Optina Poustin’. 04/18 avril 1993, 06 heures du matin. La Liturgie de Pâques est terminée depuis 5h10. L’aube va commencer à poindre. C’est l’heure choisie par l’ennemi du genre humain pour faire assassiner par un sataniste trois jeunes moines, le Père Vassili et les moines Théraponte et Trophime, devenus les plus récents «néo-martyrs d’Optina». Ils n’ont pas encore été glorifiés, mais les miracles opérés par leur intercession ne se comptent plus. En ce jour de Pâques, souvenons-nous de leurs âmes lumineuses. Les trois premiers extraits de la traduction ci-dessous, proviennent du livre «Небесные Ратники» (Les Guerriers célestes), Moscou 2013 publié par les Éditions Saint Cyprien (Издательство Святитель Киприан) (pp 265-266, pp 247-248, pp 238-239), sans nom d’auteur. Le quatrième extrait est la traduction des pages 385 et 386 du livre de Madame Nina Pavlova «Красная Пасха» (La Pâque Rouge) publié en 2017 par les Éditions «L’Apôtre de la Foi» (Апостол Веры).
«…Nombreux sont ceux qui se rappellent que cette Liturgie de Pâques avait en elle quelque chose d’inhabituel. On avait le sentiment qu’il devait se passer quelque chose. Théraponte communia , mais il n’entra pas dans le sanctuaire. Il se dirigea humblement vers l’arrière de l’église, où il prit l’antidoron et le vin mélangé d’eau tiède de la part là où on en avait également disposé. Il se plaça ensuite devant l’icône des Startsy d’Optina, inclina la tête et se plongea dans la prière. «Son visage était empreint d’humilité, se souvient une moniale âgée, et il avait l’air tellement rempli de grâce!» La célébration pascale prit fin. Tout le monde se dirigeait vers la cantine pour rompre le jeûne. Mais Théraponte s’attarda;il voulait rester encore dans l’église afin de prolonger cet incomparable sentiment de triomphe, cette indescriptible joie pascale de l’âme. Soudain, Trophime entra dans l’église. Il fit un signe et Théraponte se hâta à sa suite vers le clocher. Les premiers rayons du soleil atteignaient la cime des pins séculaires, dissipant les ténèbres de la nuit qui planaient sur la terre. Les premiers trilles des oiseaux rappelaient les demeures célestes où retentit sans cesse les chants angéliques à la gloire de Dieu. Le sonnement des cloches fendit la tranquillité qui précède l’aube. C’étaient les moines Théraponte et Trophime qui sonnaient la Bonne Nouvelle pour le monde: Christ est ressuscité des morts! «Le moine Théraponte était un sonneur virtuose, se souvient un frère. Il sentait le rythme avec une grande finesse, et il sonnait avec légèreté, sans tension aucune». Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de nus pécheurs. A cet instant la lame satanique d’une longueur de soixante centimètre, sur laquelle était gravée le signe 666, traversa le cœur du pieux moine. Théraponte tomba. Son visage, tourné vers l’Est, s’était figé dans un calme silencieux. Il s’efforça toujours de préserver dans son âme la paix qu’il venait de recevoir du Doux Jésus, et avec elle, il entra dans la joie éternelle du Christ ressuscité. Avant Pâques, Théraponte avait distribué tout ce qu’il possédait. Maintenant, il abandonnait avec joie la dernière chose qui lui appartint, son éphémère vie terrestre. A la suite de Théraponte, le moine Trophime fut assassiné, et , pas très loin de la tour de la Skite, le hiéromoine Vassili.
Une immense affliction étreignit les cœurs des fidèles. Et comment ne pas pleurer «puisque les enfants participent au sang» (Heb. 2,14). Mais la Résurrection du Christ témoigne de ce que les frères ne sont pas morts. Ils ont seulement été appelés par le Christ pour un autre service, céleste. Leur vie terrestre, saturée d’un podvig d’amour, s’était terminée, et elle devint une proclamation de la Résurrection du Christ.»
