Voici la troisième partie de la traduction de la longue homélie prononcée par le Saint Archevêque Martyr Seraphim (Tchitchagov) de Saint-Pétersbourg, lors de la pannychide qu’il célébra à l’occasion du quarantième jour suivant le décès du saint Père Jean de Kronstadt, dont il était le fils spirituel. La biographie en français du saint hiérarque est disponible dans l’introduction de la superbe traduction de son livre, écrit vers 1896, «Chroniques du Monastère de Seraphimo-Divyeevo» ,publié récemment, en deux volumes, par les Éditions du Désert. Les deux premières parties se trouvent ici.
Pour prendre mesure de la foi et de l’esprit de Batiouchka Jean, il fallait prier avec lui à l’autel pendant la Liturgie. Pour commencer, à l’autel de la Proscomidie, il faisait mémoire de tous les vivants et els morts, il priait pour tous, en pleurant, en intercédant avec audace auprès Seigneur pour tous les affligés et tous ceux qui souffraient. Parfois, il s’éloignait un moment, puis y revenait et recommençait à prier, agenouillé, tenant le diskos entre les mains, et souffrant visiblement avec eux pour lesquels il priait.
Quand commençait la liturgie, il continuait à prier à l’autel de la Proscomidie, pendant qu’on lui lisait d’innombrables requêtes. Mais pour la lecture de l’Évangile, il retournait toujours à sa place et écoutait la parole de Dieu avec une parfaite attention, s’attachait à chaque mot, hochait la tête en signe d’assentiment aux vérités immuables de la Bonne Nouvelle.
Lors du transfert des Saints Dons à l’autel, on aurait dit que le grand intercesseur commençait à se préparer aux joyeuses retrouvailles avec le Seigneur et pensait de plus en plus à ceux qui étaient présents dans l’assemblée et qui participaient à la prière commune, et partageant une même joie, il priait parfois pour eux : «Seigneur, beaucoup parmi ceux qui se trouvent dans l’église ont l’âme indolente, comme des vases vides et ne savent comment il convient de prier. Remplis maintenant leurs cœurs, en ce jour de salut par la Grâce de Ton Très Saint Esprit, confie-les moi, et à ma prière et à mon amour, remplis-les de la connaissance de Ta bonté, et d’humilité, et remplis leurs cœurs de tendresse:donne-leur Ton Esprit Saint, qui «Lui-même intercède par des soupirs inexprimables»(Rom.8,26). Lorsque les saints Dons devenaient Corps et Sang du Christ, le Père Jean était lui-même transfiguré. Pour la première fois, c’était comme si sa pensée se détournait des gens, il commençait à glorifier le Seigneur, à Le remercier pour Sa miséricorde infinie, pour Son amour sans limite, pour avoir sauvé le genre humain, pour Son incarnation, pour Ses souffrances sur la croix, pour le don du pain suprasubstantiel. Et prouvant sa foi de ce que pain et vin devenaient immanquablement Corps et Sang du Seigneur, par la volonté du Seigneur Lui-même et par l’action de l’Esprit Saint, il proclamait avec une grande force intérieure : «Le ciel et la terre passeront, mais les paroles du Seigneur ne passeront point !»(Mat.24,35).
Ensuite, le Père Jean s’immergeait dans sa prière pour les fidèles en faveur desquels il lui appartenait d’intercéder avec audace auprès du Seigneur-Christ. Certains jours, en ces instants, il semblait devenir une ombre immobile, il se figeait, à genoux, et son visage vivant devenait progressivement blême, et ensuite, sombre. Lorsqu’arrivait le moment de clamer une ecténie, il revenait provisoirement à lui, ouvrait les yeux, et on voyait de grosses larmes s’écouler le long de son visage qui reprenait vie, un peu. Ces épisodes de sa célébration étaient durs et même terribles pour ceux qui l’entouraient. Batiouchka communiait toujours longuement, les larmes aux yeux. Selon ses propres mots, il se concentrait sur la ferme foi et la conviction selon lesquelles se trouvaient devant lui le Sang et le Corps du Christ Lui-même et, il Les emmenait jusqu’au plus profond de son cœur, communiant avec l’aide du mental. Alors, très rapidement, son visage s’illuminait ; joyeux, heureux, il posait les mains sur sa poitrine, frappant imperceptiblement celle-ci d’un mouvement vif et nerveux. Et il terminait toujours sa célébration sur un mode triomphal.
Tant que la Coupe demeurait sur l’autel, il s’inclinait devant elle, l’entourait de ses mains, y posait le front, priant joyeusement, vivant ainsi les heures les plus saintes de sa vie. Lorsque les Saints Dons avaient été reconduits sur l’autel de la Proscomidie, dès qu’il avait un instant de liberté ; il s’approchait à nouveau d’eux et se remettait à prier. «Il est bon que je prie pour les gens, écrivait-il dans son journal, après que j’aie communié avec dignité et en toute conscience. Alors, mon Dieu est en moi, et j’ai beaucoup d’audace devant Lui ! ». Le Père Jean reprenait toujours une part des Saints Dons et ensuite, il ôtait ses ornements liturgiques, s’agenouillait devant l’autel, y posant son front, et priait assez longtemps.
En célébrant la liturgie, l’inoubliable Batiouchka se procurait la plus grande des douceurs, la plus grande des béatitudes. «Je m’éteins, je meurs spirituellement, disait-il, quand je ne puis célébrer à l’église plusieurs jours de suite. Et je me réchauffe, mon âme et mon cœur revivent quand je célèbre, concrètement, spirituellement, sincèrement, et avec ardeur. J’aime célébrer dans l’église de Dieu, dans le saint sanctuaire, à l’autel et à l’autel de la Proscomidie, car, par la grâce de Dieu, je suis miraculeusement transformé dans l’église. Dans la prière de repentir et de tendresse, les chaînes de mes passions tombent de mon âme, et je deviens tout léger. C’est comme si je mourais au monde et le monde pour moi, avec tous ses biens. Je revis en Dieu et pour Dieu, pour le seul Dieu, et je pénètre tout en Lui et deviens un avec Lui. Je deviens comme l’enfant consolé sur les genoux de sa mère ; en ces moments, mon cœur est rempli d’une douce paix toute céleste, mon âme est toute éclairée de lumière céleste. Tout ce que je vois est lumineux, je vois tout de façon juste, j’éprouve amour et concorde envers tous, même avec les ennemis, et je les excuse et leur pardonne ! Oh, bénie est l’âme avec Dieu ! L’église est vraiment le paradis sur terre ! Quelle audace on a, alors, envers le Seigneur et la Très Sainte Mère de Dieu ! J’éprouve alors douceur, humilité, gentillesse ! Une grande absence de passion envers tout ce qui est terrestre, et une aspiration brûlante envers tout ce qui est céleste, le plus pur, les douceurs éternelles ! Le langage ne peut exprimer cette béatitude qui me nourrit quand j’ai Dieu en mon cœur ! Avec Lui, tout ce qui est terrestre est poussière et pourriture». (A suivre)
Traduit du russe
Source