Voici la première des quatre parties de la traduction de la longue homélie prononcée par le Saint Archevêque Martyr Seraphim (Tchitchagov) de Saint-Pétersbourg, lors de la pannychide qu’il célébra à l’occasion du quarantième jour suivant le décès du saint Père Jean de Kronstadt, dont il était le fils spirituel. La biographie en français du saint hiérarque est disponible dans l’introduction de la superbe traduction de son livre, écrit vers 1896, «Chroniques du Monastère de Seraphimo-Divyeevo» ,publié récemment, en deux volumes, par les Éditions du Désert.
Notre cher Jean de Kronstadt, qui repose en Dieu, et se tient devant Son trône, ce grand juste, cet intercesseur pour toute la Russie, le vrai ami de tous ceux qui souffrent, qui peinent dans leurs labeurs et sous leur joug, demeurera toujours proche du cœur du peuple russe, ainsi que source la plus pure d’inspiration pour les serviteurs du culte. Pendant leur vie, les gens aussi exceptionnels que le Père Jean jouissent toujours plus de l’amour du peuple que de gloire terrestre, car des forces s’opposent à celle-ci, ouvertement et aussi secrètement. Mais après leur décès, ils sont exaltés tout particulièrement par les descendants de cette société «éclairée» qui fut incapable en son temps de reconnaître leur esprit, pour diverses raisons, mais surtout du fait de leur faible développement spirituel. Pour la majorité des gens éduqués, étrangers au commandement des apôtres d’après lequel il convient d’être capable de distinguer les gens selon leur esprit, et qui optèrent pour des méthodes de connaissance plus aisées, mais presque toujours erronées, basées sur l’aspect extérieur et sur la première impression, le cher bien-aimé du peuple russe, le Père Jean, fut toujours quelqu’un d’énigmatique, de secret. Dès lors dans sa vie de labeurs, il subit une double persécution cruelle : au début de son activité, suite à la jalousie de son entourage, et à la fin de sa vie, en conséquence de la malice des ennemis de l’Orthodoxie. La mode des célébrités, dont étaient si friands les cercles de la haute société,ouvrirent au Père Jean la porte de familles riches et notables s’attendaient à voir en lui un pasteur majestueux et délicat, impressionnant ses auditeurs par les intonations de sa voix, par un regard pénétrant et des discours chargés de mystères. Mais sa silhouette mince, pas très grande, ses mouvements vifs et nerveux, la maladresse de son élocution, les caractéristiques proprement villageoises de Batiouchka, produisirent à maintes reprises une impression désagréable. Et son aspect extérieur faisait encore croître l’énigme qui imprégnait les interminables et outrageux commérages auxquels était portée la société «éduquée».
Les quinze première années d’ascèse et de célébrations du Père Jean de Kronstadt non seulement éveillèrent les appréhensions des plus hauts hiérarques et des gardiens de l’institution orthodoxe, confrontés au destin de ce pasteur peu ordinaire, elles troublèrent, pour des raisons toutes différentes, les grands acteurs spirituels de l’époque, comme par exemple son Éminence Théophane, le reclus. Tout ces faits me sont bien connus, car pendant trente années, j’ai fait preuve d’obéissance envers les Père Jean. A plusieurs reprises, le Métropolite Isidore interrogea le Père Jean et l’obligea à célébrer en sa présence, cherchant ce qu’il pouvait bien y avoir là de particulier ou même de sectaire, comme le prétendaient et le dénonçaient certains prêtres proches du hiérarque. Konstantin P. Pobedonovtsev l’appela auprès de lui, et leur première explication caractérisa tellement bien ces deux hommes remarquables, que je puis la passer sous silence. Konstantin Pobedonovtsev dit «Dites donc, vous priez là-bas, vous recevez les malades, on dit que vous faites des miracles. Il en est beaucoup qui commencèrent comme vous. Où allez-vous vous arrêter?». Le divin Batiouchka répondit, dans toute sa simplicité, «S’il-vous-plaît, ne vous inquiétez pas, prenez la peine d’attendre jusque la fin!». Son Éminence Théophane crut nécessaire d’adresser au Père Jean un courrier contenant des paroles d’amour et de guidance, expliquant qu’il avait pris sur lui cette vie d’ascèse dans le monde, au beau milieu des tentations et de l’adversité; cela devait inévitablement le conduire à une chute terrible, ou à une fin misérable. Il ajoutait que personne encore depuis le début du christianisme, non seulement en Russie, mais dans tout l’Orient, n’avait choisi pareille voie, n’étant pas moine, mais prêtre, ne vivant pas dans une clôture selon une règle monastique. Cela devait immanquablement générer les plus grandes illusions tentatrices dans le clergé et le peuple. Effectivement, quand on observe avec attention la vie du Père Jean, quand on suit son cheminement spirituel progressif, quand on compare le labeur ascétique bien connu des ascètes et saints hommes avec les conditions et circonstances du chemin choisi par le Père Jean, on ne manque pas de s’étonner en comprenant combien il lui était plus difficile d’avancer dans la perfection et dans la lutte spirituelle secrète. Il fut le premier à emprunter ce chemin inhabituel dans l’environnement que constitue les choses de la vie du monde, rempli d’obstacles. Il fut un stupéfiant exemple constant pour nos pasteurs, qui ont tant besoin de renaître, dans le contexte des activités contemporaines. Ainsi, chacun des serviteurs du culte devrait s’employer maintenant à étudier et examiner la vie ascétique tellement exceptionnelle de l’inoubliable bogatyr russe de l’esprit. Comment ne pas l’assimiler à une énigme, à un mystère impénétrable, alors qu’il voulut conserver sa position de simple prêtre de paroisse intégré à l’abondant clergé officiel d’une cathédrale, tout en choisissant la voie de la perfection, selon le commandement du Christ-Sauveur, prouvant ainsi l’inaltérabilité de la parole divine. C’est donc cela que ni clercs, ni laïcs ne purent comprendre!
