans l’Éparchie de Saint-Pétersbourg.
Vladika ordonna un étudiant de première année…
C’est une curieuse histoire. Mes amis commencèrent à s’activer à faire renaître cette église et j’allais y prier avec eux. A un moment, ils me demandèrent de prendre la tête de la petite communauté. J’étais alors seulement en première année au Séminaire. J’ai donc hésité, refusé. Un batiouchka fut témoin de notre conversation, et il me dit : «Tu t’opposes à la volonté de Dieu».«Mais, Père, comment connaître la volonté de Dieu?», demandai-je. «C’est simple, répondit-il, à partir du moment où on te demande de prendre la tête de la paroisse, accepte et sers. Ne t’inquiète pas, si ça Lui plaît, le Seigneur t’aidera. Si ça ne Lui plaît pas, ils ne t’ordonneront pas». Avait-t-on jamais vu des étudiants de première année de Séminaire qui fussent ordonnés? Une requête collective fut rédigée, et des représentants de la communauté paroissiale allèrent la présenter à Vladika. J’étais convaincu que rien ne sortirait de leur manœuvre, et je poursuivis tranquillement mes études. Mais Vladika accueillit favorablement leur requête!
Il vous connaissait?
Non, nous ne nous connaissions pas encore. Pour lui j’étais seulement un séminariste parmi tant d’autres. Cela me stupéfia. Si j’avais été à la place de Vladika, je n’aurais pas pris une telle décision : envoyer célébrer dans une église aussi digne quelqu’un qui était en fait un inconnu…
Père Alexandre, quelles relations Vladika entretenait-il avec ses ouailles? Comment était-il en tant que guide spirituel?
En cela, la façon dont il a béni ma démarche pastorale est révélatrice;il conseillait au autre ce qu’il mettait en pratique lui-même. Après la chirotonie, il m’a dit : «Maintenant, Alexandre, te voilà père. Tu vas rencontrer tes enfants à la paroisse. Ils sont différents les uns des autres. Il en est de bons, et de mauvais. Les uns se repentiront plus, les autres, moins. Mais souviens-toi de ceci:tous sont tes enfants». Je me suis toujours souvenu de ces paroles. En tous, Vladika voyait ses enfants, laïcs, clercs, et moines. Et toujours il les traitait avec amour. (A suivre)

Traduit du russe

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