«La cuisine est le lieu des obédiences monastiques les plus dures (…) mais pour le jeune moine Théraponte, nouvellement tonsuré, tout était gloire de Dieu. Il savait qu’au monastère rien n’est pareil à la vie dans le monde. Un jour un moine entra dans la cantine, alors que l’heure du repas était passée depuis longtemps. Le cuisinier lui dit : «Nous n’avons plus rien. Il fallait arriver à l’heure!» «Pardonne mon retard, frère», dit le moine tentant de se justifier, et il se dirigea vers la sortie. Théraponte nettoyait le sol de la cantine, pendant ce temps. Voyant que le moine n’aurait pas de repas, il se hâta vers lui et s’asseyant sur une chaise lui dit «Assieds-toi un instant, nous allons faire quelque chose». Il avança vers la cuisine et demanda au cuisinier «Ce n’est pas possible qu’il ne reste vraiment rien?» «Rien du tout, je suis désolé, qu’y faire?» «Seigneur, pria Théraponte, Tu as même utilisé des corbeaux pour envoyer de la nourriture au Prophète Elie. Envoie-moi, indigne, quelque chose de comestible afin que notre frère ne soit pas chagriné, non pas à cause de ma misérable prière, par par Ta grande miséricorde». Il avait à peine terminé de prononcer le dernier mot de cette prière que le cuisinier s’écria joyeusement depuis le local de rangement :«J’ai trouvé ! Gloire à Dieu, toute une boîte de purée d’aubergines. Mais d’où sort-elle? Il n’y avait rien du tout à cet endroit. Je l’ai déjà fouillé.» Théraponte prit joyeusement la boîte , l’ouvrit et l’ayant versée dans une assiette, présenta celle-ci au frère arrivé en retard. «Que Dieu te sauve, dit-il. Pardonne mon retard, Voilà que je rentre du travail aux champs». «Mange, mange», répondit Théraponte, et il se remit à frotter le sol. Son cœur était rempli d’une grande joie et de reconnaissance envers le Seigneur miséricordieux. Le futur martyr, ne pensa pas un instant que Dieu avait entendu sa prière.»
«Le Père Trophime entra au monastère à l’âge de trente six ans. Il vécut en tout trente neuf ans, deux mois et 14 jours. C’est seulement après sa mort que les moines d’Optina surent son âge:ce n’était pas possible ! Il avait l’air si jeune et rayonnait toujours de cette joie qui est particulière aux jeunes gens ou à ceux qui sont très heureux. Quelqu’un dit même à son sujet:
– Mais enfin, qu’est-ce pour un moine?
– Si, c’est un moine, répliqua la jeune Natacha Popova. Là-bas, sur l’Athos, le moines sont joyeux! Et le Père Trophime est simplement un moine joyeux.
A cette époque, les novices s’efforçaient d’avoir l’air extrêmement sérieux, mais à certaines occasions, on pouvait les prendre pour des «joyeux moines». Voici une de ces occasions. La petite Alexandra, âgée de quatre ans avait grandi près d’Optina. Un jour, elle se tenait, en larmes, à proximité de l’église. Maman était au travail et il n’y avait pas d’enfants au monastère ; elle pleurait de solitude.
– Qu’est-ce qui te chagrine ? Lui demanda Trophime.
– Je veux manger
– Chez moi, j’ai de la confiture…
La petite Alexandra mangea la confiture. Et puis elle l’oublia, mais elle se souvint longtemps que tonton Trophime avait joué à cache-cache avec elle!
Certains pensaient que la joie de vivre de Trophime provenait de son caractère léger, d’autres de sa santé de fer, ou encore d’un excès de force. De la sorte, tout le monde était satisfait. C’est plus tard seulement qu’ils eurent connaissance du martyre que vécu Trophime avant qu’il ne trouve Dieu. Il était fatigué, épuisé par le chemin qu’il avait parcouru, à la recherche du sens de la vie, lorsque le Seigneur Se révéla à lui. Et depuis cet instant sa vie fut une telle jubilation en Dieu qu’à Optina, il disait «Mais comment n’ai-je pas connu le Seigneur plus tôt ? Je serais entré directement au monastère!»