L’esprit ascétique et monastique requiert un perfectionnement initial dans un milieu isolé du monde, afin que l’homme renaisse dans cette nouvelle et exigeante école spirituelle, consolide ses forces intérieures et après seulement, ouvrir sa porte à ceux qui cherchent consolation, instructions et guidance, ou encore retourner dans le monde au service du prochain.
Mais le Père Jean possédait un esprit différent, avec ses caractéristiques et ses dons particuliers. On pourrait dire que l’esprit du Père Jean aspirait à conquérir et maîtriser ses forces humaines intérieures et son perfectionnement intérieur, et tout ce qui l’entourait extérieurement et rendait plus difficile son chemin spirituel dans le monde corrompu et pervers. Jamais il ne cessa de remplir le moindre des devoirs que lui imposaient les circonstances de la vie, de rendre tous services au prochain, que du contraire, il se perfectionnait à travers les labeurs ordinaires, indispensables, incontestablement, à tout chemin spirituel, pour autant qu’ils soient unis à la prière continuelle.
L’esprit du Père Jean exigeait qu’il préservât tout son aspect extérieur naturel, afin d’échapper dans le cadre de la lutte spirituelle, à la confrontation avec cette hypocrisie qui s’insinue avec tant de facilité, détournant des travaux intérieurs, quand l’habit et les circonstances monastiques offrent la préséance sans qu’elle soit justifiée par un quelconque travail et assurent une dignité de façade. Son esprit aspirait à la justice la plus sincère et la plus pure, afin de ne jamais paraître meilleur que ce qu’il était, et de l’être réellement, devant Dieu et devant les hommes. C’est pourquoi il préférait être condamné plutôt que loué pour son aspect extérieur;il s’habillait sans s’en émouvoir des riches vêtements qu’on lui offrait. Il mangeait en buvait tout ce que ses hôtes et amis lui présentaient, en quantité limitée, bien entendu, et il répandait son amour sur tout le monde. Sans aucun doute, Batiouchka Jean était une âme bénie, de celles qui dans leurs formes extrêmes vont jusqu’à la folie-en-Christ. Ayant choisi cette voie de perfectionnement ardue, il aimait vivre en société, converser, et dans cette vie sociale, il trouvait toujours, sans relâche, du travail spirituel à accomplir.
Personne dans la société ne put comprendre de quelle manière le Père Jean parvint à atteindre dans la vie de ce monde un tel perfectionnement de ses qualités. Je voudrais fournir les éléments de réponse qui me sont connus à ce sujet. Le Père Jean réalisa ce perfectionnement par des moyens très simples : l’accomplissement des commandements de notre Seigneur bien-aimé, Jésus Christ. Ayant été ordonné prêtre, il se fixa pour règle l’accomplissement zélé de ses obligations de pasteur, d’enseignant, et de prêcheur, ainsi que l’observation sévère de sa vie intérieure, en suite de quoi il n’allait jamais se coucher sans avoir confessé toutes ses transgressions du jour. Il étudia la Sainte Écriture, y consacrant le moindre loisir, chaque minute de temps libre, même lors de ses voyages et déplacements, et ce, jusque la fin de sa vie. Rien ne convainc, n’instruit, n’inspire, comme la lecture du Saint Évangile et les Épîtres des Saints Apôtres. Lecture éternellement nouvelle et édifiante lorsqu’on y apprend ses obligations d’homme, de prêtre et de membre de la société.
En outre, le Père Jean surveillait sa vie intérieure au moyen de la tenue quotidienne de son journal, où il notait toutes ses pensées secrètes, ses sentiments cachés et ses prières à Dieu, et décrivait sa lutte intérieure avec lui-même. Ces journaux, intégrés dans le célèbre livre «Ma Vie en Christ» sont le plus grand héritage légué pour l’édification des pasteurs et de la société.
Troisièmement, étant lui-même un pauvre homme, fils d’un lecteur de paroisse villageoise, il connaissait la nécessité de prendre soin de tous les miséreux, des affligés. Il était notoire qu’il faisait de lui-même le dernier des pauvres, et dès lors, le Métropolite Isidore ordonna que les aumônes soient remises non à lui, mais à son épouse.
Finalement, pour que son âme ne se divise entre le bien et le mal, quand il s’adressait aux gens et quand il priait Dieu, il le faisait avec une stupéfiante simplicité enfantine. La simplicité, la vérité et la sincérité, ces trois caractéristiques de l’amour, formaient le but de son labeur spirituel, et le Père Jean priait pour cela le Seigneur, avec des larmes, disant «Seigneur, donne-moi un cœur simple, dépourvu de malice, ouvert, croyant, aimant, généreux, digne dépositaire de Toi, Très Bon!» (A suivre)
Traduit du russe
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