«Le Hiérodiacre Eleazar écrivit dans ses souvenirs : «Je me souviens qu’en 1989, lors du Grand Carême, le Père Vassili et moi, nous reçûmes notre premier vêtement monastique. Je me souviens également qu’il était rédacteur au secrétariat du monastère : concentré peu bavard et satisfait de sa tâche. Ensuite le Père Vassili devint canonarque. Il accomplit cette obédience de façon impeccable. Il connaissait parfaitement, et à mon avis, par cœur, les offices. Ses gestes étaient nets et mesurés. Après, ils l’ordonnèrent rapidement diacre et puis, hiéromoine. Le Père Vassili était un homme profondément monastique. Il ne s’attardait jamais en compagnie pour boire le thé. Tout d’abord, je pris cela pour de la vanité, et je le jugeai. Pardonne-moi, Père Vassili! C’est seulement des années plus tard que je me souvins du sourire enfantin qui illuminait ce visage «vaniteux». Le Père Vassili était un géant spirituel. Dès les premiers offices à l’autel, il connaissait les prières par cœur, et il célébrait de façon tellement recueillie… Quand il célébrait on ne trouvait chez lui aucune parole ou aucun geste superflu. Et il tranchant l’Agneau de façon nette, d’un mouvement sûr.Souvent, quand nous célébrions ensemble à la Skite, je voyais qu’il restait environ une heure dans le sanctuaire, après l’office, et il s’en allait alors pénétré de l’expérience de la Liturgie qui venait d’âtre célébrée. Souvent, il célébrait aussi le moleben à la mémoire de Saint Ambroise. Il priait de façon intense et chantait avec douceur. Il était le meilleur canonarque d’Optina. Je ne me souviens d’aucun cas où le Père Vassili aurait protesté ou refusé d’obéir, alors qu’à cette époque nombreux étaient ceux qui refusaient d’aller à Chamordino ou à Moscou. La simplicité et la prédisposition à fournir de l’aide faisaient aussi partie de ses qualités. A plusieurs reprises, pris par la tentation, je me tournai vers le Père Vassili et chaque fois, il s’efforça de me consoler et me donna de sages conseils provenant des Saints Pères. Pendant l’office, il pénétrait profondément dans la prière et égrenait le tchotki, évitant tout bavardage qui parfois était la «maladie» des frères. Voici comment il s’approchait des icônes. Il commençait par se tenir quelques instants à côté de l’icône et priait. Ensuite, il vénérait l’icône ,et il se signait, particulièrement concentré lorsqu’il posait les doigts sur le front. Son regard était alors complètement intériorisé.
Tous nous aimions les homélies du Père Vassili, et la dernière qu’il prononça me stupéfia. Il était rempli du feu dévorant de l’amour de Dieu à un point tel qu’il vint à s’exclamer «Quel Seigneur merveilleux et miséricordieux nous avons!» Je me souviens du calme qui régnait alors dans l’église, mêlé au sentiment que ces paroles étaient beaucoup plus que des mots. Après l’inhumation des frères, on distribua les effets personnels du Père Vassili, et on me remit son trebnik, de petit format et datant encore de l’époque du Tsar. Je l’ouvris et la première chose que je lus fut «Office d’inhumation de ceux qui décèdent durant la semaine pascale», avec le passage «Mémoire éternelle à toi notre frère … inoubliable et digne de béatitude». Et à côté des mots notre frère, j’écrivis Vassili».
Traduit du russe.
Glorifie, Seigneur Jésus, l’âme de tes serviteurs néo-martyrs, fidèles jusqu’à la mort, les moines du Monastère d’Optina Vassili, Théraponte et Trophime.
Saints Pères néo-martyrs Vassili, Théraponte et Trophime, priez Dieu pour nous.